Giambattista Vico « fut un
admirateur précoce de la philosophie moderne et de la science qui, malgré tout,
réalisait que ces nouvelles méthodes pouvaient faire naître le scepticisme
épistémologique et moral chez les personnes non préparées. » Est- ce qu’il
renoncera au dépend de son admiration pour la modernité à établir la
supériorité des anciens dans le double champ
des sciences et des lettres ? Ou bien façonnera-t- il une nouvelle
face de la modernité qui ne fait que la varier et l’enrichir ? Dire que la modernité a comme unique face et
symbole la philosophie cartésienne, c’est un avis à réviser quand on lit la Scienza nuova parce que Machiavel, Grotius, Pufendorf,
Spinoza, ainsi que Hobbes sont des
figures de la modernité que Vico présente avec un œil critique et les juxtapose
ou les rapproche d’Homère, Platon, Cicéron, Lactance, etc. Si donc Vico répond
à la Querelle
dans son septième discours en se concentrant sur un cas qui est l’impact de la
philosophie cartésienne, cette œuvre elle-même s’avère insuffisante pour un
lecteur qui sait que la modernité ne se présente pas uniquement sous le signe
du Cogito cartésien, mais encore avec
le Prince machiavélien et le Léviathan hobbesien et toutes les
théories du droit naturel etc. Dès lors cette réponse ne peut être que reprise et son contenu mis à
jour, vu que son magnum opus nous présente le système de sa philosophie
dont ses analyses de la
Querelle et ses positions des Anciens et des Modernes font
partie.
Cependant, ce qui différencie la Scienza nuova de
ces premiers écrits, est sa théodicée rationnelle. Là, on est confronté
au non conventionnalisme vichien qui mène son analyse à travers l’étude historique des coutumes et des
traditions, où il trouve les origines dans la philologie et l’étude
linguistique ainsi que l’histoire des idées et des représentations humaines.
Pour lui les théories de la connaissance, du droit naturel et de la critique
littéraire sont à moduler non seulement au niveau du discours moderne mais
surtout au niveau de l’évaluation du discours ancien. La sagesse et la
créativité des Anciens ne sont pas absolument parfaites mais celles des
Modernes ne le sont pas encore aussi bien qu’elles devraient l’être.
Alors Vico se charge de ce devoir en créant une
nouvelle voie dans laquelle l’Ancien n’est pas jugé avant d’être assimilé ou
imaginé et le Moderne n’est pas admis avant d’être critiqué et comparé aux
acquis de l’humanité. Rigault considère que Vico a introduit son système à travers l’étude
d’Homère et il annonce qu’ «il
appartient à notre sujet de voir comment la question d'Homère, débattue par
Desmarets, Perrault, Boileau, Fontenelle, Mme Dacier, La Motte, l'abbé Aubignac, Pope
et tant d'autres encore, sans sortir des limites de la critique littéraire, se
transforme, entre les mains de Vico, en une question d'érudition et d'histoire
et devient une introduction méthodique au système de la perfectibilité.» Et c’est
dans cet esprit que Vico
essaie une mise à niveau en deux temps simultanés, l'un objectif et propre à l'époque
qu'il vit et l'autre subjectif et immanent à la réflexion du philosophe
napolitain, ainsi il rend possible la rencontre de l'humanisme du Quattrocento
avec l'esprit critique. Vico n'étudie pas, donc, les anciens par amour du
classicisme, mais parce que cette étude lui servira à dégager les traits vitaux
qui devraient caractériser le nouvel
homme du XVIIIe siècle.
Les anciens, dit Vico,
classifiaient Homère non uniquement comme le premier des poètes, mais comme le
premier des sages et ainsi les modernes imitent les anciens et font remonter
jusqu'à lui l'origine de la civilisation. Homère est-il un sage ? un
civilisateur ? un grand poète ? L’analyse de Vico peut révéler
des éléments de réponse sur la nature de cette polémique en étudiant le personnage
essentiel de l’ancienneté des anciens qui est Homère. Quel statut peut-on
accorder à Homère en appliquant la méthode vichienne ? Que peut ajouter au
savoir humain l’étude d’Homère et la nouvelle découverte vichienne du vrai
Homère ?
1.1- La
découverte du vrai Homère
En se posant les questions :
que pouvons-nous savoir et dans quel cas peut-on accéder à la vérité ?
Est-ce que les Anciens sont plus proches de la vérité que les Modernes ou non ?
Vico prend un chemin alternatif par rapport aux Anciens et aux Modernes pour
construire cette vérité. Le sens commun, le monde civil, les langues, la
chronologie sont des éléments de cette quête. Tous ces éléments ont été des
objets de la réflexion dans l’histoire de la philosophie, mais dans la
philosophie vichienne ils renouvellent leur appartenance et leur dynamisme pour
devenir des schèmes cognitifs aptes à créer la différenciation entre ce qui est
originel et ce qui est superflu, entre ce qui est utile et ce qui est vrai, de
façon telle que la reconstruction de la nature des manifestations de la Querelle devient
étrangement positive face au devenir de l’esprit humain. Dans cette nouvelle
optique, la question de s’affirmer dans le présent est cruciale pour les
participants à l’état d’esprit polémique de la Querelle. La longue
vitalité des anciens et leur présence alourdissent l’actuel. Elles incarnent,
par ce fait, la référence culturelle éternisée et activent une comparaison qui
a déjà perdu sa légitimité. La nouveauté des conditions de vie des précurseurs
des temps modernes imprègne les activités de l’homme avec l’extension des
manufactures et de l’imprimerie et d’autres phénomènes mécaniques et des utilités imposées par
l’esprit du mécanisme. L’outillage mécanique prend, déjà, le dessus sur le mode
de vie traditionnelle.
Parmi les anciens, c’est Homère qui occupe la
place la plus critique dans cette Querelle. Les éditions de l’Iliade et de
l’Odyssée se multiplient aux XVIIème et
XVIIIème siècles.
Les discussions des littérateurs tournent autour sa validité et de sa pérennité
pour la vie littéraire. Homère devient
ainsi le lieu commun au sein duquel les intellectuels et les critiques de la
société savante du XVIIIe siècle se débattent pour pouvoir édifier des
identités propres à la pensée et à la nouvelle réalité de cette époque. Alors
que cette angoisse et ce débat moderne, nous dit Vico après un examen philologique, n’ont pas
de fondements historiques fiables parce que Homère n'est pas un civilisateur:
la poésie civilisatrice se doit de proposer une morale plus modérée, alors que
celle dont Homère nous propose le modèle, incarne la figure de la rudesse et de
la grossièreté. Ses héros sont, au contraire, orgueilleux, violents, féroces ;
et ses Dieux sont inconstants, emportés et faibles à l’image des hommes qui les
ont créés. Homère n'est donc ni un philosophe, ni un sage, ni
exceptionnellement civilisateur. Mais la grandeur d’Homère se résume dans le
fait qu’il demeure le génie de la poésie. Ses successeurs civilisateurs peuvent
nier son génie à condition qu’ils tentent
de bien le comprendre et de le définir correctement.
A la différence de la découverte vichienne, Homère
symbolise, pour la société savante, en même temps le sublime, la sagesse ésotérique,
l’obstacle et surtout l’éternité que les modernes sont avides de garantir, mais
en vain puisque les Anciens comme les Modernes s’avèrent incapables de passer
outre cette présence pour se créer une véritable présence en leur temps propre,
auprès de ceux qui subissent et agissent selon les nouvelles conditions de
l’existence non homérique. C’est la cause pour laquelle Homère, nous enseigne
Vico, résistera aux classements tant qu’il n’est pas encore identifié. Alors
que de tout temps les critiques ont
sous les yeux le jugement du sage Horace qui «nous met sur la voie de la
vraie réponse, en nous disant qu'après Homère on ne saurait trouver des nouveaux caractères tragiques. C'est en
effet à représenter de tels caractères qu'Homère a excellé. Or, la nature de la
tragédie est de mettre en scène des passions violentes, des haines, des
sentiments de colère et de vengeance que les hommes éprouvent surtout à l'âge
héroïque, le second des âges humains. Si donc Homère a porté dans ses peintures
une telle perfection, c'est qu'il a recueilli de la poésie antérieure les
traditions relatives à cet âge. Mais il n'en a pas été le témoin, car les
caractères qu'il trace ne sont pas des caractères individuels ce sont des
caractères généraux : Achille est le résumé de toutes les qualités qui
constituent la vertu héroïque ; Ulysse, le résumé de celles qui
constituent la sagesse héroïque.» Alors quel poète moderne
a le génie de peindre l’ensemble des traits populaires civilisateurs de son
temps mise à part celles des palais et des seigneurs ?
C’est la voie d’Horace qu’emprunte la logique de
Vico dans sa découverte du vrai Homère et qui identifie ce géant de la
naissance de la littérature et de la culture humaine pour découvrir, non les
défauts d’une telle naissance, mais les voies libératrices de l’homme de son
époque en faveur de son devenir. La plus grande figure du frontispice est celle
de la statue d’Homère. C’est le frontispice -résumé de l’œuvre- qui indique
l’importance de la présence d’Homère dans la culture ancienne et moderne. Cette
découverte, selon Vico, est la plus originale contribution à la compréhension
des modifications de l’esprit humain. Il l’annonce en décrivant ces peines « que
les premiers peuples du monde païen, par une nécessité de nature qui est
démontrée, furent poètes et parlèrent par caractères poétiques. Cette
découverte, qui est la clé maîtresse de cette Science, nous a coûté la
recherche obstinée de presque toute notre vie littéraire. »
Cette peine est due à l’opacité de l’entreprise
parce que l'Iliade et l'Odyssée, objet de la Querelle, sont des
anonymes, et paradoxalement à cet anonymat Homère est symbole. L’humanité porte
sa signature en sa mémoire pour les raisons d'exemplarité. L’avènement de la
découverte vichienne du vrai Homère vient pour poser la question et apporter
les éléments explicatifs de cette exemplarité. Ce vrai Homère appartient à, et
soutient, l’ordre et la portée d’une pensée qui se veut plus humaniste que
mécanique. La question autour de Homère n’est pas fortuite de la part de Vico
parce qu’elle traite d’un symbole de l’actualité culturelle pour combattre les
caractéristiques essentielles de l’esprit du mécanisme de même moment. Cet
esprit prétend oublier le passé et foncer avec une assurance surdimensionnée, par l’effet de la mode, vers
un devenir qu’il veut garantir uniquement par le biais des sciences de la
nature. Toute critique, lors de l'incarnation de la logique mécanique dans
l'action humaine, devient rétrograde comme si la République des Lettres est
entraînée par une réalité dont elle a crée le projet inconsciemment.
Ce projet d’esprit de mécanisme, d’ailleurs, a
pris naissance avec la philosophie naturelle qui prétend chasser
l’aristotélisme. La première caractéristique de ce nouvel esprit est l’usage de
l’analogie de la machine dans la description du monde de sorte que sa possible
représentation picturale comme une chose inerte devient un facteur de maîtrise
de la nature et combat l’inefficacité de la vision animiste du monde. Cet
esprit est l’expression par excellence de la plus adéquate des sciences de
la nature inaugurées par Galilée et
systématisées par Descartes avec une prétention certaine de divorce avec la
science aristotélicienne. Néanmoins, la théorie mécaniste a retenu des concepts
de la physique d’Aristote tels que « substance », « forme »
et « matière », mais cette sauvegarde s’est transformée en une
caractéristique propre du mécanisme par l’inertie de la matière qui est
considérée comme une reformulation radicale des sciences de la nature.
Dans la vision ancienne du monde, la matière et
la forme sont représentées comme des réalités dépendantes. Les entités
corporelles n’étaient pas homogènes ou étendues mais des substances matérielles
individuelles. Des entités se composaient par une substance et une forme individuelle.
La distinction entre la cause formelle et l’accident occupait une place
essentielle dans la physique d’Aristote et de toute sa scolastique. C’est la
qualité de la cause qui hiérarchise le cosmos alors que le mécanisme abolit
toute cette hiérarchie de l’essence pour la transformer en une uniformité qui
se libère de la forme distinctive et elle se soumet à l’intelligibilité humaine
par les principes de l’impénétrabilité et de l’extension. D’ailleurs la
mathématisation de la représentation du
monde obéit aux caractéristiques de la vision mécaniste du monde et organise le
discours moderne.
Dans une telle homogénéité des niveaux de la
compréhensibilité de l’être, la mode
écrase toute différenciation pour la réduire à la marginalité alors que la découverte
du véritable Homère détourne la
recherche vers un univers naturel qu’on ne peut réduire à la loi de l’inertie. Il
n’est plus possible, après la vérifiabilité homérique, de traiter par le biais
de la science statique le monde social. Ce monde n'est pas régi par des lois de
la nature, au même titre que le monde physique. Les actions humaines ne sont
pas, en effet, des réactions et il est donc impossible, épistémologiquement, de
traiter les interactions humaines comme un simple champ de forces gravitationnelles
ou autres. En outre, le paradigme mécaniste nie la diversité et la
contextualité des mondes historiques. L’étude de ces derniers relève donc de
l'élargissement du champ des fouilles scientifiques plus appropriées que celle
qui est justifiée pour l’étude de phénomènes naturels invariants. Or le point
d’appui de la Querelle
est un jugement qui varie entre idéalisation de l’Iliade et sa réfutation.
Ce jugement paraît uniquement comme une
question littéraire tandis qu’il clarifie
les nuages qui traversaient l’esprit de l’homme polémique de la Querelle. Il nous
indique, dans ce sens, les lieux de défiance des prétentions des Modernes et
des Anciens en ce qui concerne leurs vérités et la nature des couches qui
stratifient leurs esprits.
En effet Homère est
un personnage antique. Selon ses critiques, les premiers qui ont compilé ses
œuvres étaient les grecs. C’est l’Iliade et l’Odyssée, un ensemble des
histoires apparentées inspirées de la tradition populaire. Ces poèmes ou chansons
sont transmises par les rhapsodes et elles comportent plusieurs contradictions
quand elles peignent le mode de vie du groupe. Vico explique ces contradictions
par la stratification des couches d’histoires rapportées par l’Iliade et
l’Odyssée. Mais cette interprétation vichienne n’est pas celle d’une Querelle
qui considère le temps comme une donnée figée et non pas comme processus qui
nécessite une méthode archéologique pour se prononcer sur le fait homérique. D’ailleurs
Alain Pons dans son introduction à « La
méthode des études de notre temps »
de Giambattista Vico nous dit « La pensée moderne, c’est-à-dire
cartésienne, est une pensée présentée comme un modèle géométrique qui ne prend
pas en considération la dimension temporelle. Elle se veut du point de vue de la méthode critique et
surtout pas autocritique. Mais Vico prend conscience que la critique des
modernes n’est que jugement de valeur ou préjugé qui a besoin à son tour d’être
objet de critique afin qu’elle devienne savante parce que la critique pratiquée
par les modernes n’est que l’étendu de la kritikè technè des philosophes grecs, l’art qui dirige cette opération de notre
intellect [...] que l’on appelle “jugement” ». Et c’est pour
cela que la découverte du vrai Homère représente pour le système vichien la
découverte d’un nouveau paradigme
autour duquel la Scienza
nuova se construit. Cette œuvre est réponse et dépassement de la Querelle non pour désigner
le gagnant dans cette bataille mais pour démasquer l’inessentiel du discours
moderne.
En découvrant le vrai
Homère, Vico est le premier moderne qui libère la notion de logique poétique ou
de sagesse poétique de ses distorsions tout en se forgeant une pensée
différente des voies classiques. Cela se
résume dans une tentative de médiation de l’imagination et de la raison. La
sagesse poétique, dans le sens vichien, n’est pas forcement irrationnelle, ou
non raisonnable, ou divine dans le sens strict de la révélation divine. C’est
un sens alternatif et divinement inspiré ou sanctionné comme mode de
conceptualisation d’un savoir et d’une compréhension des rythmes du monde. Il
est alternatif par rapport à la compréhension rationnelle diffusée par la mode
mécaniste.
Dans les temps
obscurs, l’humain n’avait pas besoin de l’appui de l’imagination pour exprimer
sa compréhension des entités spirituelles, il n’avait pas à transcender les
images qui s’imposaient à sa perception parce qu’il était imagination et plutôt
il s’identifiait à ses objets en voulant les exprimer. Vico nous présente cette
tendance anthropomorphique en disant «Les corollaires de cette logique
poétique sont tous les premiers tropes, dont le plus lumineux et parce que le
plus lumineux, le plus nécessaire et le plus fréquent, est la métaphore, qui
n’est jamais davantage louée que lorsqu’elle prête sens et passion aux choses
qui en sont privées ».
La reprise de cette image du monde qui est ressuscitée dans des proverbes doit
distinguer selon Vico entre une variété de types de pensée pour vérifier
l’exactitude historique : savoir et
sagesse, sciences, usage poétique des successeurs et essentiellement les
pratiques imminentes. Cette prudence dans l’emploi non historique de la logique
poétique est du à la spécificité du sens poétique que Vico découvre « dans
chaque type d’activité, les hommes qui sont dépourvus d’aptitude naturelle
réussissent grâce à l’étude obstinée de l’art ; mais en poésie absolument
personne ne peut réussir au moyen de l’art s’il n’a pas l’aptitude naturelle. »
Vico rappelle la potentialité d’une sagesse dans le sens d’une compréhension de
la réalité qui n’est pas une scission entre le réel et l'entité abstraite ou
conceptuelle mais plutôt une fusion entre le réel, la représentation et la
locution d’ailleurs le sens est une expression concrète d’une image
allégorique.
Vico constate un contraste entre la sagesse
poétique populaire et la pratique moderne du savoir aussi sophistiquée,
philosophique et théorétique. C'est cette manifestation d'une logique autre que
celle de l'homme moderne qui falsifie tout jugement de la sagesse poétique par
le biais du savoir conceptuel philosophique. Le caractère de l’universel
fantastique [universale fantastico] est une forme de poésie religieuse
mythique qui n'obéit pas aux spécificités de la poésie lyrique ou mystique et
c'est pour cela que Vico lui refuse l'interprétation ésotérique en disant «nous
avons dû plus haut, dans la sagesse poétique, suivre une route totalement
inverse de celle qu’avait suivie
Manéthon et débarrasser les fables de leurs significations mystiques pour leur
signification historique originelle ; et la façon naturelle et aisée,
libre d’efforts, de subterfuges et de distorsions, avec laquelle nous y sommes
parvenu, prouve la propriété des allégories historiques contenues dans ces
fables »
Les principes de la logique poétique, aussi simples
qu’ils soient, sont une expression non rationnelle ou pré-rationnelle mais
raisonnable dans son utilité et dans sa perspective de guider l’homme vers son
humanité, de s’approprier le monde qui lui est hostile de façon que cette
image-parole se convertit en acte selon le principe vichien de verum et factum convertuntur. En appliquant ce principe Vico
saisit l'unité cyclique de la sagesse poétique
là où la parole, le sens et l'acte ne font qu'un et ne renvoient qu'à un
contexte de la naissance de l'homme en évolution vers une complexité autre,
peut-être plus performante dans son expression mais sûrement moins véridique et
moins représentative. C'est la raison pour laquelle ce principe servira à
éclairer les aberrations de l'esprit de la Querelle. Les
Anciens et les Modernes s'activent en se comparant à, ou en combattant, un Homère
réellement multiple qui « n’avait pas encore inventé les lettres dites ‘’ vulgaires’’ .
En outre, si ces lettres avaient été des formes de sons articulés et non des
signes arbitraires, elles auraient dû être uniformes chez toutes les nations,
comme le sont les sons articulés.» Mais celui-là ne raconte
que l'histoire des caractères héroïques qui sont "des coutumes aussi
grossières, rustiques, féroces, sauvages, inconstantes, déraisonnables ou
déraisonnablement obstinées, frivoles et sottes »et il est en même temps « l'Homère
incomparable pour ce qui est de la création des caractères poétiques, parmi
lesquels les plus grands sont si mal accordés à la nature civile qui est
la nôtre, mais sont parfaitement convenables en rapport à la nature héroïque
d'hommes sourcilleux.»
Ceci dit, quelle est la logique de la Querelle d'après la
découverte des limites du personnage essentiel d’avènement homérique ? Est-ce
que l'inimitabilité d’Homère est une réplique suffisante à la mise à découvert
de l'esprit moderne selon Vico ? Et dans
quelle mesure l’homme moderne ou simple contribuable à une civilisation déjà
fondée peut-il accéder à la compréhension du langage et des normes des
fondateurs de la civilisation telle qu’elle est peinte dans la poésie
d’Homère ? Et comment peut-il acquérir le statut de créateur et fondateur
de son humanité ? Comment Vico pense-t-il que nous pénétrons ou reconstruisons
des mentalités primitives, ou en effet, une partie du passé culturel ? Est-ce
que le principe verum-factum comme
étant mémoire générée par les mens et l'imagination de nos ancêtres est
lui-même une redécouverte qui participera à la clarification de la réponse
vichienne à la Querelle ?
Quel est exactement le processus évoqué par des mots tels qu’entrare ou discendere,
qu'il utilise pour décrire notre voie à la compréhension de ce qui se passait
dans l'esprit des bestioni ?
Vico
ne cache pas son mépris pour la pratique médicale de son temps qui conseillait
la suspension de l'action, dans
l'attente de la progression de la
maladie en quelque chose de plus curable. Cet enseignement s'appuie sur la
faculté d'analyse et décourage l'activité de la mémoire et l'imprudente
imagination. Mais, il néglige le développement des capacités de synthèse des
praticiens de la médecine. Certes, avec un tel enseignement médical, ils auront
peu de chances de découvrir de nouvelles diagnostiques et traitements en
remarquant les petits détails qui
pouvaient modifier entièrement la perception de la maladie et de son étiologie.
En conséquence, leur jugement repose souvent sur une description incomplète et
trompeuse de la situation. Ce dogmatisme pratique, nourri par la substitution
des préceptes de la prudence et du sens commun, conduit le médecin à s’écarter
de la sphère spécifique à l'idée aristotélicienne de sagesse pratique, dont la
connaissance est strictement associée à la pratique des affaires de la cité
alors que l'hygiène et la santé sont les affaires qui appellent le plus à la
prudence.
Cependant,
Vico explique, non seulement, le
savoir éthico-politique par la convertibilité du verum-factum, mais
encore toutes les sciences telles que les mathématiques et la science
expérimentale. Il fonde aussi des associations fortes entre l'œuvre et la norme
en se conformant à cet axiome ou principe. « La prééminence de
verum-factum chez Vico investit l'agir dans tous les secteurs de l'effort
humain et lui acquière nettement une appartenance moderne comme continuation de
la pensée de Bacon, Galilée et Hobbes. » Ce principe, en
dépassant les limites traditionnellement admises entre sciences dures et
sciences molles ou humaines, provoque des problèmes tant herméneutiques que
philosophiques. Vico, dépasse-t-il par le biais de ce principe la prudence
aristotélicienne pour insérer la
délibération dans tout le processus
cognitif et pratique de l'être humain ?
Le
champ d'action de la phronesis chez Aristote ne dépasse pas les limites de
l'action civile de la cité. Son règne est celui de la délibération politico-morale.
C'est l'ambiguïté et la multiplicité des choix présents dans les cas
particuliers et les grandes lignes de la politique de la cité qui incite
l'athénien à chercher un consensus délibératif dans la prise de décision
sénatoriale. Vico reprend cette perspective aristotélicienne en l'actualisant
selon la nouvelle conception de l'homme et en conformité avec l'agir homérique
découvert dans la trame des archives de l'humanité. Cette actualisation d'un
principe délibératif ancien peut confirmer le dire Fosco Mariani–Zini que Vico, s'installe
dans la Querelle des Anciens et
des Modernes. Est-ce que le verum- factum vichien, souvent considéré par les
interprètes comme argument instrumental, permet de réconcilier la
Scienza nuova
avec la raison pratique déjà à
jour ?
Vico présente l’axiome verum – factum,
d'abord, en tant que thèse étymologique, « car c'est selon cette
succession des choses humaines que doit être racontée l'histoire des mots des
langues indigènes» et cette succession des
modifications des images mentales n’est emmagasinée et constamment veillée que
dans la langue qui trace l’itinéraire de l’évolution ou de la régression des
mentalités des gente, dans De
Antiquissima, Vico nous fait comprendre l’immobilisation artificielle de la
représentation des temps reculés « les Latins parlent des êtres animés
dépourvus de raison, quand il les disent ‘’ bruta ‘’ ;
‘’ brutum ‘’ pour eux signifiait la même chose qu’’’ immobile ‘’ ;
et pourtant ils voyaient les brutes en mouvement. Il faut donc que les
anciens philosophes italiques aient jugé que les brutes, parce qu’elles
n’étaient mues par des objets présents, étaient immobiles et qu’elles étaient
mues par les objets présents comme par une machine ; tandis que les hommes
ont un principe interne du mouvement, à savoir animus, qui se meut librement. » C’est la confusion due
aux modifications des mentes et qui est inscrite organiquement dans la langue
latine qui véhicule les changements des temps et dans laquelle la scission
entre le vrai et le fait s’est normalisée. Ce qui veut dire que cette scission
est une réification du dicible et du pensable dans le sens que la variation
entre le vrai et le fait devient réel et transposable extérieurement sans intériorité
possible.
Cette
suggestion prend pour point d’appui que la médiation, caractère essentiel de la
scission entre verum et factum, une fois
atteinte, l’homme devient la norme et l’actualité. Il tend à effacer sa genèse
et aplatir ses débuts dans le sens de perdre sens de l’immédiateté en la réduisant
aux mécanismes dans son acception première c'est-à-dire étrangère et
extérieure. Néanmoins la langue témoin garde ses traces formatées dans des usages
textuels ou collectifs à partir de l’origine première du mot qui est la
collecte des lettres en vue de créer le Mens. Dans la même œuvre, Vico polémique l’adoption
de Malebranche du principe cartésien du « Cogito, ergo sum »
et démontre que ce principe n’est que
simple schématisme en proposant une nouvelle définition de la pensée qui est mens
en latin et dont la traduction en italien est pensiero c'est-à-dire que
« nous voyons bon ce qui est mauvais, multiple ce qui est un, autre ce
qui est le même, en repos ce qui n’est pas en repos, mais comme ni le bon, ni
l’un, ni le repos ne sont dans la nature, se tromper en ces matières veut dire
tout simplement que les hommes, imprudents ou trompés, contemplent à travers
les choses créées. » Donc le nouveau sophisme
de l’homme moderne n’est pas si éloigné du sophisme présocratique, mais il est
plus élaboré et plus méthodique : sa finalité est de se renier soi-même en
se projetant dans ses propres créations.
La
métaphysique est, alors, une branche du savoir théorique qui doit commencer là
où les choses commencent c'est-à-dire par la contemplation de l’œuvre de
l’homme sans se réduire à la valeur actuelle de son sujet. Ce sont les
modifications de la pensée rapportées dans les mots et la syntaxe de l’œuvre
humaine qu’il faut et qu’il faudrait étudier. Prétendre étudier uniquement la
mécanique ou la chose étendue et inertielle comme le fait l’époque moderne
n’est pas chose superflue si on prend comme notion de base que « l’Arithmétique,
la géométrie et leur rejeton la mécanique, relèvent du pouvoir-faire humain ; car dans ces sciences nous
démontrons le vrai parce que nous le faisons.
» Cette collecte des informations organisée en sciences formelles et
instrumentales est selon Vico, donc, partie prenante de l’évolution de l’homme
comme elle est immanente à l’action
essentiellement intentionnelle et archivable «car lorsqu'il arrive que celui
qui fait les choses les raconte lui-même, l'histoire ne peut être davantage
certaine.
» Ainsi, notre connaissance de l'agir ne peut se faire qu'en observant les
modifications de mente qui obéit à l'effectivité du cognitif en tant
qu'intériorité et extériorité simultanément. C’est en appliquant cette
immanence du savoir faire que Vico juge, sans avoir un texte conventionnel
justificatif, que « l’architecture étrusque, elle aussi, la plus simple
de toutes, nous donne un argument de poids pour conclure à leur intériorité sur
les Grecs en matière de géométrie »
Enfin, la convertibilité entre verum - factum
est le principe qui permet la lisibilité de l’œuvre pensée et spécifique à
l’homme. Ce principe crée la possibilité d’un dictionnaire mental de la langue
sans réduction des différences et des scissions entre le faire et l’idée, entre
l’ancien et le nouveau, ou l’actuel, parce que l’agir dans la condition humaine
est métaphysiquement formé par la naissance d’un savoir-faire qui est celui
d’un legere, c'est-à-dire collecte des éléments, en ce qui concerne la
langue, rassembler l’alphabet du mot et créer un sens. L'effet est de suggérer
une homologie primitive entre le savoir et le faire, les traces de ce qui
restera dans notre langage courant. Malgré la concrétion des autres paradigmes,
par exemple, de l'introspection, de l'observation, Verum – Factum est
non seulement une thèse sur le sens originel des mots mais encore sur la nature
historique des institutions humaines.
Il
n'y a pas de passage direct du mot à la chose, l'homme ne peut échapper à la
nécessité de la médiation. Vico, par le
biais de la convertibilité, établit un paradigme herméneutique. Il échappe
ainsi à la réduction du sens comme production propre du cognitif pur pour
devenir un processus vital là où la connaissance est science et conscience
mutuellement. Pour peindre ce passage obligatoire entre l’agir et l’idée, les
langues constituent le noyau dur du processus à propos duquel Robert C. Miner écrit que « Vico
comprend le jugement humain par analogie au processus de lecture. Le
lecteur alphabétique rassemble les éléments à partir desquels les mots sont
construits. En l'absence du lecteur qui collecte, l’elementa sera un fatras
incohérent, dénué d'importance. Le sens documentaire est tout simplement
impossible sans la contribution active du lecteur. » Donc, sans le faire du
lecteur ou du récepteur, dans la conjoncture orale ou sociale, l’idée n’est
plus. La distinction, par conséquent, dans le cas de l’objet de la physique, en
tant que connaissance n'est pas entre deux séries d'éléments, mais entre deux
modes de saisir l’elementa rei. D’une part le mode véridique,
celui-ci est propre à l'infini divin,
qui connaît les éléments en tant que telles et de l'autre, le mode humain qui
est fini dans la maîtrise de ce qui existe à l'extérieur indépendamment de son
conatus et qui opère par le biais des dissections ou des descriptions et des constructions.
A la lumière de cette théorie de
la connaissance, Vico établit une hiérarchie des sciences dans laquelle il
organise le savoir par ordre décroissant de certitude et non de véracité
distinctive. La hiérarchie dépend de la distinction entre science et
conscience. Les mathématiques pures sont science parce que la portée de leurs
éléments est entièrement interne. Le terme interne n'est pas synonyme
d’intuition ou d’introspection. « Le terme est destiné à rappeler la
capacité de l'esprit humain à créer les mathématiques indépendamment du monde
extérieur. Leur connaissance n'est pas une pure science mais conscience, qui
dépend du savoir dans une certaine mesure, sur des éléments compris de
l'extérieur. »
Or
si on se demande quelle nécessité peut avoir une différenciation des modes de
la science et de la conscience, on se situe au niveau de la mémoire, de la
tortuosité de la vie humaine, qui fait du besoin d’une rhétorique de la
profondeur une approche impérative s’appliquant au désir insaisissable et insatiable
auquel on peut identifier la cause efficiente aristotélicienne. La racine du
désir, sa cause première est sa finalité, identique à l'infini, verum primum.
Paradoxalement, ce désir ou libido ou encore conatus opère non pas uniquement
par la dissection et la construction, finies et partielles puisque son objet
est enfermé à l'extérieur des bords de la chose élément, mais par l’approche
monographique de sa propre production ayant une intériorité et qui se distingue
du modelage
divin, par le fait que l’homme ne dispose pas de tout les objets de son désir.
Néanmoins, l’ultime explication de l’intériorité (dont la cause efficiente) est
téléologique, elle se présente sous une forme de théologie négative où la fin
n'est jamais transparente et mise à la disposition de la compréhension de
l'espèce humaine telle qu’elle est à la disposition du divin.
Donc,
le verum factum n’est pas une copie de la notion du Verbe théologique mais
un principe sur lequel repose toute la compréhension de la réalité
anthropologique dans laquelle « savoir serait composer les éléments des
choses : d’où la pensée serait le propre de l’esprit humain » alors que l’esprit divin
est pur factor « Dieu est le premier Facteur ; qu’elle* est
infinie, parce qu’elle lui représente les éléments, tant externes qu’internes,
des choses, car Dieu les contient.»
Dieu,
donc, conçoit ce qu’il contient, l’homme invente les noms en faisant les dénommés,
verum-factum qui signifient nous dit Vico « pour les Latins ‘’ verum ‘’
et ‘’ factum’’ sont réciprocables, ou comme on dit communément dans
les Ecoles, convertibles ; et il va de même pour eux de ‘’ intelligere’’,
‘’ perfecte legere’’ et ‘’aperte cognoscere ‘’ [...]. D’autre part, comme les mots sont des idées,
les idées elles-mêmes sont des symboles et des marques des choses : c’est
pourquoi, de même que lire est le fait de qui rassemble les éléments d’écriture
dont sont composés les mots, de même comprendre consisterait à rassembler tous
les éléments d’une chose, pour en exprimer l’idée complète. » Cette conception
spécifique à l’humain ou plutôt à la perfectibilité de l’humain se justifie par
le fait que l’homme n’est pas une donnée, il est un processus de l’être dont la
conception génératrice des facultés se développe avec le temps de la convertibilité.
D’ailleurs, les caussae selon Vico sont actives, elles sont génératrices
des choses humaines qui dessinent les modifications progressives des
mentalités, les mœurs, les conceptions, les modes de vie des sociétés humaines
et le développement des strates de la conscience sociale. I. Berlin émet une
hypothèse plausible vu l’intérêt des questions juridiques dans la vie et l’œuvre
de Vico. Et en ayant une vue panoramique sur l’origine humaniste et la
faisabilité du principe de la réciprocité de l’agir et de l’idée, il propose
d’expliquer la causalité selon Vico comme étant une notion plutôt juridique en
supposant qu’ « Il se peut également que, compte tenu de la profonde
implication de Vico dans la pensée juridique - son intérêt étant absorbé dans
l'histoire du droit romain et de ses implications sociales-, il y a un élément
de sens juridique en [la notion de] caussae, de la fortification d'une chaîne
de motifs, des impulsions, des actions et de leur impact sur les relations
humaines qui constituent le cœur des arguments devant les tribunaux, qui visent
à donner un compte rendu plausible des
circonstances individuelles ou sociales, des buts, du développement d'une
situation donnée à partir du moment où les questions juridiques se posent».
La
maniabilité et la portée du principe verum factum obéit elle même aux
fins de la pensée vichienne qui se refuse mutuellement à : (1) l’admission de la clarté et de la distinction
de la philosophie naturelle qui canalise les normes de la vie socio-politique
dans l’esprit de la méthode formelle ou pure et procédurale vu que cette
philosophie n'a pas fourni avec Descartes, lui-même, une théorie éthique qui
équivaut dans son système à l’importance de l’investigation scientifique
mais lors de la vulgarisation du cartésianisme, il n'a eu aucune hésitation de
ses successeurs d'achever son projet fondamental en l’appliquant dans la sphère
humaine tel que le Jus-naturalisme et l'utilitarisme, aussi différent qu'ils
sont l'un de l'autre, ces doctrines partagent le désir de fonder l'éthique sur
des principes aussi universels et certains que ceux des mathématiques
c'est-à-dire formelles qui ne sont applicables que par le biais de la procédure
et de la réification de la pratique
humaine. Et (2) La marginalisation des sciences humaines sous prétexte de
l’insatiabilité du monde social qui présente d’emblée une texture normative,
une réalité historique complexe structurée par des règles constitutives qui,
elles-mêmes, présupposent une maniabilité normative qu’on ne peut acquérir que
par une fouille destinée à mettre en lumière la naissance et l’enfance de
l’humanité toujours selon le même principe vichien que « l’ordre des
idées doit suivre l’ordre des choses » ou inversement on ne
peut comprendre la chose humaine qu’en consultant ses archives délabrés et
déformés par l’usage et les modifications des lieux et des temps. L’ordre des
choses lui-même est mobile vu qu’il
n’est chose que chose humaine et vu que dans tout les points de départ
c’est la marque faite par l’homme qui est évaluative, évaluée et hiérarchisée. Ainsi Vico nous
montre, «l’ordre suivi par les choses humaines : d’abord il y eut les forêts, puis les cabanes, en
suite les villages, plus tard les cités, finalement les académies.»
Donc
le principe de la réciprocité du fait et du vrai est un axiome qui légitime la
naissance d’une nouvelle science dans laquelle le platonisme démiurgique et les
aspirations baconiennes d’établir une nouvelle ère du savoir sur les bases de
l’expérience trouvent l’adéquation avec la réalité historique. Raison pour
laquelle la majeure partie de la
Scienza nuova vise à décrire la manière dont
les êtres humains, en particulier dans les temps reculés, ont tendance à concevoir
une vision du monde ou un sens adéquat à leurs vies, en utilisant leurs
facultés les plus actives pour comprendre et interpréter le monde naturel et
social dans lequel ils se trouvent. En exprimant les visions de ces mondes dans
les modes de comportement sociaux, juridiques, religieux et autres, l’homme incarne
son appartenance à un âge distinctif de la culture et de la civilisation dont
les institutions, les formes d'expression et de l'écriture, les mythes, les
fables, façonnent les concepts et croyances et produisent le sens de son
passage d’un âge à un autre. Ainsi la convertibilité devient l’expression de la
possibilité de la transmission et de la traduction des origines et des
profondeurs d’une action qui s’humanise par degré mais qui ne s’anéantit jamais
vu que les âges de la civilisation sont homologues à des étapes de la vie de l’homme et que la
trace des actes et des idées humaines sont inscrites dans la langue qui
véhicule l’existence de l’homme. De ce fait la théorie cyclique ou spirale de
l’histoire, qui culmine avec la théorie
vichienne des ricorsi ou le retour de la barbarie réflexive ne peut-elle
pas être une contradiction systémique avec l’interprétation accumulative
qu’engendre le principe de la réciprocité du verum - factum ?
Autrement dit si tout agir
est idée et toute idée est action dans
ce cas l’homme est effectivité perpétuelle. Comment peut-on alors expliquer le
risque du mirage réflexif qui tronque cette réciprocité entre l’agir et
l’idée ?
L’histoire
des nations est un thème débattu au XVIIe siècle. La comparaison répandue entre
le siècle de Louis Le grand et le siècle d’Auguste durant la Querelle est un repère apte
à indiquer l’importance de ce thème lors de ce
débat. Or William S. Haas désigne
Vico comme étant « le premier à reconnaître qu’après l'abdication de
l'histoire sainte, la philosophie de l'histoire laïque ne peut être construite
que sur l'idée de la civilisation et dans son travail, il a fait usage de
toutes les nouvelles conceptions, les catégories et les connaissances qui sont
à la base du monde moderne». Selon ce dire Vico ne
synthétise pas un discours déjà là ou une théorie historique dont les méthodes
et les fondements sont échafaudés mais
il fonde une nouvelle vision du monde historique qui caractérisera le discours
moderne. La vision propre à la
Querelle ressort plutôt d’une tendance historiographique qui
était pratiquée par les littérateurs de tout temps sous des formes implicites
et dans des styles imagés. A cette époque, l’histoire est pratiquée
par les rhéteurs ou confiée aux poly historiens, alors que Vico s’aventure en lui
accordant une importance cruciale. Il considère que l’homme n’est pas une
créature dans le sens qu’il a été de tout temps tel qu’il est aujourd’hui. Les
facultés hautement développées que rencontre l’homme d’aujourd’hui font qu’il
devient nécessaire de voir en lui, l’être qui
«se fait en faisant son histoire opérant par là une nette césure
entre les origines et la genèse de l’humanité.»
Or
si l'historiographie suppose un esprit critique et réflexif et une
objectivation nécessaire qui garantit un certain écart entre le sujet et son
objet, la philosophie de l'histoire a
besoin de ces compétences à un degré encore plus élevé. Le corpus vichien
présente une grande perception de l'histoire de l'humanité, en progressant dans
toutes ses branches, mais pas tous en même temps et avec le même rythme. Toutefois,
c’est un effort qui cherche à élucider un même but final, que ce processus de
la civilisation. Vico souligne la notion de Providence comme régulatrice de ce
processus et, parfois, il parle de la religion comme de la principale force
motrice de la concrétisation de l’humanité de l’homme (géants, héros, plèbes…)
en tant que tel. Mais l’ambiguïté réside
dans le fait que l’histoire des gentils est plutôt une histoire qui s’exprime
dans la sacralisation d’une divinité faite par l’homme lui-même avant même
d’atteindre l’âge de l’homme. L’histoire selon Vico est un processus autonome
de la civilisation. La civilisation, elle-même, est une et indivisible, même si
elle se compose de trois éléments principaux, le mythe, le droit et la langue, c'est-à-dire de
la religion, de l'autorité politique et de la connaissance.
Toutefois,
la critique vichienne est plus qu’une comparaison entre les deux conceptions
des siècles ou de la vertu des époques, (anciennes et modernes) ; étant
pleinement consciente des lacunes des fondements rationnels de la pensée
moderne, représentées notamment dans la philosophie cartésienne, elle assigne
un statut et une fonction constructrice à l’ensemble des facultés de l'homme et
des éléments de l’histoire des nations. Par nation, nous dit Paolo
Cristofolini, Vico entend simplement «l’homme en tant qu’il est civilisé et fait
partie d’un ensemble, d’une évolution, d’une culture et d’un langage, mais
aussi cet ensemble lui-même, cette évolution, cette culture, ce langage, qui
sont les éléments constitutifs de l’humanité de l’homme. » C'est-à-dire que cette
notion n’a pas encore le fondement théorique pleinement appliqué aujourd’hui
aux nations, mais simplement Vico en fait usage pour désigner la structure
essentielle de la naissance de la vie commune en la traduisant dans des mots expliqués
par l’étymologie : « humanitas vient pour lui de humari,
inhumer ; les hommes ne sont pas tels, ils n’ont pas d’humanité s’ils ne
sont pas socialement liés par trois pratiques essentielles : le mariage
monogamique (la « vénus pudique », opposée à la « vénus
canine »), la croyance en la
Providence (qu’elle s’exprime sous la forme de la religion
« vraie », ou sous celle de l’idolâtrie) et l’enterrement des morts.
Et lorsque ces pratiques essentielles sont respectées, les hommes sont
« nation », ils ont une naissance certaine, une génération commune,
bref, une « nature commune. ».
L’histoire des idées et celle de la civilisation sont
les deux voies par lesquelles l’homme de la République des Lettres
peut éclairer l'histoire de l'humanité. Les pratiques de l’inhumation, du
mariage monogamique et la croyance en
une autorité baptisée en tant que Providence sont les conditions qui
structurent la naissance des communautés mais l’analyse vichienne ne se
satisfait pas de la reconnaissance de ses débuts parce qu’ils n’expliquent pas
la complexité du réel sociopolitique. « De là découlent, comme d’une
grande source sortent plusieurs fleuves, l’origine des cités, qui s’élevèrent
sur des familles formées non seulement des enfants, mais aussi des famoli (de
là vient qu’elles se trouvèrent fondées
naturellement sur deux communautés, celle des nobles pour commander, celle des
plébéiens pour obéir et c’est de ces parties qu’est composée toute
l’organisation politique [polizia] ou droit des gouvernements civils).» L’histoire, donc, est
faite par l’effort des hommes à conserver ce qu’ils acquièrent par la loi et la
lutte contre les injustices avec le temps et la conscience ; ce qui
transforme la légitimation des droits en une affaire historiographique
dynamique et non pas une hypothèse rationnelle statique.
C’est
«dans la mesure où la propriété suit le pouvoir et où les famoli tenaient
leur vie précaire de ces héros qui l’avaient sauvée en les accueillant dans
leurs asiles, le droit et la raison voulaient qu’ils eussent une propriété semblablement précaire, dont
ils puissent jouir aussi longtemps qu’il plût aux héros de les maintenir en
possession des champs qu’ils leur avaient attribués.» C’est la lutte pour des
droits équitables qui est l’expression de la transition de l’homme dans un
monde où l’inégalité originaire du hôte propriétaire et du plébéien déshérité
se confrontent dans un processus d’adaptation et puis de résistance qui peut, ou
pourra, moduler les événements de l’histoire mentalement et réellement de sorte
que la production des caractères ou des idées de chaque couche diffère de
l’autre selon les modifications de leur mens et par conséquent suivant l’évolution
ou la dégradation du réel vécu. La civilisation, donc, n’est telle que par la
lutte pour la reconnaissance et non pas uniquement par le fait qu’elle est
famille et rite de l’humanisation (enterrement des morts, mariage et croyance
ou réglementation morale).
Mais
alors, si Vico pense que le critère du salut transcendant est inexorable et
tellement éloignée de l'ordinaire, il serait contradictoire de saisir la lutte
pour la reconnaissance comme le mode de vie propre au processus historique de
l'homme. La dignité humaine d’ailleurs ne peut être acquise que par la
divulgation des lois de la cité. Vico
précise que dés le début des temps, à l’âge des dieux, « on peut
dire à juste titre que Cérès découvrit à la fois le blé et les lois. » De cette indication on retient que le droit
véhicule toujours la pratique de l’humanisation non dans un consensus
conventionnel là ou la crainte et la terreur de la guerre de tous contre tous
imposent volontairement la soumission de la majorité au Léviathan hobbesien en
s’aliénant et en se dissociant de sa
liberté. Mais la nouvelle Idée de
l'homme comme microcosme, qui reflète la
perfection du macrocosme, implique que rien n'est étranger à l'homme et que la
loi dans sa naissance est une expression du droit naturel des gente et
non pas de l’individu ou du microcosme. Dans l’avant loi il n’avait ni micro ni
macrocosme. Il y avait des bestioni errants dans la grande forêt. C’est l’époque
la plus difficile à explorer vu l’absence de la parole et même des monuments
qui guident l’historiographe dans l’élucidation de ces faits. Mais les
témoignages des explorateurs contemporains de Vico, ainsi que quelque données
physiques, astronomiques et surtout la nécessité théorique de commencer par le
commencement des choses ont incité Vico à poser l’hypothèse concernant le monde
antédiluvien ou le degré zéro de l’histoire.
Néanmoins,
Vico rappelle à l’humanité une tradition
égyptienne, c’est celle de la métaphore des trois âges de l’histoire, l’âge des
dieux, l’âge des héros et finalement l’âge des hommes. « Nous allons
maintenant, avec l’aide de ces lumières tant philosophiques que philologiques
et en nous appuyant sur les dignités établies plus haut où il est question de
l’histoire idéale éternelle, parler du cours que suivent les nations en
procédant avec une uniformité constante dans toutes leurs coutumes variées et
différentes, selon la division des trois âges que les Egyptiens disaient s’être
écoulés autrefois dans leur monde, l’âge des dieux, l’âge des héros et l’âge
des hommes.
» Pour commencer par le degré zéro de l’humanité, Vico décrit les premiers
géants de la grande forêt en précisant leur bestialité dans le fait qu’en
« cherchant à échapper aux bêtes féroces dont la grande forêt
devait abonder et poursuivant les femmes qui, dans cet état, devaient être
sauvages, rétives et timides, ils s’égaillèrent de tous côtés pour trouver de
la nourriture et de l’eau, les mères abandonnant leurs enfants qui durent peu à
peu grandir sans entendre une parole humaine ni apprendre une coutume humaine,
si bien qu’ils en arrivèrent à un état tout à fait bestial et sauvage. » Ils étaient, donc, des
pièces de la forêt qui les héberge. L’absence de la communication précédemment signalée
est, dans l’œuvre de Vico, récapitulative de l’absence de l’humanité des bestioni.
Il a fallu des siècles pour que l’avènement de l’humanité advienne en l’homme, certes
catalysé par des événements cosmologiques tel que le déluge et le tonnerre. Mais
cet avènement, même dans son caractère primitif, n’est pas orienté par la nature
extérieure des faits cosmologiques mais par une attitude significative dans le
sens que Vico dans son récit précise que ce catalyseur événementiel n’a pas
transformé tous les bestioni en pieux mais quelques uns qui ont de l’intérieur
senti la crainte et la curiosité ou l’étonnement. Néanmoins, Vico s’ingénie à attribuer
à ces événements des explications physiques en puisant dans toute la science
naturelle de son temps afin de rendre plausible l’hypothèse du déluge qu’il
adopte moyennant ses lectures des textes canoniques.
Ainsi,
un tel début tout à fait obscur de la naissance de l’étonnement et de la
curiosité peut être expliqué comme étant un éveil simultané d’une conscience de
l’ignorance et de l’aptitude à la connaissance. C’est le libre arbitre des
pieux en qui l’étonnement et la curiosité se sont éveillés. En brûlant la grande
forêt et en cultivant les premières propriétés, ils découvrent le sens du mot divini
dont le caractère est « Jupiter [qui] naquit naturellement en
poésie comme un caractère divin, un universel fantastique, auquel toutes les
anciennes nations païennes ramenaient tout ce qui était relatif aux auspices». C'est-à-dire en faisant
les lois de la vie commune par le fait de canaliser les usages et les rites qui
mèneront à la naissance de l’histoire proprement humaine. La civilisation n'est
donc plus subordonnée à la providence, même dans l’âge héroïque, mais à une
valeur positive dont la croyance devient un élément de civilisation entre
autres ; et même si elle était considérée comme importante, l’homme aurait
tout de même à faire des compromis avec les autres afin de ne pas perturber
l'harmonie des différents éléments qui composent la civiltà. L’Homme
demeure intimement lié à la nature et il doit se sentir particulièrement en
harmonie avec sa propre histoire, dont il est le seul créateur, en tant
qu’agent et de même comme bénéficiaire de cette même civilisation. Celle-ci commença, selon Vico,
« avec l’eau, dont la nécessité fut comprise avant celle du feu, comme
on le voit dans les formules du mariage et l’interdiction, dans lesquelles ‘’aqua’’
vient avant’’ igni’’. » Ce sont les détailles
de cette science qui ressortissent des racines et des syllabes des mots
appartenant aux langues anciennes et à partir desquelles Vico élabore la
description au cours de l’histoire universelle. Il découvre
simultanément la fonction médiatrice du langage, qu’il souligne à chaque moment
de son élaboration en structurant l’histoire de l’homme tout autour.
Vico saisit le « soi-même » moderne comme
étant une entité créatrice, non seulement de ses abstractions mathématiques, mais
de l'acteur social, c'est à dire faiseur des arts et du langage, de la famille
et de l’éducation, du droit et de la morale, en fin de tout ce que la
civilisation peut signifier. C’est pour retrouver l’acte fondateur de toute
civilisation possible que Vico entreprend sa fouille philologique auprès des
majeurs de façon que « l'étude
des anciens n'était que le retour au sens primitif révélateur et fondateur des
valeurs d'un peuple, source de sa poésie et de sa philosophie, en bref de sa
culture. Au moyen de leur propre langue, les hommes pouvaient se rencontrer
dans leur image originelle qui était au commencement de leur histoire. »
L’universalité
du cours de l’histoire des gente ne présente pas un prototype ou un
processus typique par lequel on distingue une civilisation par rapport à une
autre. Selon Vico, la civilisation humaine est une dans toutes ses variétés et chaque
branche de la famille humaine peut et pourra atteindre l'apogée de la
civilisation, sous la forme correspondante à son génie et c’est dans cette
diversité des formes que l’universalité se concrétise en exprimant
l’originalité de l’effort humain qui se fait en s’adaptant à des conditions
spatio-temporelles et à un génie qui lui est propre. C’est à dire qu’il n’y a aucune logique justificative de
l’intervention étrangère pour la modélisation culturelle d’un peuple à un
certain âge différentiel de la civilisation sous prétexte qu’il est indigne et incapable de progrès culturel
actif. Le discours vichien incite Plutôt ceux qui se voient possesseurs d’une
histoire plus avancée à respecter et à comprendre la condition de leur propre
développement naturel de façon à faciliter un développement structurellement
similaire et réellement plus originaire de ladite civilisation à modeler. C’est
l’étude de la géographie historique qui spécifie cette dynamique « afin
de déterminer les temps et les lieux pour une histoire de cette sorte,
c’est-à-dire quand et où ces pensées humaines naquirent et ainsi lui donner la
certitude au moyen d’une chronologie et d’une
géographie, pour ainsi dire, métaphysiques, qui lui soient propres, cette Science
use d’un art critique, également métaphysique, qu’elle applique aux fondateurs
de ces mêmes nations chez lesquelles bien plus de mille ans durent s’écouler
avant pussent y apparaître les écrivains dont la critique philologique s’est
occupée jusqu’ici.»
A la différence de la conception linéaire de l’évolution socio-historique
qui caractérise la confiance aveugle de la part de ses contemporains en un
progrès perpétuel des sociétés industrielles, Vico nous dit que les
nations se succèdent selon une division en âges ou en cycles historiques. C’est
à partir de l’étude des civilisations anciennes, et en analogie avec le cours
de la vie de l’homme, qu’il réussit à rétablir une vision dont la structure
paraît archaïque alors que le fond est plutôt prévisionnel à savoir son ajout de
l’étape de la barbarie de la réfection à la conception cyclique de l’histoire. Cet
ajout exprime et décrit un risque spécifique que l’homme déjà civilisé peut vivre.
La conception cyclique de l’histoire, d’ailleurs, peut favoriser une compréhension
possible des rythmes et des répétitions possibles dans les modifications des
mentalités et des structures sociopolitiques qu’elles expriment. Mais la
nouvelle découverte vichienne des ricorci est une alerte contre l’hégémonie
de la raison spéculative et de la
chosification de la production humaine et de l’homme même qui centre son intérêt
dans la promotion hiérarchique et donc à la classification des civilisations et
des sociétés au lieu de se poser la question autour du rythme de l’évolution
sociale des nations et de leurs spécificités les plus appropriées.
L’accessibilité
de la conception cyclique de l’histoire réside dans le fait que celle-ci se
présente sous une forme téléologique. Et c’est « en suivant un
ordre jamais interrompu de causes et d’effets toujours présent chez elles
[les sociétés humaines]*, par trois espèces de natures. De ces natures
naissent trois espèces de coutumes ; de ces coutumes, on voit sortir trois
espèces de droits naturels des gente ; en conséquence de ces lois, sont
ordonnées trois sortes d’Etat civils ou républiques ; pour que les hommes
venus à la société humaine puissent communiquer entre eux, toutes ces
trois espèces de choses suprêmement importantes dont on vient de parler, trois
espèces de langues sont formées et autant d’espèces de caractères ; ces
choses sont justifiées par trois espèces de jurisprudences, assistées par trois
espèces d’autorités et par autant
d’espèces de raisons [droits] dans autant d’espèces de jugements ;
ces jurisprudences sont pratiquées dans trois sectes des temps [sètte de
tempi] que professent les nations dans le cours entier de leur vie. » Donc les coutumes, le
droit et l’Etat dirigent la naissance, la jeunesse et la maturité et peut être
l’extinction des nations à travers l’agir langagier qui représente selon le
temps réel des nations, le modèle et la représentation du monde que fait un peuple
de son devenir. C’est ce qui permettra à l’homme dont les facultés sont
pleinement développées de comprendre ce qu’il fait de son passé et de son
avenir.
Cette conception téléologique, que nous pourrions voisiner
avec le processus normatif propre à l’homme comme être de la société et dans
lequel les rouages des biographies sont canalisés. Et à l'encontre de
l'autonomie octroyée à la dimension technologique produit synthèse de la raison
spéculative et de la société aliénée du Léviathan hobbesien, Vico affirme
l'autonomie culturelle des produits intersubjectifs de la communication par le
biais du langage. Ainsi pour comprendre le faire de l’homme, il est inévitable
pour le philosophe et le juriste de comprendre l’histoire des idées
humaines à travers l’histoire des langues et des institutions humaines. Ce sont
les témoins les plus certains vu leurs résistances à l’effet du temps et la
vanité humaine. La langue sauvegarde sa
jeunesse enfouie dans la mémoire de l’homme. Les institutions et les monuments
indiquent l’état de la civilisation et l’esprit des gente dans le sens que la
finesse et le grotesque des monuments expriment leur âge à travers le temps et
l’exemple le plus explicite cité par Vico est celui des gigantesques temples
pharaoniques en comparaison avec les fines statuettes grecques. Vico dit concernant
cette comparaison : « Quant à la magnificence de leurs monuments
et de leurs pyramides, elle pouvait bien être née de la barbarie, qui s’accorde
avec la grandeur : c’est pourquoi la sculpture et la
fonderie égyptiennes sont considérées encore aujourd’hui comme extrêmement
grossières. Car la délicatesse est le fruit de la philosophie. » Les premières, donc, expriment la secte du temps héroïque
égyptien et l’autre transpose la finesse de l’esprit philosophique qui s’est
développé grâce à l’échange et l’évolution de l’aristocratie d’Athènes vers un
autre âge qui est propre à l’humain dont les facultés sont plus développées et
dont les valeurs deviennent plus civiles.
La
Querelle des Anciens et des Modernes pose
à Vico le dilemme du devenir humain en prétendant le dépassement du problème de
la maîtrise du savoir humain. Les Anciens et les Modernes se querellent à
propos des données statiques prêtes à être classées comme l’Iliade et l’Odyssée.
Alors que l’ingéniosité d’Homère cristallise la genèse progressive de l’esprit humain, dans la
formation des concepts vichiens, il y a une prévention et un traitement d’une fissure qui
commence à être effective entre la créativité sous sa forme culturelle et le
réel humain. La conceptualisation réalisée par la Scienza nuova présente la découverte du vrai
Homère comme étant l’appropriation de
l’esprit de sa propre genèse créative non dans le sens esthétisant mais dans
celui du faire culturel le plus vital. Cette vitalité se traduit d’une manière
plus explicite au niveau de la théorie de la connaissance quand il énonce le
principe de la convertibilité du verum et du factum. Ce principe
transpose l’agir humain à un niveau similaire au Verbe de façon que la scission
entre l’agir et l’idée s’éclipse pour déceler une vanité trompeuse de la raison
mécaniste chimériquement simpliste. Afin de mettre en évidence la totalité contextuelle et
complexe que représentent le sens et le réel humains, le concept de l’histoire commune des nations concrétise la visée de la
philosophie vichienne dans laquelle les unités de mesures prennent l’allure
d’un dynamisme propre aux actions et aux
âges de la culture des gente.
Ainsi l’alternative élaborée par la pensée
vichienne paraît à travers les trois concepts clefs traités dans ce chapitre,
comme étant une philosophie critique du XVIIIe siècle bien que cette critique
n’obéit ni à la méthode cartésienne ni à
la logique de Port Royal, non plus encore à la philosophie pratique fille du
droit naturel. Plutôt, elle ne dénigre pas le sens commun, la tradition et tout
l’ancien, d’autant qu’elle sillonne les multiples champs cognitifs de l’humain
pour découvrir des éléments de réponse à la scission entre la République des lettres
et le sens commun, entre la raison et les facultés subalternes, et puis pour
combattre la différenciation qui commence à habiter l’esprit occidental
concernant les préjugés d’une prétendue supériorité par rapport aux autres
civilisations et cultures. En considérant la découverte du vrai Homère comme
une profonde fouille en la créativité poétique, Vico désigne la primauté du
rôle du langage dans la transmission du certain. Un savoir-faire authentique est
approfondi afin d’être pensé dans les termes de fondateur des nations parce
qu’il traduit la convertibilité nécessaire entre le faire et le vrai. Ainsi la
scission, entre la théorisation et la pratique ou l’agir stratégique et
communicationnel et la critique de l’histoire commune des nations systématisent
la philosophie vichienne en une chaîne des raisons irréductible à un champ de
savoir traditionnellement désigné. Plutôt la philosophie vichienne se
transforme en une histoire générale des idées humaines et en une généalogie des
préjugés de la pensée ancienne et moderne. Ce caractère générateur des
recherches multidisciplinaires est appréhendé et désigné en tant qu’ambiguïté
propre à la Scienza nuova. Néanmoins le titre même de
l’œuvre nous invite à penser sa scientificité et il évoque une nouveauté qu’on
attribue historiquement à Galilée et à Francis Bacon. Comment, peut-on se rappeler
des deux grands novateurs de la science moderne en lisant une œuvre qui traite
de la science antique et la réhabilite en quelques lieux ? Dans quelle
optique peut-on parler de la Scienza nuova comme étant une réponse
scientifiquement novatrice par rapport au discours scientifique régnant lors de
la Querelle
des Anciens et des Modernes ? Donc quels sont les critères de cette
science vichienne et quelle est sa portée ?
Si
l’histoire des nations doit satisfaire un intérêt de connaissance nécessaire
à l’homme, alors on doit la reconstruire
en conformité avec les critères scientifiques adéquats. Or cette condition ne
pourrait pas être satisfaite si l’histoire demeure livrée uniquement aux hommes de lettres, aux
généalogistes et à la mémoire collective. Afin de reconquérir le champ des
études historiques et anthropologiques, il faudrait les libérer des erreurs
arbitraires et des explications non historiques et subjectives des assomptions
nationales injustifiées. D’ailleurs les conceptions mutilées de l’histoire
n’ont engendré que des erreurs et cela est à remarquer à tous les niveaux du
discours qui s’interroge sur l’homme, sa culture et sa nature. Une vision plus
scientifique et mieux argumentée permettrait à l’homme de bien distinguer
l’erreur des philosophies modernes qui confondent dans leurs systèmes le
« droit naturel » avec le
droit civil ou le « droit naturel des gente » qui a pris
naissance dans le temps.
L'implication de ce qui
est révélé par Vico dans ses réinterprétations "scientifiques" du
discours traditionnel, doit transformer ce discours en une source primaire des
descriptions des données susceptibles de vérifier la véracité des prétentions
de tout discours à venir et qui a pour objet l’homme, la culture et la
civilisation. Une utilisation scientifique de telles données doit donc être
basée sur des principes méthodologiques permettant à l'historien, à l’anthropologue
et au théoricien de la politique de tenir compte des altérations « naturelles »
et de les corriger. C’est ainsi qu’ils récupèreraient la voie d’une vision
originelle de l’homme et de ses « modifications » faute de pouvoir
affirmer le progrès des temps modernes ou la suprématie des temps anciens.
Ce qui est naturel dans
les altérations de la compréhension de l’action humaine est, selon Vico, une
inclination naturelle à juger l'inconnu et l’éloigné d'après l'analogie avec
"ce qui est familier et à portée de la main." Cela mène à deux sortes
d'erreurs : (1) La première, "la vanité des nations" : c’est
la tendance d'écrire l'histoire d'un point de vue nationalement influencé. De
là les revendications incompatibles de la plupart des historiens dont les
nations propres avaient fait l'histoire la plus vieille ou avaient été
responsables de l'introduction d’une part des pratiques civilisées dans le
monde. (2) La seconde, "la vanité
des savants" : c’est la tendance de supposer que l'on connaissait
toute la connaissance contemporaine et qu’il est tout à fait légitime d’interpréter
l'histoire des premiers essais de l’humanisation de l’homme à partir de ce qu’on
connaissait.
Vico a présenté un système argumentatif de ce
type de rationalité dans la Scienza Nuova après avoir épuisé la critique du
rationalisme cartésien dans ses autres œuvres ; ce qui représente
un acquis qui lui a permis de passer à une étape de reconstruction théorique
plus systématique. A ce niveau Vico a besoin de rénover non seulement la
lecture de l’histoire des nations comme champs d’investigation en friche, mais
de fonder encore une lecture possible de l’œuvre humaine. Bien que l’utilité
d’une telle entreprise puisse être primordiale pour une nouvelle compréhension
de l’homme, les outils et les procédures ne devraient pas s’assimiler épistémologiquement à toute autre science déjà construite telles
que la physique ou la chimie, ou même l’anatomie humaine vu que l’objet de
cette science est l’homme dans ses dimensions matérielles et immatérielles.
Quelles seront alors les caractéristiques de la
science vichienne ? Quelle est la nature de la connaissance de l’action
humaine ? Est-ce que l’homme et l’histoire pourraient être l’objet d’une
science ?
Au cours du développement
de sa critique Vico donne une indication concise de l’importance d’une solution
apportée aux études des faits socio-historiques vu que les études de ce genre,
jusqu’à l’établissement des nouveaux principes de la science, «ont
échoué à moitié les philosophes qui ne donnèrent pas à leurs raisonnements une
certitude tirée de l’autorité des philologues et les philologues qui ne se
soucièrent pas de donner à leur autorité le caractère de la vérité grâce au
raisonnement des philosophes ; s’ils l’avaient fait, ils auraient été plus
utiles aux républiques et ils nous auraient prévenu dans la conception de cette
Science. » D’une part, les théories philosophiques ont développé
des modèles purement hypothétiques de la nature humaine et de la société ce qui
les a amené à ne se prononcer que sur l’universel en se détachant totalement du
particulier. Alors que le particulier est l’outil et la preuve ou l’exemple qui
vérifie l’universel. D’autre part, les philologues
ou les littérateurs de l’histoire nous ont rapporté des faits divers éparpillés
et incohérents qui ne peuvent être acceptés comme une connaissance fiable. Et à la lumière de l’évolution de la critique
vichienne on s’aperçoit, avec Léon Pompa, que
les charges contre ses adversaires
deviennent de plus en plus compréhensibles. La philosophie a été en
effet pour longtemps concernée par le développement a priori des modèles
de sociétés qui ne peuvent pas dériver des faits particuliers qui font les
enjeux de l’histoire. Alors que les historiens ont produit des discours
arbitraires de façon qu’on ne puisse pas admettre qu’ils fassent référence.
L'implication de cette mise en place des philosophes comme des
philologues est cruciale pour l’échafaudage des nouvelles conditions de la connaissance scientifique qui ne peut dorénavant
être réalisée que par le biais d’une coopération étroite entre les discours qui
ont pour objet l’étude de l’homme. Et ce sont les enjeux de la nature de la
question et l’utilité de la réponse pour le genre humain qui dicte la nécessité
d’une relation de complémentarité et de contrôle mutuel entre des connaissances
empiriques fragmentaires et d’autres abstraites et universelles de la nature
humaine et de sa pratique. Une complémentarité qui est activée par la méthode
comparative proposée par Vico. Cette méthode est une
procédure qui témoigne de la
transplantation ou de la greffe qu’a fait Vico dans le corps de la science de
l’homme pour l’ascendance de la connaissance de la civilisation humaine vers la
scientificité et c’est E. Durkheim qui formule la reconnaissance envers la méthode
vichienne en disant « la méthode comparative est l’instrument par
excellence de la méthode sociologique. L’histoire, au sens usuel du mot, est à
la sociologie ce que la grammaire grecque, ou la grammaire latine, ou la
grammaire française, traitées séparément les unes des autres, sont à la science
nouvelle qui a pris le nom de grammaire
comparée.»
La comparaison peut nous révéler
que les arguments de la pensée philosophique ont eu la rigueur et la cohérence nécessaire
pour donner forme à la science, mais voir qu’ils ont été présentés comme étant
purement conceptuels, ils n'ont fourni aucune base pour la connaissance des
faits particuliers. Alors que les philologues ont produit des conclusions de
faits particuliers, leurs méthodes et leurs justifications n'ont pas été adéquats de façon
que leurs discours fasse perdre à ses objets toute objectivité voire même tout
sens positif et c’est pour cela que le discours
des uns et des autres a été un foyer des « invraisemblances,
absurdités, contradictions, impossibilités de ces opinions. »
La nouvelle science de la
Scienza nuova, cependant, produira un
système de pensée dans lequel les vérités universelles de la philosophie et les
faits particuliers de la philologie seront en collaboration pour produire une
connaissance «des choses humaines et des choses divines». Vico décrit cette nouvelle relation en proposant
que la philologie doit être authentifiée par la philosophie. Car en saisissant
le certain, la philologie le vérifie, elle l’examine en le comparant aux
témoignages, aux documents, aux monuments. Après quoi la philosophie pense la
logique interne qui fait les similitudes. Celles-ci font la plateforme de
toutes les histoires particulières, de sorte
que la philosophie remplisse l’exigence de la science qui a toujours un rapport
avec ce qui est universel et éternel, comme le précise la définition
aristotélicienne. Collaborer avec le philologue qui traite de ce qui est créé
par le choix humain pour répondre à une exigence de l’universel est un rapport
qui est apparemment voué à un discours philosophique impertinent. Alors comment
Vico a-t-il revu ce rapport paradoxal de l'universel et l’éternel au
particulier et au contingent avec la prétention de découvrir la pertinence
?
Léon Pompa réagit à un
tel problème en disant que la relation entre l’universel et le particulier est
autant plus cruciale qu’elle est ambiguë. Mais pour
comprendre la présupposition de Vico, il faut transgresser les références
vichiennes et être conscient que là où Vico reprend la définition
aristotélicienne il est le moins aristotélicien parce qu’il lui
serait impossible de dériver une science « nouvelle » à partir
de la théorie des sciences d’Aristote qui se fonde sur le formalisme de la
syllogistique. D’ailleurs, Vico considère
que c’est la méthode de Bacon, qui est « la plus assurée »;
c’est bien entendu la méthode du cogitare-videre,
du « penser - voir » selon
laquelle Vico distingue les « preuves philologiques [qui] servent
à nous faire voir dans les faits les choses que nous avons méditées en idée
relativement à ce monde des nations, selon la méthode employée par Verulam
[Bacon], qui est ‘’cogitare-videre’’ ; ainsi, grâce aux preuves
philosophiques données d’abord, les preuves philologiques qui leur succèdent
voient leur autorité confirmée par la raison en même temps, qu’elles
confirment la raison par leur autorité.» Donc cette distinction se
fait entre l’ordre de la connaissance philosophique et l’ordre des
données philologiques. C’est-à-dire établissement d’une hiérarchie entre
la nature de la preuve philosophique et celle de la
preuve philologique. La première médite « en idée ce monde des
nations. » C'est-à-dire qu’on retrouve ici le concept de la « preuve
par des raisons » ; la deuxième sert « à nous faire voir dans
les faits » les choses que l’on a méditées en idée ; de la sorte on
peut joindre les deux bouts de l’expérience humaine à travers l’expression de
la preuve, par des faits, qui supporte le volet expérimental et intellectuel
effectivement.
Et un tel raisonnement peut justifier la
revendication vichienne d'avoir produit une science nouvelle et de maintenir la
supériorité de la pensée historique et de la philosophie effective. La
nouveauté se fait aptitude de savoir et de
voir simultanément et sans exclusion. Mais doter la philosophie de la vue et la
philologie de la raison est-il possible sans causer de tort à l'un ou à l'autre
des activités ? Selon la
Scienza nuova et lors de ses argumentations
par l'exemple, Vico nous enseigne que l'épanouissement de la rhétorique et de
la topique vient combler le manque de la science formelle et rationnelle. Par
contre l'ère de la philosophie et de la raison tend naturellement à réduire et à
défavoriser les arts fictifs et les
belles lettres comme Vico l’annonce dans l’élément XXXVI « L’imagination
[fantasia] est d’autant plus
robuste que le raisonnement est plus faible ». Ainsi le contraire est
logiquement vrai. Mais cette argumentation comme le démontre Hayden
V. White n’est pas seulement théorique vu que Vico vivait vraiment une situation qui
justifie l’ambivalence. De son temps, il ne pouvait pas se décider par quelle
méthode on pourrait comprendre cette relation entre la philologie et la philosophie. D’une certaine façon il
éprouvait de l’orgueil dans l’achèvement philosophique de sa propre
civilisation, de l’autre il trouvait dans le savoir philosophique un symptôme
de la décadence des facultés poétiques dans une civilisation enracinée dans une
culture poétique. Donc le triomphe de l’esprit philosophie était un indicateur
d’une société qui remplace l’intérêt de
la connaissance par un intérêt marchand. C'est
pour cela qu'un acte concluant, risque
de passer sous silence les impacts d’un tel enjeu sur la méthode que Vico adopte pour nous faire voir comment en
réorien tant les fins et les enjeux du savoir on oriente notre conception
d’une théorie de la connaissance vers un nouveau dessein.
Cependant une telle situation
concurrentielle entre "les facultés de l'âme" ne peut pas être utile,
selon Vico, sans une certaine conception adéquate de l'histoire humaine,
c'est-à-dire, de la véritable origine de toute conception humaine du monde.
Mais « ce monde civil a certainement été fait par les
hommes et par conséquent on peut, parce qu’on le doit, trouver ses principes à
l’intérieur des modifications de notre propre esprit [mente] humain.» Alors c’est à l’homme de
se connaître, de limiter sa subversion naturelle ou de la convertir dans le
sens de la vertu qui lui est utile et pour ce faire il doit mobiliser tous ses
outils et toutes ses forces. Mais
qu’est ce que l’homme selon Vico ?
Le cogito cartésien qui annonce
l’émergence d’une culture de l’individualisme nous dit Vico, n’est que solipsisme
et inconséquence. On ne peut, selon lui, aborder la nature de l’homme qu’à
travers ces œuvres socialement conditionnées au moyen d'une double différenciation
entre l'homme en tant qu’individu et l'homme à travers ses relations sociales diverses,
c'est-à-dire considéré conformément aux descriptions de ses relations sociales
et ses rôles. Et à un autre niveau, la différenciation se fait au sein
de sa propre histoire, selon les époques et selon l’équilibre atteint entre les
couches sociales. C’est un travail qui se fait sur un plan microcosme et en
même temps macrocosme.Considérer à partir de
cette totalité dont le point de départ est
une nature « déchue » qui se manifeste au niveau de
l’intériorité de l’homme en tant qu’un individu et de l’extériorité dans une
société, la philosophie ne peut pas continuer à considérer « l’homme tel
qu’il doit être » de façon qu’ « elle ne peut donc être utile
qu’au très petit nombre de ceux qui veulent vivre dans la république de Platon
et non se plonger dans la lie de Romulus ». Alors que le modèle du
champ juridique fournit à la philosophie le modèle de considérer l’utilité comme cruciale. Sans ce modèle, la
philosophie devient un discours détaché de l’opinion publique qui doit être sa
raison de vivre et son champ d’influence. Ce modèle nous dit Vico est « la
législation [qui]* considère l’homme tel qu’il est » c'est-à-dire faible
et déchu mais en même temps apte à convertir ses vices en vertu grâce à la
législation qui a su trouver le cadre là où le respect et l’intériorisation de
l’autorité des lois n’est pas contestée arbitrairement et c’est au philosophe
qui s’interroge sur la nature humaine de s’impliquer dans cette conversion des
vices en vertus. Pour se rendre utile au genre humain le philosophe « doit
relever et soutenir l’homme déchu et faible, sans faire violence à sa
nature ni l’abandonner à sa corruption. » Sans remplir cette
tâche, la philosophie n’aura pas d’auditeurs, et sans les auditeurs elle n’aura
non plus d’intérêt pour l’humanité.
Le rôle du philosophe donc doit s’intégrer dans
une vue globale des besoins de l'homme objet central de sa recherche. Vu que la
conversion ou les perfections souhaitées de la nature humaine ne peuvent avoir
lieu qu’au sein d’un environnement sociopolitique. Ainsi la prudence exigée de
la pratique philosophique se justifie par une prévention qui nécessite la prise
en considération du règne du sens commun sur le jugement de l’interlocuteur du
philosophe. Ce non philosophe procède selon la définition vichienne du sens
commun en suivant « un jugement sans aucune réflexion, senti en commun
par tout un ordre, par tout un peuple, par toute une nation ou par le genre
humain tout entier. » Il est important de
noter encore que cette quête de perfectionnement même si elle est personnalisée
et volitive, elle est dans ce monde des nations une voie qui utilise les fins
étroites de l’homme comme des moyens à des fins plus larges. Et c’est compte
tenu de cette constatation que Vico asserte qu'on ne peut pas expliquer le
développement d'une structure sociale complexe en envisageant uniquement les fins
consciemment suivies ou souhaitées par l'homme
et c’est la raison pour laquelle Fosco Mariani–Zini juge
que l’originalité de Vico se manifeste clairement dés que le lecteur se
confronte avec une tentative de saisir une coprésence de l’action humaine qui
fait l’histoire, et de l’histoire qui fuit la maîtrise instantanée de l’homme.
Le problème de la
maîtrise des fins de l'histoire est un problème qui traduit le décalage ou le
[déphasage] entre le moment de la manifestation de l’idée et le moment de la réalisation
du fait. D’ailleurs Robert Caponigri
a consacré un ouvrageintitulé
« L’idée et le temps : la
théorie de l’histoire chez Giambattista Vico » afin d’étudier le problème fondamental de la philosophie de Vico, celui
des relations possibles entre la manifestation de l’idée et l’effet du temps.
Il considère que le problème philosophique
de l’histoire comme il a surgi dans son
double contexte du droit naturel et du projet d’une science de l’homme s’est
déterminé dans la philosophie de Vico.
Le temps est le
principe formel des structures positives d'une société et de sa culture, c'est
lui qui définit la plus grande partie de l'ordre qui la structure. Les sociétés
apparaissent dans une succession temporaire en manifestant la variété et la
diversité qui sont des transformations, et un dynamisme qui caractérisent la
positivité d'être dans le temps. A l'opposé de cette réalisation, l'idée
définit cette plénitude ou cette perfection dans un instant bien déterminé, ce
qui peut apparaître comme l'implication de ce dynamisme temporel positif et à l'encontre duquel le processus
de la formation concrète des structures de la socialité et de l'humanité
peuvent être évaluées.
De là on peut affirmer
avec Vico que l’idée s’est manifestée bien en retard par rapport à son objet
qui est le fait ou le concret qui s’est fait une histoire prête pour être
évaluée par la philosophie qui « donne forme » à l’idée. Si on étudie les strates du développement d'un jeu des
institutions sociales en se référant aux classiques latins ou grecs ou encore arabes, on trouvera
que ces institutions sont considérées comme étant le résultat fortuit d’une activité
individuelle d’un héros ou d’un roi ou même d’un sénat. Mais ce que Vico remarque,
en travaillant sur ses mêmes classiques, est que cette description des faits ne
peut être plausible, vu qu’une simple comparaison des histoires des différentes
nations nous permet de découvrir des ressemblances entre les institutions des différents peuples et les
ordres par lesquels celles-ci se sont développées. Donc l’étude du cours de
l’histoire des nations nous apprend à reconnaître que pour l’explication des
effets semblables, ou phénomènes, on doit associer des causes semblables, ou
explications.
Toute autre compréhension
des faits historiques comme étant des faits isolés ou singuliers et individuels
est atteinte à l’humanité de l’homme. Vico insiste, dans le paragraphe 1108,
sur la contradiction entre l’action civilisatrice et l’individualisme. Il
explique que le fait de poser que « les
hommes ont eux-mêmes fait ce monde des nations » ne se
contredit pas avec la vérité qui affirme que ce même monde est « sans
aucun doute sorti d’un esprit [mente] souvent différent, parfois tout à fait
contraire et toujours supérieur aux fins particulières que les hommes s’étaient
proposées » parce que les faits historiques nous confirment que les
fins des hommes prises individuellement** sont des fins limitées à leurs
propres utilités qui n’expliquent en rien le processus de l’histoire des
nations. Ce sont les fins de l'action immédiate de l'homme qui servent de
moyens pour des fins médiates plus vastes, afin de conserver la race humaine
sur cette terre. «Car les hommes veulent jouir du désir bestial et
abandonner leur progéniture et de là ils créent la chasteté des mariages, d’où
naissent les familles ; les pères veulent exercer sans modération les
pouvoirs souverains paternels sur les clients et ils les assujettissent aux
pouvoirs souverains civils, d’où naissent les cités […] Ce qui fit tout
cela, ce fut un esprit [mente], puisque les hommes le firent avec intelligence. »
Et d'ailleurs le "mente"
agit selon un libre arbitre humain qui n'est pas tout à fait conscient de soi-même,
puisque la fin de son action dépasse ses propres utilités pour atteindre les
utilités du genre. Et son action n'est pas arbitraire puisqu'elle est
conditionnée par la contrainte
institutionnelle. Le libre arbitre, par conséquent, n'est pas absolu il est
toujours conditionné par un environnement institutionnel dans lequel nait
l'ensemble des besoins et des utilités de l'homme et selon lesquels il choisit
sa voie tout en sachant qu'à chaque type d’action correspondent les mêmes conséquences. Vico multiplie les exemples
dans ce sens pour préciser que l'homme n'a jamais cessé d'agir au profit de
"sa propre utilité " comme il identifie différemment les utilités et
les valeurs selon les temps et les diverses strates sociales. Quand l'agent est
un père, ses intérêts sont identiques à la sauvegarde des intérêts familiaux;
mais quand il est un citoyen, il adapte ses intérêts avec ceux de sa ville.
Cela veut dire que l'agent ne peut pas éviter de s'identifier à sa situation
institutionnelle et que son rôle est déterminé par sa position au sein d'un
groupe. Il est toujours conditionné par les institutions qu'il a créées. Donc l’efficacité de la notion de providence
se manifeste essentiellement dans l’autorité qu’exerce le sens commun sur
l’individu pour le contraindre, sans le brusquer, à assimiler son mode d’action
à celui du bien de la communauté et de ses institutions.
Alors le choix humain est conditionné par le
sens commun, selon un jugement non réfléchi, conformément à la définition de
Vico de l’élément XII. Et quand on établit un lien entre cette définition et le
paragraphe 132 qui affirme sans aucune ambiguïté que « la
législation considère l’homme tel qu’il est, pour en faire bon usage dans la
société humaine : c’est ainsi que de la férocité, de l’avarice, de
l’ambition, qui sont les trois vices répandus dans tout le genre humain, elle
fait la malice, le commerce et la cour et, ainsi, la force, la richesse et la
sagesse des républiques ; et de ces trois grands vices, qui
pourraient certainement détruire la race humaine sur la terre, elle tire la
félicité civile .» Ce qui annonce que la législation, même la plus
servile, sait remplir le rôle de donner l’ordre en conformité avec les besoins
ceux qui l’ont édifiée. On peut déduire que le sens commun est canalisé par le
droit. Donc, la jurisprudence est le domaine du savoir où l’homme social est
évalué à sa juste valeur et c’est spécialement le droit qui traduit le contenu
des préoccupations du groupe. Ce qui veut dire que la jurisprudence et son
élaboration en texte de lois expriment des besoins ou des utilités propres à
une conjoncture précise dans le temps et au sein d’une appartenance commune à une
classe entière. On comprend que le jugement dans le sens commun soit non
réfléchi vu qu’il est une action immédiate
pour répondre à des besoins vitaux qui sont par conséquent organisés par un
code général qui règle les priorités et les redevances. Et c’est dans ce sens
qu’on saisit, comme l’a dit Robert
Caponigri,
l’ancrage d’un lien obligatoire entre les théories du droit naturel et la
possibilité d’une science de l’homme qui peut se décider.
L’erreur des théories politiques de l’humanisme classique apparaît à la
critique de Vico comme une tentative d’établir cette idéalité apodictique,
indépendamment de l’ordre temporel dans lequel les formes concrètes des
sociétés apparaissent. Cette tentative accélère
en premier lieu le processus de l’aliénation des intellectuels et produit
des visions du monde qu’on peut classer comme étant idéalistes. Mais le plus désastreux de cette vision
unilatérale est la distorsion de l’idée qu’on se fait de la société et du caractère de ses formes
concrètes. La science de l’homme comme les théories du droit ne peuvent être déterminées
ou établies indépendamment.
Ainsi l’axe essentiel qui
étoffe cette étude archéologique des modifications de l’esprit humain est, selon Vico, la compréhension qui donne sens au quotidien
social de sorte qu’elle explique, à elle seule, les attitudes identiques des
différentes personnes qui se trouvent dans des situations similaires bien
qu’elles soient réellement tout à fait étrangères dans le temps et l’espace. Il
infère d’un tel axe l’essence historique de tous les modes de l'activité humaines
en présupposant que « des idées uniformes, nées chez des peuples entiers inconnus les uns des
autre, doivent avoir un fond commun de vérité.» Une uniformité des
idées, qui prennent naissance dans l’histoire de l’homme. Elle représente ce
qu’il nous faut établir pour prouver que le choix des hommes est
effectif ; mais ces fins sont aléatoires sous l’effet de l’interférence
entre plusieurs éléments et principes. Vico a détecté ce déphasage entre
l’individuel et l’universel, l’effectivité
de l’action et la passivité de l’effet. L’idée est médiate par rapport
au temps lors duquel l’action s’effectue.
La méthode comparative et
critique, lors de son établissement des preuves, lui a confirmé la possibilité d’une science de l’homme
essentiellement historique ou une « science raisonnée de
l’histoire.» Quels sont les traits
caractéristiques qui lui ont permis de s’approprier une nouveauté qui a été
déjà attribuée à la science de son compatriote Galilée et à l’Organon de Bacon ?
Dans son « Avant-propos » Michelet écrit
« la méthode suivie par Vico est d’autant plus importante à observer
qu’il n’est peut-être aucun inventeur dont on puisse moins indiquer les précédents.
Avant lui, le premier mot n’était pas dit ; après lui, la science était,
sinon faite, au moins fondée ; le principe était donné, les grandes
applications indiquées.» L’éloge d’un disciple,
qui a admis que Vico était son « unique maître », a peut-être son
fondement dans l’œuvre vichienne. La première manifestation de ce fondement est
que Vico est précurseur d’une science de l’homme, non en tant qu’objet réifié
tel qu’on peut l’observer dans l’anatomie et la sociométrie ou même dans la
notion philosophique de l’homme universel et cosmopolite, mais l’homme qui acquière
son Etre et sa distinction à travers ses œuvres, et cela depuis la naissance mythique
de l’action. Ce qui garantit une seconde naissance de la notion de l’humanité
comme étant non pas une idée prête à l’usage mais comme une idée de l’homogénéité et de l’unité de
genre humain qui ne lui était pas révélé comme un produit naturel durant une
expérience prudente ou comme un résultat des horizons ouverts et d’un sort
modulé qui garantit pour l’homme une meilleure connaissance de soi. Ainsi il
nous annonce que même si théoriquement les expériences prolongées apparaissent
comme étant les résultats inévitables d’une conception de l’humanité comme un
tout ou d’une naissance de la science de l’homme, la réalité dément catégoriquement
une telle attente. Il est encore
inadmissible de considérer l’idée de l’unité de genre humain comme une idée
innée, universelle et éternelle, mais comme une science à
inventer et bien des obstacles logés dans l’esprit de l’homme sont à lever.
Et puisque selon Vico « les doctrines
doivent commencer là où commencent les matières dont elles traitent. », le premier fondement
de cette science peut être « le droit des gente » parce que c’est en
moyennant l’étude de l’ordre des sociétés humaines que Vico peut fonder ses présuppositions et ses
principes les plus nouvelles par rapport à la philosophie politique de son
temps. Les philosophes et les philologues, d’avant Vico, ont considéré que l’homme est depuis
l’origine doué de raison à l’image de celui qui s’est affiné avec le temps et
qu’ils reconnaissent en leurs présents. D’ailleurs ils ont même attribué à
l’homme créateur du mythe une sagesse absconse qu’ils ont tenté de
comprendre en utilisant les méthodes en vigueur.
Á cette question Vico répond par « cette
dignité [qui]* réduit à néant toutes les opinions des doctes relatives à
la sagesse incomparable des Anciens ; elle convainc d’imposture les
oracles de Zoroastre le Chaldéen et d’Anacharsis le Scythe, qui ne nous sont
pas parvenus, le Pimandre d’Hermès Trismégiste, les Orphiques (ou vers
d’Orphée) et les Vers dorés de Pythagore, comme en conviennent tous les
critiques les plus avisés ; en outre, il censure l’absence de pertinence
de toutes les significations mystiques attribuées par les doctes aux
hiéroglyphes égyptiens et les allégories philosophiques trouvées dans
les fables grecques . » Cette dignité démentit
même les interprétations esthétisantes et conservatrices de la lecture de la
première Antiquité par Vico. S’il a traité les premiers âges de l’humanité en
tant qu’«âge héroïque du premier
monde » ce n’est pas parce qu’il considère qu’ils symbolisaient une
application parfaite de la justice ou de la liberté ou quelque autres principes
de la dignité de l’homme mais parce que l’homme du « monde primitif »
a œuvré pour la naissance de tels principes, pour l’acquisition d’une naissance
de l’humain. Et ce que l’homme rationnel depuis les grecs a hypothéqué chez les
anciens c’est leurs conjonctures tout à fait différentes de celui qui est déjà
civilisé et en omettant les moyens par lesquels ils se sont humanisés. Ainsi
une reconnaissance de la différence entre les origines de la civilisation et la
civilisation dans ses étapes les plus avancées guide Vico vers la
reconsidération de l’héroïsme à partir d’une critique des notions clés des
conceptions régnantes : peuple , roi , liberté. Par
peuples héroïques, les philosophes ont entendu des peuples comprenant aussi bien
les patriciens que les plébéiens au lieu de ceux qui étaient des propriétaires
terriens, par rois, des monarques au lieu de tout ce qui avait une connaissance
de la lettre des lois, par liberté, la liberté populaire au lieu de la liberté
seigneuriale ; « ils ont d’autre part appliqué à ces mots trois
idées propres à leurs esprits affinés et instruits, la première, celle d’une
justice raisonnée selon les maximes de la morale socratique, la seconde, celle
de la gloire (qui est la renommée obtenue par les bienfaits envers le genre
humain) et la troisième, celle du désir d’immortalité.». Ces erreurs faussent la
voie qui nous mène à l’essence des valeurs humaines et, qui est celle de leurs
naissances à travers les luttes des strates sociales pour acquérir l’« équité
naturelle » vu que « la nature [natura] des choses n’est rien d’autre que leur naissance [nascimento] en certain temps et de
certaines manières [guise] ; tels sont les temps et les
manières, telles et non autres naissent toujours les choses. » Et cette naissance,
comme il est dit dans ce paragraphe, se fait, selon un « certain
temps » et une « certaine guise » qui sont propres à divers
contextes institutionnels. C’est
le contexte qui doit être expliqué avant d’évaluer les institutions régnantes. Vico est donc mené, pour
présenter ce qu'il pose en principe comme un niveau suprême de l’explication,
"les modifications de [mente] de
l’homme," c'est-à-dire, les propriétés les plus générales de l’action
humaine et les modes ou les manières propres à la pensée humaine, de ses
attitudes et de ses croyances sur lesquels se fait son effectivité en tant
qu’homme.
Le rapport entre les
modifications « des sujets » de l’action dans l’histoire et les
institutions sociales est exposé comme étant constitué de deux conditions
distinctes, la modification de la conscience et le temps de cette modification.
Ils sont tenus pour des facteurs de création de l’environnement nécessaire et autosuffisant
pour n'importe quelle institution; et non seulement ils déterminent la nature
de l'institution, mais encore ils nous lèguent des preuves pour découvrir cette nature. Ces preuves sont « les propriétés
inséparables des sujets » c'est-à-dire des preuves
imbriquées dans la forme de la science et de la conscience humaines. Donc l’homme
qui renie l’utilité des études historiques et des modifications de l’esprit
humain se nie soi-même et se désintègre de l’humanité. Dans le cadre historique,
la conception de l’homme s’unifie avec son œuvre et intègre la civilisation comme une propriété
inséparable de ses perspectives. L’histoire de la civilisation englobera de
l’autre face l’histoire du genre humain et des idées humaines qui se sont forgées
autour de l’idée régulatrice de la providence. Mais comme on l’a déjà souligné,
la notion de la providence s’exprime plutôt en un sens commun et en la
législation, ou en un élément régulateur de l’action sociopolitique, dans un
moment précis, plutôt qu’en une acception théologique fondamentale. Pour donner
preuve contre les interprétations théologiques du texte vichien William
S. Haas confirme qu’il est vrai que Vico souligne constamment la providence comme principe régulateur du
processus sociohistorique mais il est clair que ces conceptions sont des
résidus qui ne peuvent contribuer en aucune façon vitale dans l’édification de
sa théorie. Vu que toutes les preuves de Vico, même les plus métaphysiques,
sont référenciées par l’action humaine matérielle et intellectuelle.
Néanmoins, les rapports établis par Vico entre
nature et culture, conscience et science, humain et divin, réel et idéel, ne
sont pas de nature réductrice comme on peut le supposer à travers une lecture
critique du texte vichien et elles ne sont pas non plus exclusivement médiatrices ;
elles sont l’expression d’une contextualité ou « des rapprochements
entre les choses. »Ces relations sont plutôt compréhensibles à un niveau
plus spécifique qu’on juge généralement ambigu vu que la relation chez Vico
présente la possibilité d’un dynamisme et d’une ouverture qui n’est pas commune
à la raison philosophique et philologique. C’est une relation établie dans
l’écoulement du temps et le suivi des modifications des mentalités. C’est pour
cela que la notion de providence, qui a fondé -en général- l’essentiel des
différences entre les multiples interprétations du texte vichien, ne peut que
s’intégrer dans une conception scientifique de la
Scienza nuova en tant que notion
convertible à la notion de « conato »
originaire, d’un naturel humain qui a son utilité dans l’invention des moyens
réformateurs des vices en vertus tel que
le droit naturel des gente « il y a une providence divine et qu’elle
est un esprit [mente] divin
législateur, qui, des passions des hommes uniquement attachés à leurs intérêts
privés, dont la poursuite les amènerait à vivre comme des bêtes sauvages dans
la solitude, a fait les institutions
civiles grâce auxquelles ils vivent dans une société humaine. » La providence est, alors, le principe
régulateur de la « théologie civile raisonnée» qui n’est que la réalité du
monde civil. Cette théologie civile raisonnée prend en considération
l’enracinement de la religion dans le sens commun ; un enracinement qui
est à conserver vu sa positivité dans la conservation du genre humain.
Cette réalité, une fois saisie, dévoile une histoire des idées
humaines révélatrice des lois qui régissent le processus historique. En conséquence
« notre science », nous dit Vico, «doit donc être une
démonstration de la providence comme fait historique, pour ainsi dire, car elle
doit être une histoire des ordres. » Tout ce savoir est possible,
selon Vico, grâce à une présupposition qui dit que « les hommes sont
naturellement portés à conserver la mémoire des lois et des ordres [ordini] qui les tiennent à
l’intérieur de leurs sociétés. » C’est la matière qui
forme le socle du sens commun pour garantir une certaine stabilité dont
l’essence est constituée par la diversité et la richesse de l’expérience
humaine dans les temps et les lieux par le biais de la gravure des ordres dans la mémoire commune. Cette diversité et
cette richesse peuvent être explorées, nous dit Vico, quand on fait une
transposition des procédés « qui nous donneront les
fondements du certain, serviront à voir dans les faits ce monde des nations que
nous avons contemplé en idée, suivant la méthode de philosopher la plus
assurée, celle de Francis Bacon, seigneur
de Verulam, en la transportant de l’étude des choses naturelles, sur
lesquelles il travailla dans son livre Cogitata visa, à celle des choses
humaines civiles. » Ce qui veut dire que la
méthode expérimentale proposée par Bacon sera plus utile en s’exerçant pour
comprendre les choses humaines parce que celles-ci représentent l’unique champ
d’investigation positif vu qu’il est l’œuvre de l’homme et que ses
modifications sont déjà inscrites à travers les modifications de l’esprit
humain. Les institutions sont de
la sorte des produits humains en ce sens que leur caractère est en fin de
compte décidé selon les caractéristiques et les modifications de l'esprit
humain.
Une telle conception
n'était pas entièrement nouvelle par rapport à l’histoire de la pensée humaine.
Grotius, Selden et Pufendorf, par exemple, avaient essayé d'expliquer certains
aspects de la structure légale et sociale des nations en ce qui concerne le
principe de l’équité naturelle qu’ils ont supposé en tant que principe partagé
entre les hommes. Leurs essais de discourir à ce propos pourrait être considéré
comme étant une des modifications auxquelles Vico se réfère bien qu’ils n’ont
pas poussé leurs recherches dans le temps
pour pouvoir voir la vrai nature de l’homme et de l’ordre humain.
Néanmoins, Vico rejette le principe de l’équité sous la forme présentée par ces
penseurs parce qu’ « ils ont cru en effet que l'équité naturelle, dans
sa forme idéale parfaite, avait été
comprise par les nations païennes dés leurs premiers commencements » alors que ces nations
gardaient « scrupuleusement la lettre des prescriptions et des lois »
ce qui indique que la liberté publique n’était pas encore pensable vu que
l’homme a dû vivre pendant des siècles incapable de concevoir un système de
valeurs et une hiérarchie sociale radicalement contraire à l’autorité du père,
du roi et du noble et du terrien en général et même combien des luttes se sont
engagées pour que les anciens romains, par exemple, s’aperçoivent que « les
pères n’avaient pas une origine extraterrestre ou divine et que
« les esprits sont tous égaux et que les différences qui existent entre
eux proviennent des différences dans l’organisation des corps et dans
l’éducation civile. »
Donc on ne peut supposer des valeurs telles
que l’équité ou la justice qu’en se référant à l’ensemble des institutions
humaines qui sont elles mêmes faites par l’homme. Mais pour définir le
caractère de telles institutions, le savant doit tenir compte de la nature des
modifications actives dans l’esprit humain qui prennent corps
essentiellement dans la sphère juridique ; donc à importe quelle
conjoncture socioéconomique et politique il y a certaines institutions qui sont possibles et
d'autres ne le sont pas. Et c’est uniquement la prudence du savant qui garantit
la juste compréhension de l’homme à travers l’étude de son monde. Si on suit l’enchaînement épistémologique
décrit par Vico, c’est l’ordre des idées qui suit l’ordre des choses: « l’ordre des
idées humaines est d’observer les similitudes des choses, d’abord pour
s’exprimer, en suite pour prouver et cela en se servant d’abord, à titre de
preuve, de l’exemple, qui se contente d’une seule similitude et finalement de
l’induction, pour laquelle il en faut plusieurs. » Ainsi il est clair que
Vico édifie une nouvelle science dont l’objet est l’homme. Celui-ci ne peut pas
être désigné dans cette science en tant qu’individu mais en tant qu’être par
essence sociable.
La sociabilité de
l’homme, selon Vico, s’est toujours imprégnée par sa naissance, dont la
finalité est de préserver le genre humain en l’homme et de maximiser cette
humanité acquise dans la lutte et la peine. De ce fait sa science se fonde sur
l’historisation de toutes les idées et les faits humains en rétablissant pour
chaque ordre des choses sa naissance et son évolution selon son utilité. Ce
rétablissement se mesure par sa profondeur dans le sens commun et son
effectivité dans la mémoire commune des gente. Etat qui lui a suggéré la
méthode comparative comme outil de confrontation des faits et des narrations
afin d’atteindre la fiabilité et la consistance. Les résultats de cette
nouvelle science sont décrétés par le besoin de l’homme de se comprendre pour
bien peser le danger qu’il court en oubliant son humanité et sa genèse et en
s’engageant dans des voies dont il ignore les débouchés. Alors, ce qui lui est
le plus positif, c'est la connaissance de soi-même et elle est possible si
l’homme se pose naturellement la question des commencements et des enjeux de
toute démarche à entreprendre. Les démarches de connaissance, selon Vico,
devraient être en harmonie avec le sens de l’humanisation du monde dans un certain temps et au sein d’une certaine appartenance.
Néanmoins, cette option scientifique
pourrait être en contradiction ou simplement conflictuelle avec la conception
des sciences modernes. Comme elle pourrait être une épistémologie appliquée aux
sciences grecques et arabes d’avant Galilée et Bacon. Mais la
prétention de Vico est de déplacer la
question vers d’autres horizons différents de la science des anciens et
des modernes. Quels seront ces
horizons ? S’ils ne se sont fondés ni sur les principes des sciences
anciennes ni sur ceux des sciences modernes, quelles seraient leurs
spécificités par rapport à toute science déjà établie ?
A fin d'établir dans quelle
mesure La Scienza
nuova est une science, on va tenter de démontrer que Vico s'est basé
sur des propositions fondamentales. Ces propositions émanent et prennent forme à partir des présuppositions, de sorte que
l’inconsistance devienne intolérablement totalisante qu’ « être en contradiction avec
une seule serait l’être avec toutes. » Et c’est exactement une
confirmation qui appuie l’exigence de Vico lui-même d’avoir à établir un
travail rigoureusement scientifique. Malgré cela, il est difficile de
comprendre comment plusieurs différentes lectures de Vico, qui concernent une
large variété de sujets, prennent comme point de départ la même œuvre
vichienne. Croce, par exemple, a conclu que la pénurie des interprétations qui
se revendiquent de Vico est due au fait que Vico avait échoué dans son effort
de distinguer entre deux conceptions différentes
et irréconciliables de la science. Selon sa lecture, les
penseurs interprètes du texte vichien ont tort d’essayer de ranger Vico dans la
première conception de la science qui implique l'interprétation du fait
historique à la lumière des catégories extratemporelles de la philosophie, et qui
opte pour une explication scientifique ou philosophique. Le deuxième sens
implique une procédure «empirique, inductive et psychologique [aboutissant
à] l’établissement de la sociologie ou de la psychologie sociale.
»
Mais la richesse du texte
vichien, malgré la présumée ambiguïté du
point de vue de la lecture historiciste de B. Croce, n’empêche pas la possible reconstruction
d’une science de l’histoire à partir d’un inventaire aussi varié des matériaux que celui de la Scienza nuova. Dans les circonstances d’une
surinterprétation véhiculée d’une infinité des doctrines et des appartenances
idéologiques parfois opposées – marxisme, historicisme, idéalisme historique,
phénoménologie, pragmatisme - le
réexamen de la revendication de Vico, d'avoir établi une science, ne peut
s’opérer qu’à partir d’un retour aux présuppositions essentielles de la Scienza nuova. Dans ce contexte, quelles sont
les justifications de Vico pour revendiquer la scientificité de sa
requête ? Et comment peut-on comprendre sa thèse selon laquelle les
humanités, et essentiellement l’histoire, doivent être une priorité pour la
recherche scientifique ? Que faut-il faire pour satisfaire une telle
recherche et établir de nouveaux critères épistémologiques ?
Pour établir un discours
scientifique qui traite de l’homme, la Scienza nuova se centre autour de trois genres différents
d’arguments qui concernent la philosophie en tant qu’histoire des idées,
histoire sociale et histoire des nations. La clarification des relations, qui
fondent ces disciplines, dévoilera le sens dans lequel Vico établit une
science. Exposée de la sorte, la scientificité de son œuvre multiplie ses
enjeux, vu qu’ils touchent aux domaines de l’action humaine plutôt qu’à ceux de
la nature. La théorie de la connaissance vichienne essaye de préserver le sens
de la connaissance aussi rigoureux que
"les idées claires et distinctes" cartésiennes sans lui prétendre la
véracité inconditionnelle et non historique. Ce qui lui permet d’étendre cette
connaissance à une classe de choses
différentes et beaucoup plus large que celles de la science de son époque.
La nature de cette alternative,
comme elle est développée dans la troisième version de la Scienza nuova, est loin d'être claire. C'est
pour cela qu'il nous faut établir d'abord ce que Vico considère comme matériaux
de la connaissance. Ceux-ci sont exposés dans les éléments généraux qui
formulent les présuppositions de Vico sous forme d'un ensemble d’axiomes ou de
"dignités" et de définitions expliqués par des exemples et des
suppositions qui sont « comme le
sang dans le corps animé, doivent circuler dans cette Science et l’animer dans
tous ses raisonnements sur la nature commune des nations. »
Vico précise, dans l’élément IX,
la distinction entre deux états épistémologiques et décrit la valeur du savoir dans
cette Science selon la conjoncture de la
connaissance : «les hommes qui ne savent pas le vrai des choses font
en sorte de s’en tenir au certain, afin
que, s'ils ne peuvent satisfaire leurs intellects avec la science, leur
volonté, du moins repose sur la conscience.» Cette distinction entre
la science et la conscience et leurs
objets respectifs, le vrai et le certain, a fait couler beaucoup d’encre en
donnant lieu à des interprétations esthétisantes de la pensée vichienne, pourtant il est dit dans cet élément que la conscience
n’est satisfaisante que par manque et défaut de la science. La conscience, selon cet élément, serait
un état de connaissance antérieur et intérieur à la science en tant que
représentation assimilée et dépassée par celle-ci.
La nature de la connaissance est
plus clarifiée dans l'élément XXII, dans lequel Vico déclare que c'est «cette
propriété de chaque science, notée par Aristote, qui est que " scientia
debet esse de universalibus et aeternis "*. » Donc la science a un
rapport à ce qui est universel et éternel. En se référant à la définition
aristotélicienne de la science en tant
que savoir universel et éternel, Vico adhère apparemment à une hiérarchie traditionnelle des
connaissances. Dans ce cas comment peut-on déterminer l'objet de la conscience [ Il
certo ] où le certain ne peut
pas signifier la confusion référentielle, c'est-à-dire il ne peut pas se
référer exclusivement à un état psychologique, car cela rendrait inconcevable
la relation établie entre la connaissance et son objet, parce que toute
certitude est logiquement une certitude de quelque chose. Mais elle est le "certain"
de la conscience en ce qui concerne le particulier et le contingent et c’est
dans ces termes qu’elle n’est pas encore l’objet de la science. Mais par contre
elle doit se transformer en élément et outil de la science.
Le contraste entre "ce qui
est universel et éternel" et "ce qui est particulier et
contingent" nous permet de comprendre la distinction, que Vico établit,
dans l'élément X, entre la philosophie et la philologie. Il asserte que «la
philosophie contemple la raison, d’où vient la science du vrai ; la
philologie observe l’autorité de l’arbitre humain, d’où vient la conscience du
certain.»
Ensuite il définit la fonction du "philologue " comme étant
celui qui s’approprie le savoir de « tous
les grammairiens, historiens, critiques, qui se sont occupés de la
connaissance des langues et des faits des peuples, aussi bien chez eux, dans
les coutumes et dans les lois, qu’à l’extérieur, dans les guerres, les paix,
les alliances, les voyages et le commerce.» Cette définition
attribue une tâche historique à l’entité du philologue tout à fait similaire à
celui de l’historien de nos jours. La présupposition que "la conscience du
certain" signifie la connaissance des faits particuliers est ainsi
certifiée par la présence du philologue en tant qu’acteur dans l’établissement
de cette science. Le philologue ou l’historien traite des faits particuliers -les
langues, les actes, les guerres, les paix, les alliances de peuples et des différents-
et il identifie des faits réels et particuliers pour en faire une narration
compréhensible, une connaissance certaine.
Un gouffre sépare la philosophie
de la philologie et il doit être résolument dépassé. La philosophie qui produit
la connaissance de l'universel et de l’éternel en contemplant les raisons; la
philologie qui rend compte du particulier et des faits contingents en se conformant à la description des faits historiques. Et c'est
en critiquant la distinction
traditionnelle entre la conscience et la science, la croyance et la
connaissance, que Vico compte se prendre pour édifier le propre de sa Science
c'est-à-dire de dépasser l’écart séparateur et réducteur de deux activités indiquées.
Cette critique de la
nature de deux disciplines, comme elles étaient généralement pratiquées, tend à
remplacer une ancienne conception de la science par une autre plus
conciliatrice mais encore plus adéquate avec le savoir humain. Savoir, dont la
compréhension représente en elle même un
besoin, une utilité est l'ultime but de la Scienza
nuova. Donc il est nécessaire de comprendre les présuppositions d’une telle
critique pour une évaluation appropriée des prétentions de la Scienza
nuova. C'est un texte qui redéfinit la nature et les enjeux de toute
science de l'homme possible en moyennant
un nouvel angle adapté à son sujet d'étude.
Dans les quatre premières
propositions ou éléments, Vico asserte que l’homme « dans l’ignorance »
a tendance naturellement à être anthropomorphique. Chose qui explique la surestime
accordé à l’absence de la chose par rapport à sa présence. Dans cette condition, le
jugement de l’homme varie qualitativement selon l’état de ses connaissances
comme il varie quantitativement selon la relation qu’il détient avec l’objet
étudié dans l’espace et temps de son agir. Et c’est la raison pour laquelle
l’édification de la science ne peut avoir lieu qu’en la présence d’une méthode
critique et d’une certaine prudence qui prend en compte que « par
l’effet de la nature indéfinie de l’esprit [mente] humain, quand celui-ci tombe dans
l’ignorance, l’homme fait de lui-même la mesure de l’univers. »
Cela explique le fait que
les fables et les contes traditionnels, par exemple, deviennent de plus en plus altérés avec le
temps. Chaque génération modifie les événements du récit en prétendant
l’harmonisation du discours et chaque nouveau récit implique une nouvelle
interprétation qui ne peut être qu’erronée en ce qui concerne sa prétention à
dévoiler le sens original du récit. Cela implique que la compréhension du passé
et l’établissement d’une chronologie fiable des périodes historiques doit
prendre en compte ces réinterprétations "scientifiques" des contes et
mythes traditionnels et des événements originels racontés de sorte qu’ils
deviennent une source de données primaires mais non fiables pour l'historien.
Le rôle du philologue dans une telle situation est de forger une méthode
critique par laquelle il peut affiner son savoir des temps révolus en réduisant
les difformités « naturelles » des récits afin de retrouver ainsi la voie des « principes » de la
science.
La tendance naturelle à
juger l’inconnu par le connu est une deuxième source d'erreur. Vico analyse
cette inclination et découvre que les erreurs des contemporains et des anciens
sont dus à " une autre propriété de l’esprit humain" qui « veut que là où les
hommes ne peuvent se faire aucune idée des choses lointaines et inconnues, ils
les jugent d’après les choses qui leur sont connues et présentes.» Mais cette inclination
n’est pas une inclination naturelle propre à l’homme en tant qu’entité physique
et individuelle, elle est enracinée dans la mentalité des groupes. De même qu’elle
est logée dans la « vanité des nations » et de l’appartenance
ethnique de manière à constituer une « source inépuisable de toutes les
erreurs commises par des nations entières et par tous les doctes au
sujet des principes de l’humanité.» Dés que les communautés
humaines ont commencé à s’interroger sur leurs origines et les doctes à les
étudier, ils ont jugé leurs ancêtres « d’après leur propre époque
éclairée, cultivée et magnifique » en glorifiant un sentiment personnel
d’excellence et un besoin d’appartenance à une identité « nationale »
qui est la plus originaire dans le temps. De là, les revendications incompatibles de la plupart
des historiens que leurs nations propres avaient le rôle le plus civilisateur
de l’homme. D’ailleurs toutes les politiques extérieures des nations
périodiquement fortes ont utilisé un tel argument vaniteux pour coloniser
d’autres nations plus faibles. Cette fausse prétention est jumelée avec une
deuxième, "la vanité des savants," qui se manifeste quand le savant
prétend qu’il détient toute la connaissance contemporaine et il peut interpréter
l'histoire des âges anciens en conformité avec cette prétendue érudition.
Cela explique le
caractère non historique de la plupart des écrits historiques et des
interprétations mythiques. Vico illustre sa présupposition critique par une
large variété d’exemples. Il explique, entre autres, comment «toutes les
significations mystiques attribuées par les doctes aux hiéroglyphes égyptiens
et les allégories philosophiques trouvées dans les fables grecques» ne sont que des assomptions des doctes imprudents qui
ont transposé les caractères de leur propre savoir philosophique à une époque
où l’homme n’a pas encore conquis la finesse de l’esprit philosophique. Cette
prétention concorde, en une parfaite alliance, avec la « vanité des
nations » « celle de croire qu’elles avaient trouvé avant toutes les
autres les commodités de la vie humaine et avaient conservé la mémoire de ce
qui leur était arrivé depuis le commencement du monde. »
Des telles présomptions nationales ont faussé
les notions de la liberté, du pouvoir et du droit chez les historiens comme
chez les philosophes. Quand on prend en considération que les savants ont
tendance à succomber à « la vanité des doctes », aucun récit
historique traditionnel ne serait totalement fiable. En ajoutant le caractère
vaniteux de tous les discours nationaux, la voie naturelle dans laquelle nous
interprétons l'histoire, devient en soi douteuse. Il est intéressant de noter à
ce niveau comment l'approche de Vico à la question d'une nouvelle théorie de la
connaissance lui a permis la découverte des arguments généraux qui montrent que
les jugements, qui annoncent une vision dogmatique et traditionaliste, altèrent
les racines de la vérité historique. Et il continue ensuite la
recherche des critères de la connaissance en se dotant de ses
découvertes critiques et en s’appuyant sur une variété
des preuves. Dans cette première
section de la Scienza
nuova, Vico produit des arguments généraux qui démontrent que, au moins
dans le domaine de l'histoire, nous ne pouvons avoir confiance ni dans les
sources des récits classiques, parce qu’ils étaient établis sous l’influence de
deux vanités, ni dans les modifications suivantes qui résultent des
interprétations éloignées des historiens. Vico a souligné un besoin de
l’établissement d’une théorie adéquate de la connaissance qui peut remplir
pleinement son rôle principal.
Léon Pompa nous
enseigne qu’il est très important de considérer que la nouveauté de La Scienza nuova
s’évalue par la nature générale des éléments critiques proposés par Vico.
Clairement ses arguments critiques visent en partie le caractère arbitraire des
assomptions profanes qui passent pour historiques. Ce qui veut dire que la
critique tend à éradiquer les assomptions nationalistes largement injustifiées
qui traversent de bout en bout les propos des historiens. Ce discours local
vaniteux cause couramment des débats futiles et insolubles. La critique est
donc en partie dirigée contre ce que Vico considère comme des approches
entièrement non historiques du passé et qui sont nuisibles pour le présent de la
recherche. Ce
principe critique de l’héritage culturel humain doit prendre en charge
l’histoire des manifestations naturelles et culturelles de l’homme, de façon à
pouvoir établir une vision claire des modes de la pensée dans leurs
manifestations historiques. Clairement, ce besoin a pris naissance avec la
vérification du caractère arbitraire des suppositions qui ont fait jusque là de
l’histoire un domaine des prétentions en grande partie illégitimes. Alors
qu’une théorie adéquate de la connaissance fonde sa nécessité comme
rectification et renversement de ce que
Vico caractérise comme étant une
approche entièrement non historique de tout ce qui se rapporte à l’homme. La
présupposition implicite de ses revendications et besoins est que si l'histoire
doit être une branche de la connaissance, il est nécessaire de la reconstruire
en conformité avec la vision critique qui la libère de la subjectivité des
historiens et des abstractions abusives des philosophes. Elle doit, en fait,
être fondée sur une base épistémologique plus saine. Cela soulève des questions
à propos de ce qu'une telle fondation serait et comment le sujet d'histoire
devrait être interprété.
La critique adressée
aux philosophes répand une nouvelle lumière sur la compréhension des conditions
de vérifiabilité du discours qui se prétend en relation quelconque avec une
série des événements. Dans la Scienza nuova, l’objectif central est celui de
développer et d’appliquer une théorie alternative qui ne se limite pas à une
connaissance purement conceptuelle. Deux théories philosophiques sont inaptes
de s’intégrer dans cette théorie. D'abord, il y a le Stoïcisme et ensuite
l’Épicurisme. Bien qu’elles soient principalement concernées par leurs approches
de la philosophie pratique, Vico critique l’inadéquation de leur conception de
la nature humaine sur laquelle ils ont fondé leurs théories normatives. Il
condamne par le biais de la critique leur adoption d’un mode de vie des « philosophes
monastiques ou solitaires ». Leur plus grand tord est de
considérer la science de l’homme sous les deux angles qui ne peuvent pas
permettre l’édification d’une science de l’homme. D’un côté les Stoïciens
traitent de l’acte humain sous le signe du destin (fato) c'est-à-dire qu’ils
supposent un déterminisme qui élimine toute spécification propre à la matière
traitée. De l’autre les Épicuriens
laissent au hasard (caso) l’effectivité de l’agir humain, ce qui
avortera toute tentative de systématisation du savoir concernant la matière du
développement de la nature humaine. Cette exclusion établit le principe de la
causalité historique comme un juste milieu entre le destin, qui peut expliquer
l'élément de nécessité dans l'histoire, mais il reste incompatible avec le choix
humain comme libre arbitre. Et la chance, qui tient compte de la liberté
humaine, mais elle ne peut pas expliquer le contexte qui détermine les limites
de cette liberté.
Une conception adéquate
est fournie par la notion vichienne de la providence, qui représente le
principe de la causalité historique. Il doit mettre en place tant le libre arbitre que la nécessité
dans l'histoire humaine. Et ce principe est formulé selon les conceptions des
philosophies politiques « et en premier lieu les
platoniciens, qui s’accordent avec tous législateurs sur les trois points
principaux suivants : il existe une providence divine, on doit modérer les
passions humaines et en faire des vertus humaines et enfin l’âme humaine
est immortelle. En conséquence, cette dignité nous donnera les trois principes
de cette Science.» Par contre Vico témoigne de l’admiration pour les
théoriciens du droit naturel, d’ailleurs il les a nommés « les
trois princes de la doctrine, Grotius, Selden, Pufendorf » parce qu’ils avaient le grand mérite de saisir une
vérité essentielle qui affirme que la nature humaine est socialement
conditionnée. Mais ils ont omis que cette même nature est aussi historiquement
conditionnée et cela a aggravé la situation de l’homme moderne surtout en ce
qui concerne sa compréhension du principe de l’équité et de la justice sociale. Donc s’ils ne s'étaient
pas arrêtés à l’étude des sociétés relativement
avancées qui étaient presque dans un état semblable au leur, là où les
sociétés humaines se sont déjà formées et où le langage a pris forme. Ils
auraient pu comprendre l’autorité comme principe régulateur des relations
sociales fondamentales et « donner ainsi aux coutumes leur
certitude grâce à une critique métaphysique appliquée aux fondateurs des
nations, qui aurait commencé à éclairer la critique
philologique appliquée à des écrivains qui n’apparurent que bien plus de
mille ans après que les nations eurent été fondées. » Ainsi le droit naturel
se transforme chez Vico en un principe historique et ne reste pas à un niveau
hypothétique qui mutile et obscurci la compréhension des origines. C’est
pourquoi il critique les limites des résultats obtenus par « les trois
princes » et leur reproche de ne pas « commencer par les lettres
et les lois qu’Hermès Trismégiste avait inventées pour les Egyptiens, par les
« caractères » et les « noms » des Grecs, par les
« noms » qui signifient à la fois gente et droits chez les Romains.»
L’implication de Vico
dans les polémiques de son temps, présentés sous forme de la Querelle des Anciens et
des Modernes, centre l’intérêt de la
philosophie dans un champ mitigé qui ne se contente plus de l’universel
uniquement et qui ne vise plus l’éternel en soi, mais il intime l’urgence
d’embrasser le quotidien, l’éphémère et le concret pour se situer dans une
contextualité et dans une histoire immanente à la scientificité de la Scienza nuova. La question s’est posée
concernant une scientificité propre au dire vichien. Pour commencer une étude
des caractéristiques de cette science, Vico nous révèle que pour déterminer
l’objet de cette science il faut édifier une critique des préjugés et des
présomptions spéculatives de la philosophie naturelle. Ainsi il adopte la multiplication
des dimensions de l’agir humain dans l’histoire pour légitimer son aptitude
propre d’être exclusivement objet de science. Il établit les critères de la
conjonction entre la philologie et la philosophie. La nouvelle science de
l’homme peut donc prendre en charge un discours fiable sur la nature de l’homme
et sur les conditions dans lesquelles il peut convertir ses vices en vertus
sans pour autant se conférer l’exemplarité de son itinéraire. D’où on peut
considérer que la scientificité de la Scienza nuova est une transposition, dans le domaine de l’humain, des principes de
la science moderne inaugurée par les procédées baconiens. Cette scientificité garantit
son effectivité par le fait d’un intérêt accordé aux choses particulières dont
les procédés de falsification sont variés et multiples selon le contexte des
faits humains et de la mentalité au sein de laquelle l’homme agit. C’est une
science qui présente comme expression de sa nouveauté l’établissement des
sciences de l’homme. Ses présuppositions se vérifient par le fait de la
sociabilité de l’homme, de l’historicité de sa conscience et de sa science et
de la contextualité déterminante de son agir. C’est cette contextualité qui
prédit la complexité des choix de l’homme et de sa condition de vie. Par
conséquent, il est nécessaire d’explorer l’itinéraire de Vico pour appliquer
cette science de l’homme sans tomber dans le piège de la réification de l’homme
qu’il a tant critiqué dans ses œuvres.
Vico illustre son œuvre
après le frontispice et l’« Idée de l’œuvre » par une « Table
chronologique » qui souligne sa préoccupation de la succession des
cultures et des civilisations. Une chronologie qui a la prétention de montrer
la diversité et l’obscurité du champ des investigations et des fouilles à
effectuer pour rétablir le fond de vérité de cette succession et de la qualité
qu’elle présente. Elle n’est pas un
simple exercice de mise à jour ou d’ornement d’un récit historique qui se
tourne vers un passé sans avenir. Le but principal consiste plutôt à élucider
la succession des conceptions essentielles à l’homme pour donner sens au monde
dans une étape de l’histoire où le sens prend le risque, et risquera, de fuir
les mots et les actes de l’homme. Cette fouille, dont Vico donne les premiers
résultats dans une table chronologique, est un ultime recours à une preuve qui
n’est pas encore explicite. Les colonnes et les schémas ainsi que les chiffres
(les dates) résument l’avenir du langage des sapiens de la cité. Alors que Vico
nous apprend dans ses premières œuvres que la communication entre les sapiens
et les stultus doit avoir lieu et que ce devoir se dessine dans le droit
à l’éducation, dont la didactique se doit de respecter l’ordre et les choses du
processus de l’humanisation c'est-à-dire l’ordre de la civilité.
Une grande partie de l’œuvre de Vico répondait au
besoin propre du professeur de rhétorique qu’il présentait et qu’il prenait
scrupuleusement en charge. Ses œuvres
représentent une référence et une source d’inspiration scientifique jusqu’à nos
jours pour les travaux pédagogiques et
pour la psychanalyse infantile. Dans ces textes, Vico établit
les règles du dialogue entre les sapiens et le stultus. Il
détaille la description des méandres des conditions torturantes de l’existence,
la nature déroutante des passions et les dangers de la fausse ignorance. Les
aversions de la face insensée de l’homme montrent combien il est chimérique de
penser la nature en se fiant uniquement à la raison.
La méthode pédagogique proposée, par Vico, nous
enseigne que l’apprentissage de l’enfant dessine et détermine le projet de la
société. L’avenir se décide dès l’enfance et suivant la qualité de l'éducation
en vigueur. Les générations humaines, en adaptant le cours naturel de
l’apprentissage et en respectant les aptitudes des ses sujets, facilitent à
l’enfant l'acquisition de son intégrité. Le jeune qui apprend à assimiler le ‘’certain’’
à travers l'apprentissage des langues, de l’éloquence et des origines des
locutions, avive son ingéniosité naturelle. Ces générations sauront que la
sauvegarde de la société est garantit par l’effort que fournit chaque individu
de vivre, selon la double règle de l’amitié et de l’honnêteté. Ce savoir ontologique
et didactique articule les finalités de l’action à mener sur les potentialités
de mente humain, risquerait-il de disséquer le savoir humain pour
retenir l’inventivité de l’homme sur une échelle bien inférieure que celle qui
est déjà conquise par les modernes ? Ou bien serait-il d'une valeur
supérieure en tant qu'anticipation universelle à une connaissance
anthropologique moderne et contemporaine comme l'a mentionné I. Berlin?
La
méthode analytique cartésienne est traitée par Vico dans « La méthode des études de notre
temps », comme un
système déductif stérile. Les appuis critiques, surtout au niveau didactique,
démontrent que cette méthode est inapte à porter les disciples vers la découverte de « la fécondité de
ce qu’il appelle l’"ingegno". Ce mot, qui dérive du latin "ingenium" et qui existe aussi en espagnol, ne
peut être traduit en français de façon satisfaisante. "Esprit" est
beaucoup trop vague, "génie" a un sens trop particulier. Pour Vico,
l’"ingegno" est la capacité de rassembler des
choses très éloignées les unes des autres et donc de découvrir et d’inventer. » C’est peut-être cette
incapacité didactique caractéristique de
l’esprit français qui a fait que Descartes, même quand il écrivait en latin, faisait
abstraction de la nécessité de différencier
l’utile de l’artifice et la richesse de l’aridité par rapport au commun des
mortels ou en terme vichien au gente. Mais l’inventivité est immanente à
la notion d'ingegno et comme elle doit être activée par une didactique
adaptée à l'évolution vers une connaissance véritable et adéquate aux besoins
et aux utilités de la vie commune ne serait-elle pas paradoxalement valable à
un niveau de la langue naturelle et de la rhétorique aux dépens des sciences de
la nature et des sciences formelles telles que les mathématiques et la
logique ?
Les
mathématiques et les sciences de la nature se sont ouvertes au langage de la
quantification des nombres et des représentations géométriques et elles ont acquis
le statut de la scientificité grâce à la forme déductive et au raisonnement
universel qui les caractérisent. Bien que la pensée purement déductive ne fasse
qu’exploiter des données hypothétiques de départ, en grande partie, sans être capable de découvrir du nouveau. Tandis
que l’ingegno, selon Vico, nous permet l’invention non seulement sur le
plan littéraire, mais également sur le plan philosophique, scientifique et
technique. Et cela ne s’opère pas par des procédés déductifs mais plutôt en
valorisant l’induction et l’usage de la langue naturelle ou commune.
L’homme, selon Vico, est à la fois âme, mente et
langue; dont la langue représente la première théogonie du monde qui a pris
forme avec les premiers hommes, qui parlaient par signes grâce au tonnerre
et à la foudre. Ces phénomènes symboliques de la force naturelle ont annoncé à
l’homme lors de sa sortie de la bestialité « que Jupiter commandait par
signe, que ces signes étaient des paroles « réelles » et que la nature était la langue Jupiter. » Cette
manifestation est une originalité de l’inventivité de l’homme bien qu’elle ne
soit que circonstancielle et partielle. Néanmoins, la langue ne parviendrait
jamais à traduire avec la pertinence absolue les représentations et les
volitions de l’âme humaine. Olivier Remaud, nous met d'ailleurs en garde contre
l’illusion de l’épuisement du sens par les mots en précisant « si
l’esprit perçoit l’infinie variété du
monde, celle-ci échappe en partie au langage qui ne possède jamais
autant de termes qu’il y a des choses.» En effet l’étude
linguistique, selon Vico, est un axe essentiel autour duquel l’historien des
idées doit établir son diagnostic sur la validité ou la fausseté des
prétentions des historiens et des littérateurs des civilisations passées. C'est
la reconstruction de la genèse et de l’évolution des nations qui utilise, entre
autres, les langues vulgaires pour pouvoir retrouver les racines de la vérité
de l’homme afin d'édifier les premières traces d’une certaine humanisation du
monde. La preuve doit sa validité à ce
que « les parlers vulgaires doivent être les témoins qui ont le plus de
poids concernant les coutumes anciennes des peuples qui furent pratiquées au
temps où se formèrent les langues.»
Autrement dit, une politique de l’éducation n’est
une éthique du respect de la personne humaine que si elle se dessine comme une
restructuration des caractères spécifiques à l’enceinte de la langue commune. Celle-ci
est porteuse, dans une dynamique propre, des germes de la véritable
connaissance de soi. Une telle politique énonce deux présuppositions
relatives : (1) l’objectivation des représentations de soi ne se fonde que sur une autoréflexion et, (2)
le savoir des lois ou des invariables anthropologiques est une forme à la fois
intériorisée et extériorisée de la connaissance de soi.La notion de soi est mise
au même niveau de profondeur que la notion de l’identité du groupe. Elle est
cause et effet de l’action dans le monde. Elle véhicule « i parlari volgari » ou les langues
vulgaires dans et par lesquelles la « sapienza volgare » est
exprimée. Ce qui signifie que l’homme ne peut détenir sa propre vérité qu’en
s’appliquant dans l’étude, la recollection et l’actualisation de son savoir
linguistique. D’ailleurs ce n’est pas la langue dans son appartenance à un
groupe qui doit intéresser l’étude linguistique présupposée, mais l’ensemble
des idiomes d’une nation ou de plusieurs ; la spécificité d’une telle étude
se rapporte essentiellement à la multitude des sources et des représentations
selon l’appartenance aux strates sociales et selon le pouvoir de ces strates
par rapport à l’ensemble de la société. Cette suggestion situe l’idiome à
l’encontre de la langue absconse dont la véritable diversité est exprimée et
prise en compte et non dans l’artificialisme de la langue officielle (docte)
qui représente la version officielle et généralement partielle des faits.
Vico nous propose donc la connaissance de soi,
comme remède qui réinsère organiquement l’individu dans une communauté
hiérarchisée dés sa naissance et dont la mémoire représentative reflète l’ordre
constant de la nature et inspire, sur le modèle de la République des Lettres,
les conditions nécessaires pour la vita activa. L’ordre et le modèle
chez Vico ne sont pas momifiés dans la notion de l’exemplarité bien que
celle-ci soit l’empreinte des classiques les plus anciens dans l’esprit du
philosophe napolitain parce qu’elle se transforme dans ses écrits en une
expérience de la durée dans laquelle le processus de la créativité et de la
transformation de l’élève en maître de l’avenir à travers lesquelles sa
connaissance de soi devient possible. Sa possibilité est immanente à l’acte de
l’enseignement.
La connaissance de soi est une conscience qui s'émancipe
dans l’évolution des potentialités de l’apprentissage adéquat. Elle dévoile les
racines de la vérité de la nature déchue de l’homme et de ses aptitudes à la
modification de la mentalité et par conséquent de la réalité faite par l'homme en mutation.
Cette connaissance de soi permet en effet à la parole docte de retrouver sa
fonction transformatrice d’une imagination naturellement flamboyante chez les
jeunes. La jeunesse qu’on éduque, selon Vico, a une aptitude étonnante à l’apprentissage
des langues. Elle est également plus ouverte pour cultiver l’éloquence qui lui
sera de grand secours afin d’assurer son rôle dans une vie future. L’éloquence
est la première aptitude qui doit être soutenue dans l’éducation des jeunes.
Par contraste naturel, une fois l’enfant devient adolescent il ne s’intéressera plus aux langues, il sera
porté par l’imagination et la fantaisie vers
l’abstraction des mathématiques.
Quand on saurait orienter les jeunes facultés
vers la richesse de la sagesse éminente aux langues qui véhiculent tout le
savoir et le savoir faire de l’homme jusqu’à nos jours, l’homme ne risquerait pas de succomber à la guerre
intérieure en faveur de l’égoïsme à outrance, qui le livrerait à une identité
en déviation alors que seul la langue usuelle, grâce à ses propriétés
communicatives, devient une matrice et un socle essentiel de la civilité de
l’homme.
Les « parlari volgari », selon
Vico, se mettent en faveur de la
récollection de soi, dès l’ouverture créative de l’âme sur le champ de l’action
commune. « Durant ce parcours, la mens heroica joue un rôle majeur.
Elle désigne le mouvement par lequel l’individu se reconquiert dans
le miroir de la connaissance et croit de
nouveau à la nécessité de l’instruction [...] C’est à ce
moment où la pensée de la nature devient réflexive qu’elle détermine une
politique possible.»
Une autre
manifestation essentielle prend forme, avec cette étude ancrée dans des idiomes
dynamiques, et elle retient les coutumes et les rites telles qu’elles sont
décrites dans les langues vulgaires, en leur témoignant un certain savoir faire
dans un certain temps et d’une certaine manière. Vico asserte que « la
langue d’une nation ancienne, qui est indépendante jusqu’à son développement
complet, doit être un grand témoin des coutumes des premiers temps du monde. » Là Vico relie les
signes et l’évolution linguistique en général aux institutions et aux pratiques
sociales qui figurent dans l’extériorité et qui donnent sens à l’homme, acteur
et créateur des valeurs. Dans un deuxième volet, il clarifie la condition
idéale de l’unité d’un corpus linguistique. Cette condition s'identifie à la
stabilité politique perpétuelle, chose dont il démontre l’impossibilité tout au
long de la Scienza nuova.
Le mens humain, donc, héroïque à ce stade selon la terminologie
vichienne, révèle une hétéronomie qui est constitutive de son autonomie. Une
autonomie dont la seule garantie est le sens commun conservé pratiquement dans
les traditions vulgaires qui « doivent avoir un fond public de vérité,
qui leur a donné naissance et leur a permis de se conserver pendant de longs
espaces de temps »
Chaque société donc a un sens commun qui est synonyme
d’une vision spécifique de la réalité et du monde dans lequel elle vit, ainsi
que de ses attentes et de ses espoirs. Ce sens commun est immanent à tout
ce que ses membres font, examinent et perçoivent. Il s'exprime dans un genre de
discours dont les structures, les images et les métaphores sont révélatrices de
la condition de vie commune. D’autre part les institutions obéissent à cette
même logique commune qui incarne et traduit la représentation et la hiérarchie
à l'intérieur de cette réalité. Ces visions témoignent différemment des
entités sociales qui se succèdent ; chaque strate et/ou chaque communauté
possède en propre ses aptitudes, ses valeurs, ses modes de création, qui sont
incommensurables les uns aux autres; chacune doit être comprise selon son
propre contexte. Cette compréhension n’est pas nécessairement une évaluation.
Cette
emprise du sens commun sur l’ensemble des individus dans la communauté, selon
Vico, explique la survie de l’homme et de ses cultures aux temps et à la
réalité tortueuse de la condition humaine. Comme elle peut survivre aux
modifications des mente par le biais des langues et des lois qui demeurent
sous forme de résidus ou de fables enfouis dans la mémoire commune parce que
« les hommes sont naturellement portés à conserver la mémoire des lois
et des ordres [ordini] qui les tiennent à l’intérieur de leurs
sociétés.
» D'ailleurs, Vico établit à l'aide d'une enquête historiographique que les
changements portés surtout à tout ce qui touche à la liberté naturelle des gente
ne se font pas d’un seul coup, mais « par degrés et à forces du
temps » en prenant en compte leur enracinement dans la mémoire et dans la
pratique quotidienne et leur lien direct aux utilités de la société ainsi qu’à
son mode de vie
C’est en
raison de cette stabilité approximative du sens commun que Vico suggère au
philosophe de ne pas faire de violence aux croyances et aux institutions
sociales s’il veille à ce qu’il remplisse son rôle de sage de la cité. Pour
prouver le sens de sa suggestion, Vico déchiffre les logiques de changement qui
rythment la succession des âges et les diverses époques. Il critique notamment
l’excès de rationalisme qui se manifeste, selon lui, avec les grecs qui ont
perdu de vue leurs origines quand « les philosophes grecs
accélérèrent le cours naturel que devait suivre leur nation, en apparaissant
alors que les Grecs se trouvaient encore dans un état de barbarie
grossière, d’où ils passèrent immédiatement à un état de suprême
raffinement, cependant qu’ils conservaient intactes leurs histoires fabuleuses
aussi bien divines qu’héroïques.» Vico révèle le paradoxe
entre une prétention des philosophes grecs d'exprimer une vision conforme à l'essence
de leur civilisation d'une part et une réalité de barbarie qui a condamné
Socrate de l'autre. Cette contradiction entre la prétention et la réalité au
moment de l’émergence de la pensée philosophique a faussé (1) premièrement la
nature de la relation à entretenir entre la philosophie et le sens commun (2) deuxièmement,
toute la pensée politique à venir concernant la nature des origines du droit (3)
enfin, elle a dévié les compréhensions réelles des fables en leur attribuant
des dimensions ésotériques. Parallèlement,
Vico critique l’esprit analytique de son
temps qui s’est transformé en une dictature de mode intellectualiste. C’est la violence subversive de la mode, non de la
critique elle-même, qui a un effet désagrégeant sur l’opinion publique. Elle
établit le scepticisme dans le monde protégé par un savoir et un savoir faire légitimes,
transmissibles et perdurables.
Mais face à une situation où l’homme devient
objet accessoire de l’étude dans le monde et quand les sapiens se désorientent,
entraînés par leur vanité, en appliquant « leurs efforts les plus
sérieux à parvenir à la connaissance du monde naturel, dont Dieu seul, parce
qu’il l’a fait, a la science. » il s’avère que sa
tâche la plus fondamentale est de se comprendre à travers sa condition humaine étant
donné que le monde civil est certainement l’œuvre de l’homme. Dans une telle
philosophie d’ordre humain toute la science des sapiens doit y être investie,
et le nouveau centre découvert dans cette enceinte ne sera pas objet d’un livre
ouvert écrit par des chiffres et des équations mathématiques ni même schématisé
par des plans géométriques. Seule la langue naturelle et le maintien de
l’imagination peuvent venir en aide aux sapiens parce qu’ils auront affaire à
des couches superposées de l’intelligence humaine durant l’histoire de sa
concrétisation et son élaboration graduée.
Dans l’historicité de la faculté intellectuelle,
la sagesse socratique s’est faite avortée par un esprit aiguisé. L’intelligence
s’est détachée des sens et de sa faculté imaginative même au niveau du commun
des hommes. Dans la vie quotidienne, ils ont appris, suite à la vulgarisation
de la philosophie et des sciences modernes, à idéaliser l’esprit calculateur de
sorte que la scission avec toute enfance devienne automatiquement critère de
maturité. Or la vraie maturité et la vraie intégrité ne se réalisent qu’en assumant
la responsabilité de la naïveté et l’ignorance de l’enfance à travers la
compréhension des différents âges des hommes et des sociétés. C’est cette
scission des Anciens qui s’est radicalisée par les interprétations répétitives
des fausses compréhensions et des
nouvelles prétentions de la philosophie moderne et qui a fait que « nous
pouvons à peine comprendre et absolument pas imaginer, comment pensaient les premiers hommes qui fondèrent l’humanité
païenne.»
Cette scission est devenue, lors de la naissance
de la modernité, destructrice de l’équilibre
humain par l’enseignement de l’arithmétique et de la logique de Port Royal. Un
tel enseignement condamne le lettré à la solitude vu qu’il ne l’habilite pas à
vivre dans la société des idiomes et de la variété qui est la vraie face de la
vie sociale et donc de la norme sociale d’autant plus que le lettré une fois
admis dans la République
des lettres aura tendance à rejuger le vrai et le faux. Par contre, l’économie
de l’arbitre humain est une constante historique qui admet que « le
vrai est séparé du faux dans tout ce qui a été conservé pour nous pendant une
longue suite des siècles par les traditions vulgaires, qui, parce qu’elles ont
été conservées si longtemps et par des peuples entiers, doivent avoir eu,
[…], un fondement public de vérité. » Ce principe peut être
rapproché du dire cartésien que le bon sens est la chose la mieux partagée
entre les hommes bien qu’il soit foncièrement différent vu la dynamique et la
primauté octroyée par Vico pour le sens commun qu’il légitime d’ailleurs dans
ce principe en se référant à l’historicité immanente au sens commun
c'est-à-dire de gente et non le bon sens individuel.
Or le sensus communis a fait un long trajet
avant d’atteindre l’universalité que lui accorde Vico en assertant
que « des idées uniformes, nées chez des peuples entiers inconnus
les uns des autres, doivent avoir un fond commun de vérité» de telle sorte que la connaissance de soi deviendrait
une fin d’ordre prioritaire par rapport à la maîtrise des sciences formelles
dans le domaine de l’éducation des jeunes. Sa priorité se dessine dans sa
facilité, ou comme l’a dit Vico, en prenant un chemin dont l’accès est le plus assuré
vu son immanence et son omniprésence. C’est une réponse scientifique et pragmatique
au diagnostic d’un certain déclin des mœurs qui impose la solitude au sujet
social et l’inefficacité au sujet politique.
L’esprit de mode isole
l’original et le différent afin de neutraliser les tentatives de faire
autrement et il affaiblit le conato qui est effort de vouloir
vivre humainement. Cet abord se fait au service de la vanité d’une nation et
d’un ensemble des ego solitaires. Pour combattre cet esprit, Vico a
inventé la mens heroica
qui présente l’ensemble des procédés adéquats pour organiser le temps collectif
du savoir de façon à garantir, pour le bien de tous, la sagesse qui se définit
comme étant « la faculté qui commande à toute les disciplines qui
servent à acquérir toutes les sciences et tous les arts qui
accomplissent l’humanité. » Le savoir est défini,
donc, comme moyen et non pas une fin en soi de l’activité humaine. Son véritable
enjeu est l’accomplissement d’une humanité par le biais d’une volonté de
changer le réel en sa faveur. La même humanité est apte à s’aliéner et à perdre le sens de
son existence, en perdant la volonté de s’approprier ses œuvres issues de
l’agir héroïque qui était à l’origine de l’humanisation de l’homme quand
« les fondateurs de l’humanité païenne, avec leur théologie naturelle
(ou métaphysique), s’imaginèrent les dieux ; comment avec leur logique,
ils trouvèrent les langues, avec la morale créèrent les héros, avec
l’économique fondèrent les familles, avec la politique les cités. » La mens heroica est la faculté
qui donne sens à la vie commune dans un contexte où l’absence de sens mène par
ailleurs à l’aliénation de l’individu et à la décadence de la cité. Là où le
dérèglement de l’effort de la volonté devient un symptôme maladif difficile à
diagnostiquer. En ce sens, Vico apparaît comme précurseur des penseurs
contemporains qui sont de nos jours ardemment confrontés aux problèmes de la
mode, de la marginalité et du scientisme intensif qui a pris le risque
d’omettre le besoin vital de l’homme à donner un sens à sa vie en communauté en
se donnant le moyen d’une connaissance positive de soi. Mais Vico
propose une vision d’un enseignement nouveau qui répond aux besoins d’une
éducation civile de l'homme. C’est la
responsabilité du sapien de transformer l’éducation en un processus qui garantit
à l'homme l’insertion de son caractère social et politique. Une telle
indulgence du sapien enseigne aux générations futures comment cultiver
les vertus et la manière dont on érige les établissements dans lesquels le
caractère de l’humain est réalisé, individuellement et collectivement, pour
enfin découvrir le système des sciences et des arts par qui et pour qui ces
vertus et ces établissements peuvent être formés, communiqués et perpétués.
Vico
a traité ce thème, conformément à sa formation initiale, par les deux
disciplines qui représentent un intérêt vital à la fondation de sa Science : la
rhétorique et la jurisprudence. Le problème de la conscience de soi est, en
effet, un problème de l'éducation civile qui surgit comme une nécessité de la
conjonction de ces deux disciplines. D'une part, la jurisprudence dicte un
ordre des problèmes à résoudre que Vico, dans son effort d'élucider la loi,
rassemble sous la rubrique de la civilité: le problème de la nature sociale de
l'homme, la nature du lien social et juridique, la nature des vertus et des
établissements sociaux et politiques; de l’autre, la rhétorique s'ouvre sur une
veine riche de souci que Vico exprime sous la rubrique de l'humanité. Ainsi l'ordre des sciences et des
disciplines, dans lesquelles la nature humaine se modifie, est examiné selon
son soutien et son utilité à l'ordre social tel qu’il est établi. L'humanité et
la civilité, par conséquent, deviennent des rubriques jumelles sous lesquelles
l'analyse de l'éducation civile procède selon les principes de l’historicité
des idées humaines, des procédures et des facultés à prendre en compte selon
l’âge et les propriétés.
Cette analyse nous amène à reconsidérer la
nouveauté du discours vichien comme un thème déjà discuté par les philosophes
grecs et ceux de la
Renaissance, c’est la réminiscence. C’est un art
traditionnellement statué comme association entre les différentes structures
d’images déposées dans la mémoire et le corpus du savoir que nous avons besoin
d’organiser. Pour se souvenir, l’homme veut rattacher les faits nouveaux à des
images qui sont suffisamment frappantes ou qui évoquent des émotions et qui
peuvent flotter à la surface de sa conscience quand il veut. Là il peut classer
ses images et en les situant dans l’espace habituel afin de se familiariser avec l’événement
nouveau. La plateforme de la mémoire se compose d’un lot d’images prêtes à
l’usage à quoi l’homme se réfère en modulant les paradigmes de la connaissance.
Et c’est à partir de cette caractéristique de
l’anatomie et de la psyché humaines que Vico trace le point de départ de sa
théorie des transformations du mente humain et par conséquent les bases de l’éducation civile de l’homme. Comment peut-on
alors procéder avec l’opacité de la
mémoire par rapport à la clarté et à l’uniformité, accordées habituelle, à la
raison ? Et comment donner sens à la civilité et à l’humanité à partir
d’une sagesse poétique ?
Telle qu’elle est comprise par les classiques de
l’humanité, la réminiscence n’est pas un souvenir de l’idéal d’une réalité qui prend
forme par la représentation, mais elle est une association entre les images
d’une faculté microcosmique et macrocosmique de l’idéal de l’univers.
C'est-à-dire une association entre une vision personnelle du monde d’une part et
une représentation collective de l’univers dont on croit qu’elle a la structure
de la réalité adéquate de l’autre. Le rôle du maïeuticien n’est pas uniquement
d’être le sage mais encore doit-il assumer la considération qu’il soit un
prêtre non seulement pour son savoir faire mais encore parce qu’il détient les
procédures d’une interprétation du monde, de telle sorte qu’on lui octroie
l’initiation des profanes pour leur transmettre son interprétation du monde ou
comme l’a nommé Paolo Rossi le « clavis
universalis.» L’humanité depuis la
systématisation de la philosophie avec Platon et Aristote, se partage toujours
deux explications de la réminiscence. Pour Aristote, cet art a des fins
instrumentales. Selon lui la connaissance dérive de l’expérience et c’est le
système mnémonique qui juge à partir de sa capacité pratique à fixer les images
de ce savoir dans la faculté perceptive ; de sorte que les images
mnémoniques n’acquièrent encore aucune correspondance au sens des idées,
néanmoins elles sont transportées pour un dépôt sans rapport direct avec l’idée.
Par contre, Platon présente les images
mnémoniques comme des expressions et des symboles qui appartiennent à la
réalité transcendantale. Et le maïeuticien est apte à se connecter aux visions
transcendantales et à les transmettre, donc la valeur des images mnémoniques
est due au fait qu’elle soit directement dérivée d’un monde où la connaissance
sûre est identifiée avec la compréhension systématique du sens de l’expérience. Le maïeuticien chez Platon
établit le lien entre la réalité idéale et la représentation humaine de cette
idéalité. Son effort renforce l’aptitude de l’homme à organiser son savoir
selon l’ordre de la réalité transcendantale rappelée. Cette conception de la
positivité de la mémorisation a oscillé, durant l’aristotélisme du Moyen-âge et
le néoplatonisme de la
Renaissance entre l’usage instrumental de la tradition
hermétique explorée dans l’astronomie de Bruno, par exemple, et un usage
pédagogique et critique dont l’ambition est d’unifier le corpus de la
connaissance humaine sur le modèle de la connaissance reconquise par l’effort
de la souvenance. Bacon, en méprisant l’esprit magique accordé à l’usage de la
faculté mnémonique, favorise l’esprit
scientifique et se concentre sur la classification systématique des sciences de
manière à ce que le maïeuticien redevienne le charlatan qui ne dispose que des
connaissances modestes de la science et qu’il ne représente plus le sage et le
modèle de la connaissance transcendantale.
L’art de la maïeutique a été absorbé par les
sciences de la nature quand Vico intervient pour revisiter l’enfouissement de
la mémoire humaine dans les œuvres de Dieu en délaissant ce qui est plus utile
et plus significatif. Il définit l’imagination par rapport à l’ingegno
en disant « l’imagination n’est rien d’autre que la résurgence de
réminiscences et l’ingegno n’est rien
d’autre qu’un travail sur des choses dont on se souvient. » Le sens d’une telle
aptitude est sa capacité à redécouvrir les structures internes de l’esprit et
de ses modifications en rapprochant les similitudes et en réexpliquant les différences.
C’est en activant l’art de la réminiscence que l’homme fait l’« économie
des choses civiles qu’ils auraient dû l’étudier, en donnant sa pleine
signification au mot ‘’divinité’’ qui fut appliqué à la providence et qui vient
de divinari, ‘’deviner ‘’, c’est-à-dire comprendre ce qui est caché
aux hommes, à savoir la conscience.» Donc l’économie de la
mémorisation selon Vico n’est pas uniquement une fin transcendante verticale,
mais elle est aussi horizontale vu qu’elle capte les effets de la conscience et
de son histoire. Mais cette reconnaissance n’est pas solitaire ou psychique
parce qu’elle est véhiculée par les racines des sons et de l’alphabet des
langues. Les moyens de la communication humaine facilitent et vérifient
l’effort du maïeuticien qui « doit manifester ses ordres [les
ordres de la providence] par des moyens aussi faciles que le sont les
coutumes naturelles des hommes. » Donc ce ne sont pas
les objets et les images de la mémoire vivante qui sont à explorer mais c’est
plutôt la mémoire de l’origine de la culture et de la civilisation, celle qui est
omise par l’humanité bien que cet effort mnémonique soit plus urgent et plus
nécessaire pour évaluer son passé et pour organiser son devenir.
L’homme de la Renaissance adorait la
magie de la sagesse de l’antiquité. Les Anciens, pour longtemps sont considérés
comme les détenteurs d’un savoir ésotérique qui convient le plus aux choses
divines. Or Vico explique que le savoir des Anciens est une connaissance
poétique et non pas philosophique et cette rectification du genre s’explique
par le fait que « les fables inventées par les premiers hommes sauvages
et cruels furent entièrement sévères, comme il convenait à la fondation des
nations qui émergeaient de la féroce liberté bestiale. » D’ailleurs la
philosophie est une connaissance de raffinement de l’esprit, elle n’est pas
première dans le temps et c’est la raison pour laquelle elle a pris en charge
l’explication des fables. Mais les mythes qu’elle a expliqués étaient souillés
par le décalage des temps de la naissance et les différents usages des milliers
d’années passées.
Cependant, la réinsertion de l’art de la
réminiscence, chez Vico, n’a pas de
finalité cosmologique, comme chez Platon ou Aristote ; sa fin est
plutôt anthropologique et historique du fait que le résultat de cette révision
n’est pas une science des faits naturels mais c’est une science de l’ « histoire
des idées humaines, d’après laquelle
semble devoir procéder la métaphysique de l’esprit humain. » Si cet art est considéré jusque là comme une
exploration spatiale du sens, c’est Vico qui lui attribue une extension
temporelle qui dépasse les techniques inventées par Simonide et perpétuées par les
rhétoriciens. Lors de l’usage intuitif de cet art mnémonique, les fins étaient
limitées à l’ornement des discours et l’accumulation d’un savoir passif, qui a
installé un système mémorial artificiel et mutilé. Il se contentait dans l’âge
classique de disséquer la structure et la forme des poèmes transmis par les
rhapsodes sans jamais se rendre compte que « il était donc nécessaire
que la langue héroïque fût à ses débuts extrêmement désordonnée, ce qui est une
des sources principales de l’obscurité des fables. »
Les mots spontanément exprimés
dans ces fables, selon Vico, sont la forme des images qui leurs sont
correspondantes parce qu’au début de la civilisation l’image et l’idée étaient
des synonymes et il n’y avait pas de scission dans leur vision du monde. La
mémoire était vigoureuse comme elle l’est chez les enfants de l’humanité. Cette
constatation par similitude explique que les premiers hommes faisaient recours
à l’association des images et de leurs sons et gestes pour exprimer ou formuler
leur approche au monde extérieur qui n’était « rien d’autre que la
résurgence de réminiscences et l’ingegno n’est rien d’autre qu’un travail sur
des choses dont on se souvient. » Donc la grandiose
magie attribuée aux mythes par la Renaissance se révèle avec Vico comme une réponse
humaine à des conditions difficiles et inabordables par la langue dans son état
avancé d’organisation et de richesse parce qu’ « aujourd’hui la
nature de nos esprits civilisés est si détachée de sens, même chez le
commun des hommes, par toutes les abstractions dont sont remplies les langues
avec tous leurs mots abstraits, elle est si affinée par l’art d’écrire et
spiritualisée pour ainsi dire par la pratique des nombres, puisque même le
vulgaire sait compter et calculer, qu’il nous est naturellement refusé de
pouvoir former la vaste image de cette femme que certains appellent la ´Nature
sympathique.» Sa magie n’est plus la gnose
mais parfaitement son contraire, la rudesse des origines et la faiblesse de
l’esprit vu la dignité qui énonce que la vigueur de l’imagination va de pair
avec la pauvreté de l’intellect.
Même quand Vico s’aventure à
illustrer son œuvre par le frontispice qui le résume, il l’a suivie par
l’ « Idée de l’œuvre » qui n’est qu’une explication de trente-deux
pages,
qui étalent en détails les significations de chaque détail de la gravure. C’est
une conduite qui prouve la certitude vichienne en ce qui concerne la faiblesse
de l’ingegno de son époque qui s’est enfoncée dans l’abstraction jusqu’à
perdre de vue le particulier et le propre des modifications de l’esprit humain.
Cette théorie des modifications de mens humain durant le processus de sa
formation relie les places aux images et les classes sous les labels de topique
et de trope. Les topiques sont les formules chantées par les poètes et que les
peuples primitifs identifient comme représentation d’une réalité particulière
ou d’un phénomène, ce qui leur fournissait un point de référence fixe parmi les
flux des sensations. Et comme les topiques de la poésie antique sont multiples,
ils formaient de la sorte l’ensemble structurel de la perception de la réalité
antique.
Les topiques étaient en fait le
travail préparatoire pour l’émergence des champs de la connaissance. Selon
Vico, on ne peut concevoir le
développement du processus cognitif que sous le signe de la métaphore et des
tropes si on s’abstient de la prise de conscience de la valeur fondatrice des
topiques. Parce que les premières origines de la connaissance étaient énoncées et maîtrisées par la topique même si
ces images étaient ultérieurement interprétées comme métaphore et non pas
originairement réelles. Vico décrit la véracité de la topique des poètes
qui ont inventé le mythe de Jupiter et donne preuve de sa nécessité à la vie
humaine et de l’ordre qu’elle émet réellement, il énonce « telle est la
façon dont les premiers poètes théologiens inventèrent la première fable
divine, la plus grande de celles qu’ils inventèrent jamais, celle de Jupiter,
roi et père des hommes et des dieux, dans l’acte de lancer la foudre ; une
fable si populaire, si perturbante et instructive que ceux-là mêmes qui avaient
inventé Jupiter crurent en lui et le craignirent, le révérèrent et l’honorèrent
dans des religions épouvantables.»
Mais l’usage des métaphores est
en lui-même une sélection d’images particulières pour s’approcher des topiques
originelles et la capacité humaine d’être
sélective est d’autant plus raffinée qu’elle s’exerce. Avec le temps,
notre compréhension des topiques devient de plus en plus extensive de façon
qu’elle soit contournée (1) en métonymie
si le texte de la topique se transforme en un effet de soi du lecteur et
non pas en une source d’inspiration ; ou (2) en synecdoque de telle sorte
que l’ordre du texte se désagrège ; ou encore (3) en ironie quand l’image
est prise comme autosuffisante alors qu’elle a le plus besoin du substantif de
la topique pour être expressive et cela est le symptôme de ce que Vico
considère comme inclination naturelle du mente humain à se voir dans sa matérialité parce que « l’œil
corporel qui voit tous les objets extérieurs à lui a besoin du miroir pour se
voir lui-même. »
Le développement de la
conscience est, selon Vico, un processus d’abstraction qui creuse une distance
de plus en plus grande entre la place exprimée par les topiques et l’image
désignée par les tropes ; quand on oublie les origines des métaphores que
représentaient les topiques pour les désigner comme des descriptions ironiques
dans le discours moderne, on tronque le lien qui
est immanent à la langue et on délaisse la recherche des racines géographiques
et ethniques des mots qu’on utilise. « Le principe d’un nouveau système étymologique pour les mots d’origine
certainement étrangère, qui est différent de celui dont on a parlé plus haut pour les mots indigènes. Il peut nous donner
aussi l’histoire de nations qui se sont succédées avec leurs colonies sur des
terres étrangères.» Donc la rhétorique et ses figures nous
rapportent non seulement l’histoire de l’humanité mais encore sa géographie politique.
Considéré sous cet angle le nouvel art de l’analyse étymologique et
linguistique devient une recherche rétrospective en faveur d’une connexion
constructive entre le présent de notre prose et le passé des images poétiques
qui sont à la source effective de toute naissance de l’énonciation constitutive
des moyens de la communication humaine.
Dans la
logique poétique vichienne, le nouvel art de la réminiscence est une
reconstruction du processus imaginatif par lequel les poètes de l’antiquité
donnent forme à leur perception du monde. Ces formes sont certainement
détectables comme des sources imaginaires au sein de nos propres idées contemporaines.
La topique originale est comme un manuscrit dont on a gratté les traces pour
réécrire d’autres lettres à leur place de façon qu’il devienne un palimpseste
dont les contenus sont superposés l’un sur l’autre indéfiniment et apparemment
il tend à conserver son originalité dans toutes les superpositions qui
l’alourdissent mais qui gardent trace de chaque couche pour la transmettre à
ceux qui prendront la peine de tracer une topologie du microcosme comme du
macrocosme de mente humain.
Vico affirme
cette volonté du ‘’faire topologique’’ de son savoir en l’appliquant à la
sagesse poétique et en inversant les méthodes de recherche reconnues jusqu’à lors et il débarrasse
« les fables de leurs de leurs significations mystiques pour leur
rendre leur signification historique originelle ; et la façon naturelle et
aisée, libre d’efforts, de subterfuges et de distorsions, avec laquelle nous y
sommes parvenu, prouve la propriété des allégories historiques
contenues dans ces fables. » Les significations
historiques originelles des fables, comme les restructure Vico, s’avèrent des
actes ontologiques de création des images pour donner formes et sens aux
phénomènes extérieurs et aux flux des sensations intérieures. Mais avec les
modifications des mente et l’avancement de la civilisation, la confusion
s’installe entre réminiscence et mimesis ; mimer, c’est répéter
l’acte créatif dans le but de découvrir son sens original ; mais l’action
comme la décrit Vico en lui consacrant
une vingtaine des années de sa vie d’adulte est presque impossible vu les
débordements du dépôt des interprétations sur l’origine de l’acte créateur de
l’humanité de l’homme. De là son recours à l’interprétation qui nous habilite
pour établir des connections entre les images qui nous sont familières et
celles qui nous étaient étrangères parce qu’elles énoncèrent les préoccupations
et les visions des premiers hommes.
D’ailleurs la découverte de Nouveau Monde lui est très profitable pour
prouver ses présuppositions. Par exemple, dans l’élément II du « Chapitre
sixième » de la « Recherche du véritable Homère », il établit
une analogie entre les anciens germains et les américains récemment découverts
en disant « On constate que les peuples barbares, fermés à toutes les
autres nations du monde, comme le furent les anciens Germains et les
Américains, conservaient en vers les commencements de leur histoire.»
C’est afin
de se forger une voie alternative entre
le dogmatisme des Anciens qui n’arrive pas à topographier les fables et
la poésie sublime des fondateurs de la civilisation ; et le scepticisme des
Modernes qui nie toute valeur de scientificité à l’intérêt qu’on peut attribuer
à la recherche des origines des langues et des formes primitives ou
originaires, dans lesquelles le mente humain s’est manifesté. Le
long labeur vichien se révèle innovant dans le sens que sa philosophie présente
des anticipations multiples à la pensée contemporaine telle que l’herméneutique
comme science de l’interprétation non uniquement des textes sacrés mais aussi
de tous les signes propres à une culture.
Vico
découvre le processus herméneutique en tant qu’une compréhension métaphorique
des anciens à qui Hermès a dévoilé les secrets de l’art de la communication.
Cette découverte lui permet de voyager dans des endroits qui lui sont étrangers
et de remédier à la myopie des Modernes en annonçant qu’il n’est pas raisonnable de défier Homère ou de le
glorifier parce que Homère a interprété son monde avec une créativité propre au
mente humain qui tend naturellement à créer des nouvelles images pour
expliquer les nouvelles expériences. Alors que les images créées par Homère ne
sont plus adaptables à la réalité de l’homme actuel, c’est aux philosophes
contemporains de revisiter le sens commun de l’homme dit moderne pour se faire
une compréhension sûre de la nature humaine. Ils doivent partir de ce qui leur
est quotidien, c'est-à-dire l’abstraction, la richesse de la langue et la
diversité des langues, pour remonter aux idiomes de la poésie étrangère du
passé de façon qu’ils restructurent avec leurs moyens sophistiqués les images
de leurs prédécesseurs afin de se faire une idée humaine de soi-même tout en
s’appliquant à l’exigence de « l’ordre des idées humaines [qui]
est d’observer les similitudes des
choses, d’abord, pour s’exprimer, ensuite pour prouver et cela en se servant
d’abord, à titre de preuve, de l’exemple, qui se contente d’une seule
similitude et finalement de l’induction, pour laquelle il en faut plusieurs. »
Autrement
dit les philosophes contemporains sont appelés à ressusciter l’esprit
socratique pour pouvoir corriger leurs préjugés qui leur ont inculqué
l’handicap de juger avant de chercher les preuves dans la réalité des faits
historiques et philologiques. Alors qu’en remontant vers leurs ancêtres, les
gardiens de la topologie linguistique les philosophes sauront
boucler le cercle herméneutique en ravivant l’art de la réminiscence et l’ingegno
de l’acte créatif de la mémoire. Cette vitalité exigée à des fins vitales de la
philosophie qui recherche à échapper à son aliénation et qui jusque là est
consumée par des « sentences abstraites [….] parce qu’elles
contiennent des universaux et les réflexions sur les passions
sont le fait de faux et froids poètes » alors que les vraies
sentences poétiques sont sublimes et expriment de vraies passions humaines. Et
c’est la raison pour laquelle on ne parvient à sauvegarder la justice et
l’équité naturelle qu’en ravivant l’humanité de l’homme et qu’en étant
réellement ou véridiquement préoccupé par ce qui est de l’ordre du sens commun
et des utilités de l’homme.
Or la
philosophie au cours de la majorité des étapes de son histoire s’est préoccupée
d’un monde plus subtil et plus raffiné que celui du monde vécu par le commun
des mortels tout en prenant en charge de répondre à des préoccupations
pratiques telles que la justice, l’équité, le bonheur et la différence. Mais
l’insuffisance que critique Vico se situe à un certain niveau de la scission
entre le pratique et le théorique, l’aboutissement et la genèse. Quelles
solutions propose-t-il pour que le philosophe remédie à cette scission et pour
que la saisie de la genèse devienne congruente avec la complexité et la
diversité des réalités humaines ?
Vico
conseillait ses élèves, en 1732, en disant « pendant le cours de vos
études, ne vous consacrez à rien d’autre qu’à une comparaison continuelle entre
toutes les choses que vous apprenez, afin de créer entre elles des rapports qui
leur permettront à toutes de s’harmoniser avec les disciplines que vous étudiez
[…] une fois que vous aurez aussi acquis la capacité de comparer les
sciences qui, comme des membres célestes, composent le corps divin du savoir
dans toute sa plénitude. » Ce conseil se centre
autour de l’esprit critique et comparatif qui doit puiser dans ce qu’il reçoit
pour établir un contexte, un lien dans lequel l’étudiant ou l’apprenant
n’accumule pas des données mais construit un système relationnel parce que
l’apprenant ne peut s’approprier, c'est-à-dire comprendre une donnée qui lui
est étrangère comme étant des choses particulières et des champs
d’investigation épars qu’en la construisant ou qu’en créant une harmonie au sein
d’un tout. Par le même conseil, Vico se place à un niveau critique de la
tendance des modernes à faire de toute chose particulière, système alors que la
classification et l’hiérarchisation du savoir ne peut se faire qu’après le
cumul comparatif de l’apprentissage et de la reconstruction des schèmes cognitifs
appropriés. Comment peut-on donc comprendre son incitation à comparer et à harmoniser
si ce n’est pas dans le sens d’édifier des caractéristiques appropriées pour
les divers champs d’études ? Est-ce que, selon Vico, la contextualité du
savoir se veut libre de toute construction statique ?
Ce qu’on
veut étudier dans ce lieu, ce n’est pas la systématisation de l’œuvre vichienne
et sa normativité mais la notion de contexte à l’intérieur du dire vichien en
tant que finalité de la compréhension humaine des faits et des idées. Avant
Vico, Platon asserte dans l’Apologie de
Socrate qu’il appartient au lecteur de penser par soi-même et de faire preuve d'intelligence
afin de faire vivre le discours écrit comme il revient à l'auditeur d'être
raisonnablement réceptif et critique à l'égard du discours oral. Or au XVIIIe siècle, le
lettré ne prend plus en charge le sens commun et le récepteur profane du
discours « épistémique ». Cette marginalisation de la tâche de la
persuasion chez le lettré crée une propension aux systèmes fermés de façon,
nous dit Vico, que de chaque chose particulière on est prêt à inventer une
nouvelle méthode et un système des notions sans pour autant créer des nouvelles
connaissances. C’est une aptitude à penser en monade et à créer des néologismes
pour exprimer des idées anciennes. Or si nous « réfléchissons aux
rapprochements qui ont été faits tout au long de cet ouvrage, sur de nombreux
sujets, entre les premiers temps et les derniers temps des nations anciennes
et modernes. » On découvrira une nouvelle science qui édifie le tout
du savoir sans marginaliser la culture et les mentalités au sein desquelles les
choses particulières et les liens qui les rattachent les unes aux autres
constituent un édifice qui tient compte de la complexité des vies humaines et
de la multitude des approches qu’on doit adopter pour parvenir à la Science. Néanmoins,
Vico ne présente pas une collecte linière des sciences classées selon un ordre
comme dans la conception des encyclopédistes, « selon laquelle l’unité
du savoir humain n’est pas l’unité d’une diversité, ni l’unité d’un tout par
rapport à ses parties, mais une unité de continuité entre les parties, là où on
peut la trouver. »
La Scienza
nuova, désigne deux axes nécessaires à la
contextualité. Les hommes au cours de leurs évolutions véhiculent deux
modifications, une au niveau de leur mente
et l’autre au niveau de leur quotidien qui est modulé selon un savoir. C'est-à dire
dans le fait de la convertibilité entre factum et verum qui
implique l’intérêt humain de s’approprier ses propres œuvres. Tout ce qui est
fait dans un contexte humain, aussi étranger que l'homme soit, ne doit pas être
traité au sens de la chose physique. La différence de statut entre la chose
naturelle de l’univers, qui est l’œuvre
de Dieu et ce qui est expliqué et traité par l’homme afin de répondre à ses
besoins et ses utilités, devient critère de différenciation entre les domaines
de la connaissance humaine. Vu qu’il touche simultanément à la structure de
l’esprit humain et à sa condition de vie réelle. Le simple usage de la langue pour exprimer la
chose naturelle la transfère dans la sphère humaine donc dans un contexte là où
l’alphabet est créé et utilisé. Le temps, l’espace et la culture interviennent
pour donner forme et sens à la chose de telle sorte que le sens de tout texte
s'affecte en conséquence par un renvoi à un contexte culturel, à un âge, à une histoire faite par l’homme. Afin de
comprendre une expression, il faut donc la situer dans son contexte historique.
L'effort de Vico, à ce stade, revient alors à vouloir donner un statut de science
possible à la connaissance de toute réalité conditionnée historiquement. Ce
n'est qu'à partir du moment où nous nous élevons au-dessus de nos préjugés,
liés à notre époque et notre propre culture, que nous pouvons saisir le sens
humain octroyé à une institution, à une parole et même à une croyance.
Interpréter revient alors à cheminer vers une compréhension de plus en plus
profonde de la nature humaine en tant
que genre. Et c’est la forme selon laquelle Vico distingue entre expliquer et
comprendre.
Vico ne
cherche pas à développer une méthodologie propre à chaque science, comme l’ont fait ses contemporains,
mais il tend à élaborer une plate forme pour s'entendre sur ce que les sciences
dites de la nature sont en vérité par-delà la conscience méthodique qu'elles
ont d'elles-mêmes et sur ce qui les rattache à la vision du monde à tout moment
du développement du savoir humain dans sa totalité. C’est une constitution
ontologique de la compréhension humaine où le sujet apparaît propriétaire d’une
tradition, des coutumes, des lois et des institutions en général. C'est à
partir de notre contexte et de notre perspective historique que nous sommes
amenés à comprendre le faire de l’homme et que nous entrons dans l’humanité de
l’acte en dialogue. Une fois l’homme devient apte à établir ce dialogue, il
devient possible de respecter la contextualité du savoir humain en édifiant une
unité propre au savoir qu’il acquière de tout temps dans l’effort. C'est-à-dire
édifier un arbre de connaissance capable de fleurir avec le temps et les modifications
des mente sans pour autant omettre ou
tracer une courbe dans laquelle les ruptures sont synonymes d’obstacles
épistémologiques. On n’aura plus, donc, à sélectionner des sciences qu’on
chasse de la scientificité vue notre incapacité de comprendre la chose humaine dans
son dynamisme. La contextualité de la production scientifique est une conséquence
d’une première contextualité. Celle-ci est inhérente au fonctionnement de
l’assimilation de l’homme durant son histoire et lors de sa production
spécifique du sens. Ce dérivé de la conscience humaine, donc, n’est pas une fin en soi mais il est le moyen qui
exprime une ingéniosité et qui n’est pas forcement rationnel, l’ingéniosité est
plutôt attribuée à une imagination inventive historiquement modelée.
La
philosophie vichienne ne prescrit pas une méthode exemplaire pour tracer
des limites entre les choses produites
(les sciences) et leur faiseur (l’homme). Il n’y a, donc, que l’homme qui
ressent le besoin de faire et de certifier ses institutions. C’est à ce niveau
que Benedetto Croce qualifie d’échec la distinction entre les disciplines, et que Giorgio
Tagliagozzo asserte que « si on
me demandait quel est le penseur de tous les temps qui peut nous aider le plus
dans notre tentative de résoudre le problème, si urgent à notre époque, de
l’Unité du Savoir, je répondrais sans hésitation que ce penseur est
Giambattista Vico. » Ces paroles sont émises
lors de la systémique et du plus grand éparpillement des sciences, c’est dans
l’éclatement épistémique du XXe siècle, que cet auteur propose l’arbre des
connaissances et la contextualité vichienne pour identifier et harmoniser
l’effritement du savoir qu’on vit au quotidien alors que toute parcelle nommée
science dérive d’une autre source et nourrit une autre branche dérivée.
Toutes
les classifications des sciences en arbres de la connaissance visent l’unité du
savoir humain. C’est pour approfondir cette conception de l’harmonisation des
savoirs que Vico ne se contente pas d’élargir le tronc de l’arbre de la
connaissance qui symbolise la métaphysique de l’esprit humain, trois branches
principales en sont issues, en raison de la découverte par Vico de « l’âge
des dieux dans lequel les hommes païens crurent qu’ils vivaient sous des
gouvernements divins et que toute chose leur était commandée par les auspices
et les oracles, qui sont les plus vieilles choses de l’histoire profane ;
l’âge des héros, dans lequel ceux-ci régnèrent partout dans des républiques aristocratiques, au nom d’une
certaine supériorité de nature qu’ils
estimaient avoir sur les plébéiens ; et finalement, l’âge des hommes, dans
lequel tous se reconnurent égaux en nature d’homme. » L’arbre de la
connaissance renvoie historiquement à trois métaphysiques, l’une jaillissant de
l’autre par le biais des langues ou, selon le lexique vichien, des institutions
humaines. Ainsi par cette historisation de la métaphysique, on peut distinguer
dans chaque branche des caractères divins, d’autres héroïques et enfin humains
ou de la théologie naturelle, de la métaphysique grossière et la métaphysique.
En statuant la sagesse poétique qui est toute à fait ordonnée selon le même
ordre de l’arbre de la connaissance, il remarque qu’elle «se ramifie comme d’un tronc, une branche
qui est celle de la logique, de la morale, de l’économie et de la politique,
toutes poétiques ; et une autre branche, la physique, mère de la
cosmographie et par conséquent de l’astronomie, qui donne leur certitude à ses
deux filles, la chronologie et la géographie – toutes également poétiques. » Donc de tout temps
l’homme s’est appliqué pour instaurer des objectifs communs à la connaissance.
Ce qui est d’une importance fondamentale pour tout système de transmission des
savoirs. En s’interrogeant sur les divinités, l’homme édifie une multitude de
champs du savoir pour répondre à ses besoins et utilités ainsi que pour
satisfaire son ingéniosité. Dès lors, on peut inférer que l’homme n’a jamais été unidimensionnel et
par conséquent que ses connaissances ne peuvent être que pluridimensionnelles,
donc elles répondent à une réalité complexe et des besoins multiples selon le
réel historique et linguistique qui les crée et qui modifie la conception de
l’homme de ces mêmes besoins et utilités. D’où la nécessité que le sage
rapproche les disciplines et se ressource auprès des idiomes et des langues
vulgaires qui étalent l’ancrage original dans la condition humaine afin
d’éviter au citoyen lettré de s’aliéner dans les spécificités des sciences
sectorielles.
Le
caractère interdisciplinaire du savoir à transmettre chez Vico, est la
résultante de ses comparaisons entre les Anciens et les Modernes, qui ont
largement contribué à distinguer l’histoire des idées humaines du processus
réducteur de la pensée moderne. Pour justifier cette nécessité du retour à la
contextualité de la naissance pluridisciplinaire des idées moyennant la
certitude d’une chronologie et d’une géographie métaphysiques c'est-à-dire d’un
contexte et d’un environnement humain identifiés, Vico précise que le « second aspect principal,
[de] cette Science est une histoire des idées humaines, d’après laquelle
semble devoir procéder la métaphysique de l’esprit humain. Cette reine des
sciences, selon la dignité qui veut que les sciences doivent commencer
là où commence leur matière », débuta au moment où les premiers hommes
commencèrent à penser humainement, non pas au moment où les philosophes
commencèrent à réfléchir sur les idées humaines (comme il est dit dans un petit
livre érudit et savant intitulé Historia de ideis, sorti
récemment et qui nous mène jusqu’aux derniers controverses qui ont eu lieu
entre les deux grand esprits de notre temps, Leibniz et Newton). » Vico
fait allusion au livre de Jakob Brucker (1696-1770) dont l’histoire des idées
est réduite à celle des « doctrines » philosophiques. Suivant la mode
d’une modernité qui s’est prononcée en
faveur de la radicalité rationnelle. L’homme moderne se dit essentiellement un
être rationnel. Ces œuvres dorénavant ne peuvent être gérées que par l’unique
raison qui excelle dans le traçage des limites des champs d’investigations
sectorielles et l’échafaudage des spécifications disciplinaires. Lors de la délibération sur les choses
humaines, le moderne doit se tourner vers les sciences mécaniques et plus tard
dynamiques pour se prononcer sur ce qui est vérifiable par la raison et ce qui
est injustifiable ou irrationnel selon les schémas du langage savant et
technique.
Déjà,
avec Galilée et Descartes les chaines des raisons doivent être démantelées en
des éléments simples pour être compréhensibles. L’arbre de la connaissance
selon Descartes est constitué par un ensemble des systèmes « dont les
racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui
sortent de ce tronc sont toutes des autres sciences » (les trois
principales sont la médecine, la mécanique et la morale). Or dans l’Arbre de la
sagesse vichienne figurent à leur place les principes fondamentaux de toutes
les sciences qu’il est indispensable de maîtriser pour accéder à la
connaissance globale. Vico a pour but d’amener l’homme à la connaissance de soi
par le biais de ses découvertes des branches de la sagesse et des sciences
selon leur contexte historique et culturel afin d’instaurer des méthodes ou
selon le langage vichiens des ordres [ordini] nouveaux pour acquérir une
connaissance optimale de l’âme humaine et de la science en tant qu’un
engendrement caractéristique mais non déterminant de l’humanité de l’homme. La Science
nouvelle, nous dit Max Harold Fisch, découvre l’ancien monde des sciences,
leur grossièreté primitive, leur affinement
graduel, jusqu’au moment où elles ont atteint la forme où nous les avons
reçues.
C'est-à-dire une forme là où la complexité des connaissances et du réel
qu’elles désignent, ne permettent plus le démembrement exigé par la solution ou
le classement cartésien et même baconien mais elles dépeignent un arbre du savoir
global. C'est-à-dire aussi des civilisations et des cultures faites par l’homme
pour être au service de son ingegno d’être au sein des siens et
d’épouser leurs soucis et leur besoin d’être dans le temps tel que l’a fait
Homère.
Néanmoins,
quand Vico distingue dans son édifice entre trois sortes de natures :
divine, héroïque et humaine, il n’hésite pas à donner aux sciences de chaque
nature les mêmes noms que celle de la précédente. Donc les sciences qui ont
concrétisé la vision du monde antique ne sont pas jugées comme invalides ou en tant
qu’erreurs et obstacles mais comme des sciences de la naissance des savoirs
d’aujourd’hui. Les premières natures
sont considérées comme les précurseurs « poétiques » des
dernières ; ce qui lui permet de découvrir une correspondance générique
entre les sciences anciennes et celles des modernes. Ce raisonnement met
en évidence la science vichienne qui découvre le caractère historique du
monde des sciences, leur grossièreté primitive, leur perfectionnement adapté,
jusqu’à ce qu’elles aient atteint la forme des sciences modernes tout cela vérifie
l’ « idée d’un dictionnaire mental donnant leurs significations à
toutes les langues articulées, qui les ramènerait toutes à certaines idées,
uniques en substance, mais qui, considérées par les peuples avec des
modifications diverses, ont été exprimées par eux avec des mots différents. » Ce dictionnaire, tel qu’il est conservé par
l’usage des langues vulgaires, des sentences et des coutumes populaires servira
de référence pour décrire l’arbre de la connaissance dont les racines se
cristallisent dans le mente humain artisan du « monde de la société
civile » et dont la subdivision est les modifications de mente
humain. Ainsi, les trois branches principales du savoir humain sont la
« Sagesse religieuse », la « Sagesse poétique » la
« Sagesse humaine » qui sont, également, constituées de sciences aux
noms similaires. En conséquence, il est tout à fait compréhensible que le nom
de chaque science apparaîtrait dans l’Arbre trois fois, selon la nature de
l’esprit qui l’a crée et selon les modifications propres à cet esprit. Ces
trois apparitions indiquent l’histoire dans laquelle ces sciences s’actualisent
en acquérant une signification autre que celle de la naissance et de la
jeunesse. Suivant cet ordre, Vico comprend l’établissement et l’évolution
des sciences de l’homme et simultanément les modifications du rapport que
l’esprit humain établit avec sa propre production. Á ce propos il avance :
« Nous trouvons donc que les mystères de cette sagesse populaire
étaient cachés dans les fables, ce qui nous amène à réfléchir sur les causes
pour lesquelles les philosophes eurent par la suite un tel désir d’atteindre la
sagesse des Anciens, ainsi que sur les occasions que ces mêmes philosophes y
trouvèrent de méditer les choses les plus hautes en philosophie et sur les
commodités qu’ils eurent d’introduire dans les fables leur propre sagesse
absconse . » Ainsi le contexte,
dans lequel les poètes théologiens ont vécu, a fait qu’ils se fassent une
vision du monde poétique où ils ont exprimé leurs passions et leurs attentes et
prévisions dans une sagesse que Vico qualifie de vulgaire. Le changement du
contexte vital et l’adoucissement des mœurs ainsi que l’évolution des utilités
et des besoins de l’homme ont fait que « les philosophes comprirent plus
tard selon le mode de la sagesse ésotérique ». Mais un tel changement
n’a pas effacé de l’esprit les autres modes selon lesquels les connaissances
ont été acquises. Ce qui permettra à
l’homme de comprendre l’autre homme même s’il n’appartient pas au même
environnement culturel ou encore au même stade de la géographie historique.
Donc l’arbre du savoir chez Vico s’identifie à l’histoire des idées humaines
qui s’approfondissent avec le temps et l’expérience de l’homme dans le monde,
sans pour autant se détacher de la forme humainement octroyée par le biais du
langage.
La
tentative vichienne de systématiser la pensée autour de l’histoire des idées et
par conséquent l’histoire des mentalités et des sciences que l’homme élabore se
veut une décentration de la modernité qui s’est focalisée sur une seule
possibilité d’être qui est la sienne. C'est-à-dire celle d’une société en
pleine expansion prête à se mettre au service des sciences de la nature pour
assouvir son illusion de progrès perpétuel. Alors que dans ce même contexte les
explorateurs et bien avant le XVIIIème siècle, commencèrent à rapporter des
récits des rencontres et des propos concernant des autres contrées et des
indigènes tout à fait incompréhensibles dans l’état de la vanité de l’esprit de
leurs concitoyens européens. Quand Vico rappelle que «tout comme la
métaphysique poétique était précédemment divisée en toutes les sciences
subalternes, chacune d’elles participant de la nature poétique de leur mère,
ainsi cette histoire des idées (la
Science nouvelle) présentera les origines grossières des
sciences pratiques en usage parmi les nations et des sciences spéculatives qui
sont à présent cultivées par les savants. », c’est pour mettre en
place une conscience de l’originalité de l’homme faiseur des sciences, et de
l’autre face la naissance grossière des sciences qui font exclusivement et
extérieurement la fierté de l’homme moderne.
C’est en
explorant les racines de la langue humaine que Vico tente de découvrir cette
contextualité entre les faits et la nature de l’homme qui l’a fait. La langue couvre et découvre l’homme selon sa
richesse ou sa pauvreté. En l’absence du langage Vico nous informe que « les
muets s’expliquent par des actes ou des corps qui ont des relations naturelles
avec les idées qu’ils veulent signifier.» Cet état de difficulté
de la communication n’est pas l’état commun de la culture parce que celle-ci
commence par la transmission de leurs impressions par le chant et par les
monosyllabes, ensuite l’humain se manifeste sous forme d’un parler articulé qui
se limite uniquement aux utilités et aux besoins rudimentaires des premiers
hommes. Ainsi le langage représente la première forme transmissible de la
sociabilité de l’homme ce qui veut dire de son humanité. En ce sens Vico écrit
« cette dignité est un grand principe d’étymologie, car c’est selon
cette succession des choses humaines que doit être racontée l’histoire des mots
des langues indigènes.» Donc s’enfermer dans
une langue technique ou de spécialité tout à fait étrangère à celle du sens
commun ne servira qu’à placer des barrières infranchissables entre les
différentes branches du savoir et les recherches effectuées à un certain temps
pour répondre à un certain besoin de la communauté. Alors que l’éducation interdisciplinaire
permet à l’apprenant de rapprocher les spécialités et d’adoucir leurs tendances
accentuées de s’enfermer dans une conceptualisation artificielle incommunicable
entre les profanes pour les adapter au langage commun, donc leur rendre la
qualité de la communicabilité qui est à même de les situer par rapport à
l’arbre du savoir global.
Vico plaide
l’initiation des jeunes à la topique et à la critique afin d’affranchir la
culture générale de l’emprise de la mode et d’élever les futurs citoyens à une
prise de conscience de leurs rôles futurs et de l’ensemble des ambiguïtés
possibles de la réalité sociale. Il attribut à la mémoire la positivité
de son rôle celui de mémoriser l’utile et le certain, il réhabilite l’inventio
de la phantasia et équilibre les prérogatives de l’éducation des savants
de la République
des Lettres comme des futurs administrateurs de la cité à « user de la
prérogative de notre temps », selon les dires de Bacon. A l’encontre de
l’esprit moderne, Vico prend conscience de la scission qui commence à
s’installer à un certain niveau entre le
pratique et le théorique, l’aboutissement et la genèse. Cette scission est due
à l’esprit du mécanisme qui vient gangrener la vie pratique des esprits
modernes qui excellent dans l’abstraction et marginalisent le sens commun, la
tradition et tout ce qui se rapporte aux utilités et aux besoins
sociopolitiques de la vie quotidienne. Afin de remédier à cette déviation qu’il
traite comme un état symptomatique de la barbarie réflexive, Vico élabore l’arbre
du savoir global dans lequel il trace les différents contextes historiques en
insistant tout au long de la Scienza
nuova sur les caractères poétiques et par conséquent sur l’âge héroïque.
Cette insistance se présente comme une réponse évidente à ce qu’il qualifie de
vanité des nations et des savants.
Enfin,
il présente les langues comme étant la mémoire du monde fait par l’homme qui
transporte sa contextualité et la transmet sous sa forme générique. C’est le
principe étymologique selon lequel Vico a fait sa découverte de la pluralité
des cultures et des civilisations humaines et de l’interdisciplinarité du savoir
humain.
Bibliographie
I-Sources
-Œuvres choisies de Vico, trad. et présentées par Jules Michelet, Paris,
Hachette, 1835
- Vico,
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sapientia, trad. du latin Georges Mailhos, Gérard Granel, Mauvezin
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- Vico, Giambattista, L'antique
sagesse de l'Italie, trad. du latin Michelet (1835), rev. et
présentation Bruno Pinchard, Paris, Flammarion, 1993
-Vico,
Giambattista, La science nouvelle (1725),
trad. Par Christina Trivulzio, Paris, Gallimard, 1993
-
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relative à la nature commune des nations, 1744, préf. et trad., A. Pons,
Paris, Fayard, 2001
-Vico, Giambattista,
La Scienza nuova : giusta L'edizione 1744
1730 con le varianti delL'edizione del 1730 e di due redazioni intermedie
inedite, e corredata di note storiche a
cura di Fausto Nicolini, Bari, Laterza, 1913-1916
- Vico,
Giambattista, Vici vindiciae, présentation et trad. du latin par Davide, Paris, Allia,
2004
- Vico,
Giambattista, Vie de Giambattista Vico écrite par lui-même ; Lettres ; La Méthode des études de
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1981
II
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Ouvrages
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sur l’histoire des idées, trad de l’anglais par André Berelowitch, Paris,
Michel Albin, 1988
-Berlin, Isaiah, Le
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Marcel (trad.), Paris, Albin Michel, 1992. 264 p. (Bibliothèque A. Michel. Idées)
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-Chaix-Ruy,
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-Garin, Eugenio, L’éducation
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-Garin, Eugenio, L'educazione
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III-Revues
et ressources Internet
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-Giambattista Vico (1668-1744), Une
philosophie non-cartésienne, numéro
spécial, Les Etudes philosophiques, Juillet – décembre 1968
- La
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2-Articles
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-Chaix-Ruy,
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-Chaix-Ruy,
Jules, « Vico et l’historicisme »
in Etudes sur Vico, numéro spécial, Archives
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-Corsano,
Antonio, « Vico et Hume face au
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sur Vico, numéro spécial, Archives de philosophie, XL, 1977, p. 241-250
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Heda, « G.-B. Vico et le problème
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Vico, numéro spécial, Archives de philosophie, XL, 1977, p. 215-228
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in Revue des Cours et des conférences, XXXII (1931) p. 707-718, XXXIII
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Jean-Baptiste Vico et la philosophie pratique » in Revue
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transcendantale de l’axiome « verum et factum convertuntur»
in Etudes sur Vico, numéro spécial, Archives de philosophie, XL, 1977,
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Vico» in La Formation de l’idée de développement à l’âge
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in Labriola d’un siècle à l’autre :
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-Pons,
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CXL-CXLI e-8, 1988, p. 101-118
3
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-Caponigri, A. Robert, “Umanita
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-Haas, William S., “The March of
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-Levine, Joseph M., “Giambattista
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-Levine, Joseph. M., “Ancients
and Moderns Reconsidered”, in Eighteenth- century Studies, Vol. 15, No. 1. (Autumn, 1981), pp. 72-89
-Nuzzo,
Enrico, « Le naturel nécessaire », in Noesis ; N°8
-Otto,
Stephan, «Contextualité scientifique et convertibilité philosophique», in Noesis ; N°8
-Pettazzoni,
Raffaele, « Il metodo comparativo », in Numen, Vol. 6, Fasc.
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Bruno, «Science ou allégorie ? Le débat entre Bacon et Vico», in Noesis
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-Pinchard,
Bruno, « Un visage et deux oracles pour un temps d’épreuve »,
intervention relue lors de l’Atelier MCX « La formation au défi de la complexité », Lille, 18-19 septembre 2003
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-Tilo, Schabert, “A Note on Modernity” in Political Theory, Vol. 7, No. 1. (Feb., 1979), pp. 123-137
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-Trabant,
Jürgen « La science de la langue que parle l’histoire idéale
éternelle », in Noesis ; N°8
IV
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-The
Encycolpaedia Britannica. A dictionary of arts, science and general literature, London, New York,
The Encyclopaedia, 1929. Vol.
2, 18, 15, 8, 14, 10, 12