par Jacques R. Pauwels
La Première Guerre Mondiale était une confrontation entre deux blocs de puissances impérialistes, dont l’un des principaux objectifs était l’acquisition, la préservation et/ou l’expansion de territoires – en Europe et dans le monde – considérées d’une importance vitale pour l’économie nationale de ces puissances, principalement parce qu’ils contiennent des matières premières comme le pétrole.
Nous avons vu que ce conflit a finalement été gagné par les puissances qui étaient déjà les plus riches en 1914 : les membres de la Triple Entente plus les États-unis. Certes, l’oncle Sam n’est devenu belligérant qu’en 1917, mais son pétrole était disponible dès le début de l’Entente et est resté hors de portée des Allemands et des Hongrois d’Autriche pendant toute la guerre à cause du blocus naval britannique.
Examinons brièvement le rôle joué par la Grande-Bretagne dans cette lutte des titans impérialistes.
La Grande-Bretagne est entrée dans le XXe siècle en tant que superpuissance mondiale, qui détenait un vaste ensemble de possessions coloniales. Mais cette position dépendait de la capacité de la Royal Navy à régner sur la mer. Et un grave problème s’est posé lorsque les années qui ont suivi le tournant du siècle ont vu la transition rapide du charbon au pétrole comme combustible pour les navires.
Cela a poussé Albion, richement approvisionnée en charbon mais dépourvue de pétrole, à chercher frénétiquement des sources abondantes et fiables « d’or noir », dont ses colonies ne disposaient qu’en petite quantité. Pour l’instant, le pétrole devait être acheté auprès de son plus gros producteur et exportateur de l’époque, les États-Unis, ancienne colonie britannique, de plus en plus grand concurrent commercial et industriel, et traditionnellement peu amicale ; cette dépendance était donc intolérable sur le long terme.
Du pétrole est devenu accessible depuis la Perse, mais pas assez pour résoudre le problème. Ainsi, lorsque de riches gisements de pétrole ont été découverts dans la région de Mossoul en Mésopotamie, une partie de l’Empire ottoman qui allait plus tard devenir l’Irak, le Patriciat au pouvoir à Londres – avec Churchill en tête – a décidé de prendre le contrôle exclusif sur cette partie jusqu’alors sans intérêt du Moyen Orient.
Un tel projet n’était pas irréaliste, car l’Empire ottoman était une grande mais très faible nation, à laquelle les Britanniques avaient déjà pu arracher d’importants biens immobiliers ad libitum, l’Égypte et Chypre, par exemple. Mais les Ottomans étaient récemment devenus des alliés des Allemands, de sorte que l’acquisition prévue de la Mésopotamie a ouvert des perspectives de guerre avec ces deux empires.
Malgré cela, les besoins en pétrole étaient si importants qu’une action militaire était prévue et devait être mise en œuvre dès que possible. La raison de cette hâte : les Allemands et les Ottomans avaient commencé à construire un chemin de fer qui devait relier Berlin à Bagdad via Istanbul, augmentant ainsi la possibilité que le pétrole de Mésopotamie puisse bientôt être envoyé au Reich par voie terrestre pour une puissante flotte allemande qui était déjà le plus dangereux rival de la Marine royale. La construction du chemin de fer de Bagdad devait être achevée en…1914.
C’est dans ce contexte que Londres a abandonné son amitié de longue date avec l’Allemagne et s’est jointe aux deux ennemis mortels du Reich, la France et la Russie, dans la dite Triple Entente, et que des plans détaillés de guerre contre l’Allemagne ont été convenus avec la France. L’idée était que les armées massives des Français et des Russes écrasent l’Allemagne, tandis que la majeure partie des forces armées de l’Empire quittent l’Inde pour la Mésopotamie, battent les Ottomans et saisissent les champs pétroliers mésopotamiens ; en échange, la Marine royale devait empêcher la flotte allemande d’attaquer la France, et une aide symbolique aux actions françaises contre le Reich sur ce continent serait le Corps expéditionnaire britannique. Mais cet arrangement machiavélique a été élaboré en secret et ni le Parlement ni le public n’ont été informés.
Dans les mois qui ont précédé le déclenchement de la guerre, un compromis avec l’Allemagne était encore possible, et il est vrai que certaines factions de l’élite politique, industrielle et financière britannique y étaient même favorables. Cependant, un tel compromis aurait signifié qu’il aurait permis à l’Allemagne d’obtenir une part du pétrole de la Mésopotamie, alors que la Grande-Bretagne ne voulait rien de moins qu’un monopole. Ainsi, en 1914, mettre la main sur les gisements pétrolifères de Mésopotamie était vraiment l’objectif de guerre réel de Londres, quoique tacite, ou « latent ». Lorsque la guerre a éclaté, opposant l’Allemagne et son allié austro-hongrois au duo franco-russe ainsi qu’à la Serbie, il ne semblait pas y avoir de raison évidente pour que la Grande-Bretagne s’implique. Le gouvernement était confronté à un dilemme douloureux : il était lié par l’honneur à la France, mais il devait alors révéler que des promesses contraignantes de cette aide avaient été faites en secret.
Heureusement, le Reich a violé la neutralité de la Belgique et a ainsi fourni à Londres un prétexte parfait pour partir en guerre. En réalité, les dirigeants britanniques ne se sont pas souciés du sort de la Belgique, du moins tant que les Allemands n’avaient pas l’intention d’acquérir le grand port maritime d’Anvers, qualifié par Napoléon de « pistolet visant le cœur de l’Angleterre » ; et pendant la guerre, la Grande-Bretagne elle-même allait violer la neutralité de plusieurs pays, comme la Chine, la Grèce ou la Perse.
Comme tous les plans préparés en vue de ce qui allait devenir « la Grande Guerre », le scénario concocté à Londres ne s’est pas déroulé comme prévu : les Français et les Russes n’ont pas réussi à écraser l’hôte teutonique, les Britanniques ont donc dû envoyer beaucoup plus de troupes sur le continent – et subir des pertes beaucoup plus importantes – que prévu ; et au loin, l’armée ottomane – avec l’expertise des officiers allemands, a fait face à des problèmes imprévus au Moyen-Orient qui a dû faire face à une crise.
Malgré ces inconvénients, qui ont causé la mort d’environ trois quarts de million de soldats rien qu’au Royaume-Uni, tout s’est finalement bien passé : en 1918, l’Union Jack a survolé les champs pétroliers de la Mésopotamie. Ou plutôt, presque tout allait bien, car si les Allemands avaient été expulsés de la région, les Britanniques devraient désormais tolérer la présence des Américains, et éventuellement se contenter du rôle de partenaire junior de cette nouvelle superpuissance.
traduit par Pascal, revu par Martha pour Réseau International