Par Nasser Kandil
Il était clair qu’à la base, les décideurs américains, en permettant la tenue d’un sommet avec le président russe Vladimir Poutine, voulaient que leur président évite de se laisser emporter par les tentatives de Poutine de l’attirer sur un terrain où la Russie apparaîtrait comme un partenaire à part entière dans la résolution des dossiers et crises internationaux en suspens. Ce serait un aveu de la fin de l’unilatéralisme par lequel Washington mène sa politique dans le monde. Ce qui était demandé, c’est la reconnaissance d’un partenariat partiel dans des dossiers où la Russie a une influence certaine, en particulier la Syrie et l’Ukraine, et le marchandage dans ces dossiers par la concession d’une victoire russe en Syrie contre la défaite de l’Iran, et l’allègement des sanctions contre l’adhésion russe à une solution conforme à la vision américaine en Ukraine.
La conférence de presse tenue par les deux présidents après le sommet a clairement révélé que le sommet a réuni deux pays détenant tous les dossiers du monde, et la Russie a semblé être l’État le plus important et le plus influent, et le partenaire désormais incontournable dans toutes les politiques internationales. Les sujets qui ont été abordés à la conférence sont toutes des questions mondiales, et cela signifie un assentiment américain, le premier depuis la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union Soviétique, que le temps de l’unilatéralisme est révolu et que l’alliance que le président russe est venu représenter au sommet est un partenaire à part entière dans la gestion du monde, ses économies et ses politiques, et la réalisation de la sécurité et de la paix en son sein.
Le président russe a réussi à éviter tout compromis sur ce qu’il considère comme des réalisations russes dans le dossier ukrainien, en particulier le rattachement de la Crimée, offrant au président américain l’occasion de souligner à ses adversaires étasuniens qu’il a exprimé son opinion divergente. Le président russe a également réussi à imposer publiquement, et avec le consentement américain, son partenariat dans la poursuite des négociations dans le dossier coréen, alors que l’administration américaine avait tendance à en faire un accord bilatéral américano-coréen. Il a également réussi à confirmer l’alliance qui le lie à l’Iran en défendant l’accord sur son dossier nucléaire et en le décrivant comme le pays le plus respectueux des normes de l’Agence internationale de l’énergie atomique, allant même jusqu’à ne pas concéder au président américain un seul mot indiquant une restriction de la présence iranienne dans les dossiers régionaux, et particulièrement en Syrie, et se contentant de lui laisser le loisir d’appeler à resserrer les pressions sur l’Iran, comme sujet controversé avec le président russe.
Dans le contexte syrien, il est clair que l’acceptation américaine de la victoire russe et celle du président syrien n’a pas été rétribuée. A la conférence de presse, l’insistance de Poutine à poursuivre le processus d’Astana sous les auspices de la Russie, de la Turquie et de l’Iran est le signe de sa détermination à considérer la victoire comme russo-syro-iranienne. Ainsi, le projet de marchandage porté par le président américain s’est évanoui, car il n’est pas question que la Russie accepte la sortie de l’Iran et son transfert dans le camp des vaincus en échange de la reconnaissance de la victoire de la Syrie et de la Russie. Il est encore plus clair que le discours du président russe sur le désengagement dans le Golan, signé en 1974, en tant que cadre qui concerne la Russie, est directement relié à l’exécution des résolutions du Conseil de sécurité, notamment la résolution 338 relative au retrait israélien du plateau du Golan et ce, en opposition à la conception israélo-américaine reliant le désengagement à l’annexion du Golan. Poutine a appréhendé le désengagement dans son cadre international pour les questions de conflit, ce qui lui a permis de l’intégrer dans le cadre global des lois internationales et des résolutions onusiennes pour tous les conflits, en particulier dans la région. Et c’est par ce concept que la Russie est déterminée à s’opposer à la politique américaine unilatérale.
Il apparaît que la force sur laquelle s’est appuyé le président Poutine lors de ses négociations réussies, pour tracer une feuille de route des négociations avec Washington et la concrétisation de divers cadres et organes pour les mener, découle de sa conscience de l’importance des cartes qu’il détient, tant au niveau du dilemme américain en Syrie et ses choix difficiles entre la confrontation de la progression de l’armée syrienne ou le repli face à cette progression sans espoir de compromis qui lui garantirait l’association à ses succès, qu’au niveau de l’éventualité d’un échec en Corée du Nord et ses dangers. Toutefois, et tel qu’il apparaît de la conférence de presse, les deux dossiers les plus importants, qui expliquent la supériorité de Poutine, en dehors de son talent et de ses valeurs intrinsèques, concernent :
- D’une part, la fâcheuse situation dans laquelle se trouve le président américain avec l’enquête sur l’intervention russe dans les élections américaines, et la capacité de Poutine à présenter un plaidoyer favorable et un témoignage précieux en faveur de Trump
- D’autre part, la situation économique américaine difficile et l’aptitude de la Russie à offrir des opportunités d’investissement prometteuses pour les entreprises américaines, se traduisant par la constitution d’un groupement d’hommes d’affaires conjoint entre les deux pays ; puis l’annonce de la prédisposition de la Russie à accorder aux Etats-Unis une part du marché pétrolier et gazier européen, sans concurrence des prix et sans guerre commerciale ; ce que Trump a essayé d’obtenir de l’Europe, en pesant de tout son poids, sans succès. Poutine a compris le mot-clé à travers l’attaque de Trump sur le Nordstream qui fournit l’Europe en gaz russe, et lui a tenu un discours qui s’adresse à l’homme d’affaires défendant les intérêts des entreprises américaines ayant investi des milliards de dollars dans l’extraction du pétrole et du gaz de schiste pour leur entrée dans les marchés internationaux.
A travers ce sommet, Poutine a mis en place des connections qui commencent tranquillement par des petits points de départ, en suivant un processus d’apaisement dans les dossiers brûlants, pour enchaîner les succès et marquent le recul des paris américains sur le cloisonnement des dossiers, sur les sanctions et sur l’affrontement de l’alliance formée avec Israël et l’Arabie Saoudite qui affaiblirait l’Iran et l’obligerait à des compromis. Tout désengagement devient de fait une partie du réseau des connections.
Article original en arabe : http://www.al-binaa.com/archives/article/193191
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L’analyse succincte du Général Amine Htaite
Le sommet d’Helsinki a déçu les espoirs de certains et confirmé les attentes d’autres en matière de consensus pour prévenir le conflit et reconnaître les intérêts possibles.
La Russie a arraché une approbation américaine implicite pour son association en tant que partenaire dans les dossiers internationaux et l’uni-polarité mondiale n’est plus. Elle a affirmé son droit d’accès au marché européen, en tenant compte des intérêts américains notamment dans le domaine du gaz.
La Russie a confirmé que la victoire en Syrie n’est pas sujette à dérogation. Le régime continue, les alliés restent, la Syrie est unie, les étrangers doivent partir, et la sécurité d’Israël n’est assurée que par l’exécution de l’accord de désengagement de 1974, et rien d’autre.
La Crimée n’est pas négociable et le monde et l’Ukraine doivent reconnaître ce fait accompli.
2) Quant aux Etats-Unis : Trump a perdu une partie du prestige de la présidence américaine et n’a rien obtenu concernant l’Iran et ses alliés. Le plus important de ce qu’il a pu obtenir est la facilitation russe pour commercialiser le gaz américain en particulier en Europe.
En résumé, sont désappointés ceux qui ont parié sur une victoire américaine en Syrie, ou sur l’isolement de l’Iran et son encerclement régional, ou sur l’engagement de la Russie à satisfaire les exigences d’Israël ou son abandon de la Crimée.
Les dossiers chinois, coréen et européen sont restés flous.