Cinq ans de revue générale des politiques publiques (RGPP) : un échec politique et administratif
Essai
Le 29/11/2011
Un séminaire gouvernemental, mardi 29 novembre, doit faire le bilan de la Revue générale des politiques publiques (RGPP), cinq ans après son lancement. Le gouvernement ne devrait pas manquer de se congratuler: la réforme de l’Etat est en cours, avec à l’arrivée plus de service public et moins de dépenses publiques. Rien n’est plus faux. Ce rapport de bilan démontre le contraire : la RGPP est un échec patent, la réforme de l’Etat est à reprendre de zéro, à repenser en profondeur. Les dépenses de l'Etat n'ont pas été jugulées et la RGPP a eu des conséquences négatives sur les services publics, en dégradant la qualité de service.
Un séminaire gouvernemental, mardi 29 novembre, doit faire le bilan de la Revue générale des politiques publiques (RGPP), cinq ans après son lancement. Le gouvernement ne devrait pas manquer de se congratuler: la réforme de l’Etat est en cours, avec à l’arrivée plus de service public et moins de dépenses publiques. Rien n’est plus faux. Ce rapport de bilan démontre le contraire : la RGPP est un échec patent, la réforme de l’Etat est à reprendre de zéro, à repenser en profondeur. Les dépenses de l'Etat n'ont pas été jugulées et la RGPP a eu des conséquences négatives sur les services publics, en dégradant la qualité de service.
Synthèse du rapport
Lancée en grande pompe le 10 juillet 2007, la Revue générale des
politiques publiques (RGPP) était l’un des grands chantiers du
gouvernement pour le quinquennat. Son ambition : la réforme de l’Etat.
L’objectif était légitime : trop longtemps repoussée, victime de
plusieurs déboires majeurs dans le passé, la réforme de l’Etat était
devenue une nécessité.
A l’issue du quinquennat, quel bilan tirer de la RGPP ?
1. L’ambition de la RGPP a été détournée de son objectif : il n’y pas eu de réforme de l’Etat. Son seul horizon a été la réduction des dépenses publiques.
L’ambition politique initiale était majeure : la réforme globale de
l’Etat. Avec trois objectifs distincts : l’amélioration de la qualité
du service public (adapter l’Etat aux besoins des citoyens) ; la
modernisation ; et la réduction des dépenses publiques.
Cette ambition était portée au plus haut niveau de l’Etat : un
« comité de suivi » interministériel présidé directement par le
secrétaire général de l’Elysée et le directeur de cabinet du Premier
ministre était chargé d’assurer le pilotage ; un Conseil de la
modernisation des politiques publiques (CMPP), présidé par le Président
de la République lui-même, devait faire les arbitrages.
Rien de tout cela n’a été tenu. L’ambition a été très vite dévoyée.
La RGPP s’est limitée à un objectif de réduction des dépenses
publiques : un vaste plan de restructuration et de diminution des coûts.
La méthode s’est transformée en exercice technocratique tentaculaire,
avec une prolifération d’« audits de modernisation », sans pilotage
politique.
2. Même limitée à la réduction des dépenses publiques, la RGPP est un échec patent. Les dépenses de l’Etat n’ont pas été jugulées.
De 2007 à 2012, les dépenses de l’Etat ont augmenté de +12 % (de
335 à 377 milliards d’euros). Surtout, les dépenses de fonctionnement –
censées être au cœur de l’effort de la RGPP – ont explosé : +37 % (de 33
à 46 milliards).
Comment expliquer cet échec patent ?
D’abord, les gains bruts issus de la RGPP ont été assez faibles.
Le gouvernement évoque un gain de près de « 15 milliards d’euros à
horizon 2013 », soit environ 2 milliards par an. Mais il s’agit
d’évaluations « au doigt mouillé ». Aucune évaluation scientifique,
aucun bilan chiffré n’ont été réalisés. Dans son rapport public de 2009,
la Cour des comptes estime que les gains sont « globalement
surestimés » : « Cette estimation est excessivement optimiste, au regard
de la faible proportion des rapports [d’audit] comportant des
chiffrages, de l’inégale qualité des évaluations disponibles ». Ces
mesures n’ont eu pour la Cour qu’une « faible traduction budgétaire ».
Quand on regarde dans le détail, la RGPP se caractérise avant tout par son inefficacité budgétaire :
- La réduction des dépenses de fonctionnement a reposé quasi-exclusivement sur la fusion des services administratifs.
Bien souvent, les réorganisations se sont limitées à des exercices
de pure forme : la refonte des organigrammes, sans aucune conséquence
réelle, faute de suivi des préconisations.
Quand elles ont été effectivement réalisées, les réorganisations
ont été souvent mal pensées, conduisant à des appariements peu
pertinents et à peu de synergies. C’est le cas de la création des
DIRECCTE (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de
la consommation, du travail et de l’emploi) : quelles synergies peut-on
attendre du rapprochement des services de la direction du travail en
charge des plans sociaux et de ceux de la sûreté nucléaire des
ex-DRIRE ?
Certains regroupements faisaient sens, toutefois, en termes de
synergies. Par exemple, le rapprochement des services de la DDASS en
charge de la santé et ceux de l’assurance maladie, au sein des agences
régionales de santé (ARS). Ou encore les services vétérinaires et les
services de la consommation et de la répression des fraudes au sein d’un
service unique de contrôle de la qualité des produits et services
commercialisés dans la nouvelle Direction de la protection des
populations (DPP). Mais ils ont été le plus souvent rendus stériles par
manque de concertation, de préparation et d’adaptation aux réalités
locales.
- Les quelques économies de fonctionnement réalisées l’ont été grâce au démantèlement du patrimoine de l’Etat.
Depuis 2005, plus de 3 milliards d’euros de ventes ont été
réalisées. Il s’agit là d’expédients relevant de la mauvaise gestion :
les ventes sont des « fusils à un coup » qui ne sauraient couvrir des
dépenses récurrentes ; elles concernent avant tout les « bijoux de
famille », souvent bradés ; les ventes immobilières entraînent un gain
immédiat (la vente) mais des surcoûts à moyen terme (le paiement des
loyers).
- La quasi-totalité des économies porte sur les dépenses
salariales : le gouvernement a mis en œuvre le plus grand plan social de
l’histoire du pays, avec la suppression de 190 000 postes de
fonctionnaires d’Etat depuis 2002.
Le principe d’action est connu : le non-renouvellement d’un
fonctionnaire sur deux, soit un rythme de suppression de 30 000 postes
par an depuis 2007. Le gain brut est de l’ordre de 6 milliards d’euros
en 2012 par rapport à un renouvellement à l’identique.
Ensuite, les gains bruts de la RGPP ont été en partie compensés par une série de coûts :
- Les moyens budgétaires et humains mobilisés pour la RGPP sont considérables.
On peut les chiffrer au total à 360 millions d’euros, avec
notamment la création d’une direction d’administration centrale
spécialisée (la DGME – Direction générale de la modernisation de l’Etat,
pour 80 millions) et le recours à une armée de consultants externes
(250 millions d’euros).
- Les économies liées à la baisse du nombre de fonctionnaires ont été en partie recyclées.
Elles ont été recyclées sous forme d’augmentations salariales
générales ainsi que d’heures supplémentaires, de sorte que l’impact
budgétaire net se limite à 860 millions d’euros (soit une baisse de 1 %
des dépenses de personnel, qui passent de 119,1 milliards d’euros en
2007 à 118,2 en 2012).
Encore la Cour des comptes estime-t-elle que « l’impact financier
réel du schéma d’emplois est […] assez incertain et il est probable
qu’il soit majoré par certains ministères ».
Qui plus est, le calcul ne tient pas compte des coûts indirects,
typiquement le coût pour l’assurance chômage : une part significative
des actifs non embauchés comme fonctionnaires se retrouvera en effet au
chômage, eu égard à la crise du marché du travail. Le mistigri passe
dans ce cas du budget de l’Etat au budget de la Sécurité sociale, sans
amélioration globale des dépenses publiques.
- Les grands chantiers de modernisation informatiques engagés par
le gouvernement, et censés générer des gains rapides de productivité, se
sont transformés en gouffres financiers non maîtrisés.
La modernisation des applications informatiques du ministère des
Finances (Copernic) était budgétée à 900 millions d’euros, elle a en
fait atteint la somme pharaonique de 1,8 milliard selon la Cour des
comptes. L’application Chorus, le nouvel outil de gestion comptable et
financière de l’Etat, coûtera au minimum 1,1 milliard, toujours selon la
Cour : une somme très supérieure au retour sur investissement à long
terme – et ce sans compter que le chantier du nouvel opérateur national
de paye n’a pas été synchronisé et qu’il ne sera donc pas compatible
avec Chorus… Pire encore, le projet Accord de rénovation de la
comptabilité de l’Etat a été abandonné après avoir coûté 250 millions
d’euros.
Au total, ces coûts effacent pour une bonne part les gains bruts de
la RGPP. Les gains nets s’établissent à moins de 1 milliard d’euro par
an. La seule loi « TEPA » du 21 août 2007 a généré un coût budgétaire de
plus de 10 milliards d’euros, supérieur aux gains de la RGPP.
3. Ces efforts de réduction des dépenses publiques, malgré leur échec, ont eu des conséquences négatives sur les services publics : la RGPP avait pour objectif d’améliorer la qualité du service, elle l’a dégradée.
On constate d’abord une diminution de la proximité du service
public. C’est la conséquence mécanique de la fusion des services, qui
s’est traduite notamment par la réduction du nombre des implantations.
La réforme de la carte judiciaire en est un exemple typique : la
suppression de 201 tribunaux (dont 23 TGI) met fin à la présence
judiciaire dans les territoires – une désertification telle que le
Conseil d’Etat a annulé en 2010 des décrets supprimant plusieurs
tribunaux, dont celui de Moulins, pour des considérations tirées du bon
fonctionnement du service public. La fusion des services déconcentrés de
l’Etat (DDE, DDASS, DDTEFP…) a eu le même effet sur des services
publics pourtant essentiels : l’emploi, la santé… Enfin, le retrait des
services de l’équipement (DDE) et le transfert au secteur privé de leurs
compétences d’ingénierie au profit des collectivités locales – pour les
routes, par exemple – a été très mal inspiré. L’expertise haut de gamme
des ingénieurs de la DDE a été perdue au profit de consultants privés
locaux aux compétences souvent plus que douteuses et aux coûts
prohibitifs.
La qualité du service est ensuite entamée par le manque de moyens.
C’est le cas, par exemple, pour Pôle emploi : il a du assumer avec des
moyens en stagnation, et en pleine réorganisation due à la fusion
ANPE-Assedic, l’explosion du nombre de demandeurs d’emploi. La qualité
de l’accueil en a fortement pâti. Le taux d’encadrement, supérieur à un
conseiller pour 200 chômeurs, visait un objectif de un pour 150 : il
flirte désormais avec un pour 300…
Les fusions mal préparées et mal réalisées ont abouti à des
désorganisations, évidemment très dommageables pour la qualité du
service. On vient de citer Pôle emploi. On peut citer aussi la création
de la DIRECCTE, un mastodonte sans unité et sans lisibilité pour
l’usager. On peut encore mentionner l’ouverture des Services des impôts
des particuliers (SIP), des guichets uniques locaux issus de la fusion
de la Direction générale des impôts (DGI) et de la Direction générale de
la comptabilité publique (DGCP). Une amélioration du service pour le
citoyen-contribuable mais trois ans après le lancement de la réforme,
seuls 300 guichets ont ouvert sur les 750 prévus. De même pour les
grands chantiers informatiques, qui ont avant tout créé de la
désorganisation.
La démoralisation des fonctionnaires est aussi un élément, diffus
mais fondamental, de baisse de la qualité du service. Les fonctionnaires
ont été la cible explicite de la RGPP. La suppression des postes de
fonctionnaires, aveugle et assez hétérogène, a abouti à de véritables
saignées dans certains ministères. En l’absence de toute gestion des
ressources humaines, les gains de productivité attendus se sont mués en
baisse de la qualité du service.
Enfin, dans certains cas, la création d’opérateurs uniques a permis
l’optimisation de certaines interventions mais elle s’est faite au
détriment du contrôle politique sur ces nouvelles structures à
l’autonomie large. C’est le cas pour OSEO, FranceAgriMer ou encore
l’Agence des services et de paiement (opérateur de paiement des aides
agricoles). Les déboires récents de l’Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) lors de l’affaire du
Mediator démontrent la défaillance des contrôles exercés sur les
agences.
Seul le développement de l’e-administration (formalités
administratives en ligne) a vraiment constitué un bénéfice pour le
citoyen. Mais la France est encore très en retard : seuls 39 % des
particuliers et 80 % des entreprises y recourent, ce qui classe la
France au 16e rang de l’Union européenne.
Au total, la qualité du service a baissé. C’est ce que confirment
les évaluations de l’Institut Paul Delouvrier, qui notent une forte
baisse de la perception de la qualité du service chez les citoyens.
4. La réforme de l’Etat est une nécessité mais elle doit être repensée en profondeur.
La RGPP est un échec avéré. Son sigle même, qui fait figure, à
juste titre, d’épouvantail, doit disparaître. La réforme de l’Etat doit
être reprise à zéro, sur des bases saines. Une réforme progressiste de
l’Etat devrait reposer sur trois piliers : réduction des dépenses
publiques, amélioration du service public, méthodologie dans la conduite
du changement.
La réduction des dépenses publiques
C’est vital étant donné la situation des finances publiques : un
surendettement critique pour notre survie budgétaire à court terme (près
de 90 % du PIB, 1 800 milliards d’euros, avec une dérive annuelle de
6 % du PIB) qui impose une réduction du déficit structurel de 80
milliards (4 points de PIB) sous la prochaine mandature ; un
sous-investissement également critique de l’ordre de 30 milliards
d’euros, qui atrophie notre potentiel de croissance pour le moyen terme[1].
Dans ce contexte, la hausse des impôts est inévitable. Elle a déjà
commencé : près de 20 milliards de hausses en deux ans. Mais l'effort
doit être équitablement réparti. La réduction des niches fiscales (60
milliards de niches « officielles » et encore 70 milliards de niches
« déclassées ») et sociales (60 milliards) est une priorité. Certaines
sont injustes : des véhicules d'évasion fiscale pour les contribuables
les plus aisés. Beaucoup ont une utilité limitée. Au-delà, il faut
s'engager dans la réforme de notre système fiscal, caractérisé par sa
très faible redistributivité. C'est la logique de la refonte IR-CSG
proposée par François Hollande.
Mais un effort équivalent est nécessaire sur les dépenses publiques.
Il y a peu de marge sur les recettes : les prélèvements obligatoires
atteignent déjà 45 % du PIB, soit leur plus haut niveau historique, et
placent la France au quatrième rang mondial. Il y a en revanche des
marges sur les dépenses. Avec des dépenses publiques de près de 57 % du
PIB, la France se classe n°1 mondial sur 194 pays, ex-aequo avec le
Danemark. Si nous ramenions simplement la dépense publique nationale au
niveau suédois, le pays le plus égalitaire du monde, à l'Etat providence
le plus généreux, nous économiserions 100 milliards d'euros.
Comment faire ?
D’abord, il faut étendre la réflexion sur la dépense publique à
l’ensemble des collectivités publiques. Elle est pour l’instant limitée
au seul Etat, qui ne représente 34 % de la dépense publique. Il faut y
ajouter les collectivités locales (21 %) et surtout la Sécurité sociale
(45 %, soit plus de 500 milliards d’euros).
Ensuite, il faut un changement radical de méthode. La RGPP se
limite à des économies de gestion à politiques publiques inchangées. Il y
a bien sûr des économies à faire mais, même bien réalisées (ce qui
n'est pas le cas, on vient de le voir), elles ne peuvent générer par
construction que quelques milliards d'économies. Le parallèle avec
l’entreprise est d’ailleurs fautif, les gisements dans l’administration
sont moindres et bien moins rapides : l’essentiel des restructurations
d’entreprises passe par le licenciement des salariés, modalité
impossible dans le public (sauf à remettre en cause le statut de la
fonction publique, ce que personne ne propose), à laquelle s’est
substituée la stratégie plus lente de non-renouvellement, dont on a dit
le caractère contre-productif (le salarié licencié ne pèse plus dans les
comptes de l’entreprise ; le fonctionnaire non-embauché ne pèse pas
dans la masse salariale de l’Etat mais sa charge est bien souvent
transférée à l’assurance-chômage : le mistrigri change de mains mais il
demeure).
En tout état de cause, en aucun cas la RGPP ne peut répondre aux
objectifs structurels, qui se chiffrent en dizaines de milliards.
Terra Nova invite à un changement de méthode : il faut s'attaquer,
non pas simplement aux économies de gestion à politiques publiques
constantes, mais aux politiques publiques elles-mêmes. C'est ce qu'ont
fait tous les pays qui ont réussi à redéployer leurs finances publiques,
à froid comme Israël, la Suède, le Canada, ou à chaud sous la pression
des marchés comme la Hongrie. Nous ne l'avons jamais fait : nous avons
toujours empilé les politiques nouvelles sur les politiques anciennes,
sans jamais les remettre en cause. C'est ce qui explique le niveau
exceptionnel de la dépense publique. Ubu n'a jamais dirigé ce pays, de
sorte que toutes les dépenses ont un sens. Mais il y a des politiques du
passé qui ne sont plus prioritaires aujourd'hui.
Là sont les marges de manœuvre. Pour l’Etat : 150 milliards d’euros
pour 2012 (35 milliards d’euros de transfert aux ménages, 75 milliards
de transfert aux entreprises, 40 milliards de transfert aux
collectivités publiques) – des sommes bien plus importantes que les 46
milliards de dépenses de fonctionnement de l’Etat et bien plus fongibles
que les 118 milliards de dépenses de personnel. Et aussi pour les
administrations de sécurité sociale (l’essentiel des 500 milliards) et
les collectivités locales (autour de 100 milliards).
L’amélioration du service public
C’est un objectif en soi, naturellement séparé de l’objectif de
limitation des dépenses publiques. L’amélioration du service public
passe souvent par un accroissement des coûts. La modernisation d’un
service nécessite des investissements parfois lourds, qui ne sont
rentables qu’à terme.
L’excellence des services publics est un objectif clé en France :
le niveau élevé des dépenses publiques françaises ne se justifie que si
le service au public est meilleur qu’ailleurs.
Pour y arriver, il faut d’abord évaluer la qualité du service. Il
n’y a rien aujourd’hui ! Le gouvernement avait proposé de publier un
« baromètre de la qualité des services publics » (4e rapport RGPP, juin
2010). Le baromètre n’est jamais venu. Terra Nova propose de créer une
agence d’évaluation des services publics, sur le modèle espagnol[2].
Il faut ensuite se fixer des objectifs. Là encore, le gouvernement
avait proposé d’atteindre un « taux de satisfaction de huit usagers sur
dix ». Les indicateurs n’ont jamais été mis en œuvre. Ces indicateurs,
au-delà de la perception subjective, doivent mesurer la qualité
objective : délai maximal d’accès au service public (temps d’attente),
durée opposable de délivrance des prestations, développement de
l’administration électronique.
Il faut enfin mettre les Français au cœur du service public. Ils ne
doivent plus être des « usagers », mieux que des clients, des acteurs
du service public : consultations, jurys citoyens et le cas échéant
participation aux conseils d’administration des établissements publics
constituent une palette d’instruments expérimentaux qui doivent
désormais se généraliser.
Une méthodologie dans la conduite du changement
La réforme de l’Etat souffre d’une plaie béante : l’absence totale
de méthode dans le management du changement. Conséquence : toutes les
grandes réformes échouent, se heurtant aux résistances politiques ou
administratives.
Il est temps de lancer une vraie réflexion sur une méthodologie du
changement dans le domaine public. Des grands principes peuvent déjà
être avancés :
- Recentrer les efforts sur les priorités : la RGPP, avec plus de
500 mesures annoncées, a fait tout l’inverse, se dispersant dans des
détails microscopiques (par exemple des économies de bouts de chandelles
aberrantes, comme la diminution du nombre d’épreuves dans les concours
administratifs).
- Associer les ministères et les agents à la définition des
priorités et à la prise de décision : elles ne doivent pas être imposées
par des audits externes – et des auditeurs aux compétences parfois
suspectes ; elles doivent être proposées par les directions concernées
par la réforme – seule garantie véritable pour leur mise en œuvre.
- Mettre en place, enfin, une vraie gestion des ressources humaines
de l’administration : de la gestion prévisionnelle des emplois et des
cadres (pour éviter les coupes aveugles, et donc souvent dommageables,
de la RGPP) à la gestion individuelle de la carrière des fonctionnaires
(mobilité, formation, motivation…).
- Assurer le suivi de la mise en œuvre par une évaluation indépendante.
La RGPP est un désastre politico-administratif. Son ambition a été
détournée de son objectif : la réforme de l’Etat a été annexée à la
seule réduction de l’Etat, à la limitation de la dépense publique. Même
ainsi circonscrite, la RGPP a été un échec cuisant : la dépense publique
a fortement augmenté sur la période. Cinq ans après, tout reste à
faire. La réforme de l’Etat est à reprendre de zéro.
[1] Cf. Olivier Ferrand, Politique de rigueur et investissements d’avenir : les impératifs jumeaux (Terra Nova, 18 novembre 2011)
[2]
Cf. Jean-Philippe Thiellay et Martine Lombard, « Pour une République
des services publics » (Rapport, Terra Nova, novembre 2011)