Essai Le 29/11/2011
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Synthèse
Pour prétendre avoir réussi dans le domaine de la sécurité, le
gouvernement s’appuie sur un unique indicateur : le nombre de faits
constatés par les services de police et de gendarmerie. Ces
statistiques montrent une baisse de 17% depuis 2003, alors que la
période précédente (1997-2002) avait connu une hausse également de 17%,
selon les déclarations du ministre de l’Intérieur en septembre 2011.
Cette rhétorique est à l’œuvre depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au
ministère de l’Intérieur.
Pourtant, ce chiffre unique ne peut mesurer l’efficacité de la
politique publique conduite en matière de sécurité pour plusieurs
raisons. Tout d’abord, il ne représente pas l’état réel de la
délinquance, mais l’état de l’activité des services de police et de
gendarmerie. Les enquêtes de victimisation viennent apporter
d’importants correctifs en mesurant – sous la forme de sondages – les
faits dont les citoyens se disent victimes. Ainsi, il apparaît que
nombre de vols et de violences ne sont pas dénoncés aux services de
police et de gendarmerie et qu’un dixième seulement des violences
intra-familiales feraient l’objet d’une plainte officielle ; concernant
les atteintes aux biens, un tiers environ des vols –toutes catégories –
seraient dénoncés. Par ailleurs, ce chiffre unique de « la »
délinquance additionne divers agrégats statistiques d’infractions très
hétérogènes, mêlant les atteintes aux biens et aux personnes avec les
diverses infractions à la législation sur les stupéfiants ou celles
liées aux irrégularités de l’entrée et du séjour des étrangers ; en
revanche, ce chiffre ne prend pas en compte la délinquance routière qui
pourtant représente 15% des faits constatés. Agrégés en un chiffre
unique, ces données perdent de leur signification, les évolutions ne
sont pas les mêmes en ce qui concerne par exemple les meurtres – dont
le nombre est très stable sur le long terme ou les vols à l’arraché –
dont le nombre a cru avec l’arrivée sur le marché des téléphones
portables.
Mais, il y a pire : le recueil même des statistiques n’est pas
fiable et a fait l’objet de nombreuses interventions et directives
destinées à répondre avant tout aux besoins de communication politique
et qui sont aujourd’hui bien connues : réticence voire refus
d'enregistrement de plainte, recours à la main courante, modulation de
la qualification juridique, changements dans les modalités de décompte
des infractions etc… Ces artifices et tromperies ont été largement
institutionnalisés depuis dix ans, comme le montrent les nombreux récits
des policiers, gendarmes et magistrats, de même que les circulaires
officielles dont la dernière a été révélée en septembre 2011. Par manque
d’indépendance et de moyens, l'Observatoire national de la délinquance
et des réponses pénales n’a pas permis à ce jour de remédier à ces
dérives. « La délinquance » continue de baisser au gré des injonctions
ministérielles. Le « chiffre » est devenu une fin en soi et la culture
du résultat a été dévoyée au profit de la communication politique.
Sur le terrain, les objectifs affichés de lutte contre l'économie
souterraine et le trafic de drogues et de garantie de la paix publique
n'ont pas été atteints. Les vols restent à un niveau élevé et les
violences demeurent une préoccupation majeure. Ce sont surtout les
interpellations pour usage de drogue et les infractions contre les
personnes dépositaires de l'autorité publique qui ont progressé de façon
spectaculaire. L'augmentation du taux d'élucidation, de 25% en 2001 à
38% en 2010, sensée refléter l'efficacité des services de police et de
gendarmerie, est artificielle. Elle repose presque exclusivement sur le
développement des infractions révélées par l'action des services
(IRAS) et, parmi elles, sur l'arrestation des consommateurs de produits
stupéfiants. Hors IRAS, le taux d’élucidation est ramené à 29%
L'élucidation des cambriolages et des vols « à la tire » reste marginale
avec des taux d’élucidation, en 2010, respectivement de 13,4% et de
4,3%.
Le résultat le plus tangible de la culture du chiffre se trouve
dans la transformation des pratiques policières et judiciaires en une
véritable frénésie pénale. Les indicateurs d'activité de la police sont
devenus les objectifs et se concentrent sur le nombre de personnes
déférées et le nombre d'affaires clôturées, au détriment des missions de
sécurité publique, de prévention et de tranquillité publique de la
police et de la gendarmerie. L'obsession des chiffres a éloigné la
police de la population. Cette obsession se traduit par la
judiciarisation systématique, sans considération pour la résolution
effective des problèmes. Les pratiques judiciaires ont également évolué
au nom du principe de la « tolérance zéro » et de la cohérence de la
« chaine pénale ». Désormais, toute procédure contre un auteur identifié
doit faire l'objet d'une réponse pénale. L'augmentation du taux de
réponse pénale, passé de 67,9% en 2000 à 87,7% en 2009 est massive.
Cependant, elle résulte surtout de l'augmentation des alternatives aux
poursuites. Parmi elles, le rappel à la loi a pris la place du
classement sans suite, stigmatisé comme le ferment du sentiment
d'impunité. La logique de productivité qui s'est imposée à l'institution
judiciaire se traduit par une standardisation des réponses apportées,
en particulier avec les ordonnances pénales (25% des décisions des
tribunaux correctionnels) rendues sans rencontrer le justiciable dans le
contentieux de masse que représente la délinquance routière (41% des
condamnations correctionnelles).
Les condamnations sont en hausse, leur sévérité s'accroit et le
nombre de personnes détenues augmente : durant les dix dernières années,
les condamnations pour crime ou délit ont augmenté de 16% et, durant
les vingt dernières années, le nombre de peines d'emprisonnement ferme a
crû de 20%. Pourtant, cette évolution n'empêche pas Nicolas Sarkozy
d'entretenir la polémique sur le laxisme des juges, en s'appuyant le
plus souvent sur l'émotion provoquée par des faits divers tragiques.
Le rapport du « sarkozysme » à la loi pénale repose de fait
sur un dévoiement originel : uniquement focalisé sur l’expression d’un
volontarisme politique effréné dans la lutte contre la criminalité, il
doit d’abord créer les conditions d’efficacité de cette stratégie de
conquête de l’opinion. D’où, en premier lieu, l’utilisation d’une
rhétorique particulièrement habile destinée à instiller la peur et à
sommer le citoyen de choisir entre la cause des « victimes » et celle
des « voyous ». Dans cette perspective, chaque nouveau fait divers offre
au pouvoir une occasion de communiquer sa compassion à l’endroit des
premières et son hostilité à l’égard des seconds. L’annonce d’une loi
nouvelle apparaît ainsi comme la conclusion logique de ces discours pour
un pouvoir qui fait de l’affirmation de son volontarisme une de ses
marques de fabrique : de fait, depuis une décennie, au moins huit lois
pénales ont directement, en tout ou partie, découlé du fort
retentissement médiatique de la commission d’un crime ou d’un délit.
Les conséquences de ce foisonnement sont évidentes. En premier
lieu, les textes, souvent adoptés au son du canon et en fonction de
considérations électoralistes, se révèlent parfois inapplicables : pour
ne prendre que deux exemples significatifs, la loi contre les
regroupements dans les halls d’immeubles n’a été de quasiment aucun
effet et le fameux « décret anti-cagoules » n’a presque aucune
chance de pouvoir être appliqué, de l’aveu même des policiers. Lorsque,
parfois, les textes répondent à des demandes précises, l’absence de
moyens donnés pour leur application empêche toute évolution réelle du
problème qui en était à l’origine : la collégialité de l’instruction,
pourtant votée à l’unanimité du Parlement, n’a ainsi jamais été mise en
œuvre. Pire, les lois votées, du fait même de leurs conditions
d’irruption sur l’agenda politique et d’élaboration, génèrent deux
effets pervers qui freinent l’action des institutions : insécurité
juridique endémique et aggravation des symptômes auxquels la loi était
censée répondre. Ainsi, les dispositifs destinés à endiguer la
prostitution n’ont fait qu’aggraver la situation des personnes
prostituées. La multiplication outrageuse des priorités
gouvernementales (racolage passif, chiens dangereux, voyageurs sans
titre de transport, guet-apens et embuscades, bandes de garçons et de
filles, violences conjugales, téléchargement illégal et d’autres encore)
a totalement désorienté et engorgé les services de justice, de police
et de gendarmerie qui ne sont même plus en mesure de faire face aux
besoins de la population.
Au-delà, l’affichage arrogant par le pouvoir de la supériorité de
l’attitude compassionnelle sur l’analyse juridique produit ses effets
dans l’ordre juridique même : le quinquennat qui s’achève a été, de
loin, celui où le Conseil constitutionnel aura le plus invalidé de
dispositions nouvelles, et parfois des lois entières : loi sur la
rétention de sûreté, sur l’inceste, LOPPSI 2 ou encore loi dite HADOPI.
Quant aux critiques de la France par les institutions internationales,
jamais elles n’auront été aussi nombreuses, de la commissaire
européenne chargée de la justice au comité des droits de l’enfant des
Nations Unies en passant par le commissaire aux droits de l’Homme du
Conseil de l’Europe. Mais le pouvoir n’a cure de ces objections –
on pourrait même gager qu’elles le servent : la « neutralisation »
des lois votées n’est-elle pas le gage de la possibilité d’en proposer
d’autres de plus en plus répressives, et d’alimenter toujours
davantage la machine à communiquer qu’est devenue la politique pénale ?
Dans ce contexte d’ « hyper-pénalisation », la prévention a été
largement délaissée jusqu’à ce que les émeutes de 2005 obligent le
ministre de l’Intérieur à réinvestir ce domaine. Dès 2002, le ton est
donné, particulièrement en ce qui concerne la police de proximité qui
est vertement critiquée – et caricaturée : « les policiers ne sont pas des travailleurs sociaux ».
Pourtant, malgré leur diversité, les analyses des émeutes convergent
toutes ou presque vers la dénonciation de l’impact négatif du changement
de doctrine policière. Le besoin de proximité et de dialogue entre
police et population est criant. Depuis, de timides tentatives pour
relancer une forme de police de proximité voient le jour régulièrement
(unités territoriales de quartier, brigades spécialisées de terrain,
patrouilleurs…). Ces analyses mettent également l’accent sur les graves
inégalités dont souffrent les habitants des quartiers d’habitat social –
le taux de chômage des jeunes y est de 17 points supérieur à celui des
jeunes des autres quartiers. Malgré l’ampleur du désastre, ces émeutes
n’accoucheront que d’une loi deux ans plus tard – loi qui aurait dû
être la première loi exclusivement consacrée à la prévention en France,
mais qui est apparue en raison de son contenu comme une nouvelle loi
répressive.
Progressivement, ces dix années auront conduit à une évolution forte de la notion même de prévention : « la répression est la meilleure des préventions »
affirme le ministre de l’Intérieur. Dissuasive, la prévention se doit
de s’éloigner de l’approche socio-éducative – selon les termes de la
circulaire de 2011. Les thèmes et modalités d’action retenus frappent
par leur manque de créativité et leur déconnection des réalités. Peu
d’évaluation sont menées – celles qui le sont démontrent par exemple
l’utilité de l’action des médiateurs ou encore des intervenants sociaux
dans les locaux de police et de gendarmerie – dispositifs anciens
heureusement pas entièrement mis à mal par cette nouvelle politique
publique de la prévention. La priorité est donnée à la sanction et à la
logique dissuasive, malgré l’inadéquation avec les besoins et les
constats des acteurs de terrain. Ainsi, la politique de soutien parental
repose aujourd’hui principalement sur des mesures de rétorsion. La
prévention de la délinquance des mineurs n’a pas progressé tant les
énergies ont été captées par les réformes législatives aggravant sans
cesse la répression à l’égard des jeunes. Dans le domaine de la
toxicomanie, la priorité est donnée à la pénalisation de l’usage, au
détriment de la prévention. L’indemnisation des victimes a progressé,
mais les associations d’aide aux victimes qui assuraient l’accueil,
l’orientation et l’accompagnement concret des victimes sont aujourd’hui
en danger de disparition en raison de la baisse du soutien de l’État.
Ces quelques exemples démontrent la faiblesse du bilan en la matière.
L’évolution de la gouvernance de la prévention n’est pas meilleure.
Le maire, censé être placé au cœur de toute la politique publique de
prévention, a été victime d’un jeu de dupes. Le maire est sollicité,
mais peu soutenu par l’État. Les crédits ne suivent pas. Il aura fallu
les émeutes de 2005 pour qu’un sursaut budgétaire –de brève durée – soit
observé. De 25M€ en 2001, les financements étatiques avaient chuté à
15M€ par an entre 2002 et 2005. L’année 2007 a été « faste » avec des
crédits culminant à 30M€, mais leur décrue s’est amorcée tout de suite
après et depuis 2009, le niveau de 20M€ n’est pas atteint. Insuffisants,
les crédits sont également répartis de façon inéquitable. Le principe
de la politique de la ville visant à donner plus aux villes les plus
pauvres n’est plus respecté. La « géographie prioritaire » se dilue :
30% des financements « prévention de la délinquance » peuvent être
attribués à des communes non prioritaires. Certaines villes pourvues de
ressources importantes réussissent à obtenir des financements étatiques
sur le fonds interministériel de prévention de la délinquance, telle
la ville de Nice qui s’est vue allouer 2M€, soit 7% de la dotation
totale du FIPD[1] pour la vidéo
-
surveillance.
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surveillance.
La gouvernance de la prévention souffre également du désengagement
des services de l’État dans la conception, le suivi et le financement
des actions locales de prévention au profit des actions plus
répressives. Ce recul va pourtant de pair avec une attitude plus
centralisatrice des services étatiques. Le préfet se voit régulièrement
enjoindre de faire adopter par les collectivités les nouveaux
dispositifs de la loi de 2007. Il aura même fallu en 2011 rendre
obligatoires les Conseils des droits et devoirs des familles dans les
villes de plus de 50 000 habitants. Le soutien du gouvernement au
développement des polices municipales est perçu sur bien des territoires
comme une façon d’occulter le désengagement des services de la police
nationale et de la gendarmerie. Les inégalités entre territoires
s’aggravent du fait de ces évolutions.
Dans ce contexte, la vidéo
-
surveillance a été présentée comme la réponse « miracle » et l’outil privilégié de la prévention. D’inspiration britannique, l’engouement de Nicolas Sarkozy pour la vidéosurveillance se caractérise depuis 2002 par une fuite en avant que ne canalise aucune réflexion sur l’articulation de cet outil avec les autres dispositifs de prévention. Les missions qu’on assigne à la vidéosurveillance, devenue « vidéoprotection » pour rassurer les défenseurs des droits fondamentaux, ont vu leur périmètre s’accroître progressivement depuis 2002 au point de devenir la panacée pour prévenir, dissuader et élucider les crimes et les délits. La vidéo-surveillance
a été promue directement par l’État qui est passé ici d’un rôle
d’arbitre entre différents projets présentés par les collectivités
locales à un rôle de promoteur. Le secteur économique de la vidéo-surveillance
est d’ailleurs devenu le domaine le plus dynamique de la sécurité
privée avec une croissance annuelle de 7% depuis 2004.
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surveillance a été présentée comme la réponse « miracle » et l’outil privilégié de la prévention. D’inspiration britannique, l’engouement de Nicolas Sarkozy pour la vidéosurveillance se caractérise depuis 2002 par une fuite en avant que ne canalise aucune réflexion sur l’articulation de cet outil avec les autres dispositifs de prévention. Les missions qu’on assigne à la vidéosurveillance, devenue « vidéoprotection » pour rassurer les défenseurs des droits fondamentaux, ont vu leur périmètre s’accroître progressivement depuis 2002 au point de devenir la panacée pour prévenir, dissuader et élucider les crimes et les délits. La vidéo
Le développement tous azimuts des caméras ne repose pourtant pas
sur une évaluation sérieuse de leur efficacité. En 2008, la méta-analyse
de Welsh et Farrington (étude de 41 évaluations disponibles dans le
monde sélectionnées pour la rigueur de leur méthode) fait apparaître que
la vidéosurveillance ne produirait d’effet dissuasif que dans les
lieux fermés, qu’il serait faible pour prévenir les atteintes aux
personnes et qu’il ne persisterait pas longtemps (quelques mois). Quant
à l’impact sur le sentiment de sécurité, il serait quasiment nul. Les
rares études françaises rejoignent ces conclusions et auraient dû
ramener l’installation de caméras à de plus justes mesures. Utile au
gouvernement et aux élus locaux pour faire croire à leur volontarisme en
matière de sécurité, la vidéosurveillance est devenue la principale
dépense du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD)
avec un doublement depuis 2007 des subventions atteignant, en 2010,
60% de l’enveloppe de ce fonds et ce
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au préjudice d’autres actions de prévention. Or, l’aide apportée par l’État ne constitue qu’une aide au « démarrage », pour l’achat de caméras ; il faut y ajouter le coût de maintenance pour faire fonctionner ces dispositifs. Par exemple, la chambre régionale des comptes a constaté que la ville de Cannes avait déboursé environ 7M€ pour l’achat de 276 caméras, dont les coûts s’élèvent pour la maintenance à 350 000 € par an et à 600 000 € pour la rémunération des personnels.
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au préjudice d’autres actions de prévention. Or, l’aide apportée par l’État ne constitue qu’une aide au « démarrage », pour l’achat de caméras ; il faut y ajouter le coût de maintenance pour faire fonctionner ces dispositifs. Par exemple, la chambre régionale des comptes a constaté que la ville de Cannes avait déboursé environ 7M€ pour l’achat de 276 caméras, dont les coûts s’élèvent pour la maintenance à 350 000 € par an et à 600 000 € pour la rémunération des personnels.
L’engouement gouvernemental pour les caméras de surveillance se
traduit par des annonces fortes, comme celle de tripler en 3 ans le
nombre de caméras sur la voie publique, alors même que le nombre de
caméras installées n’est pas systématiquement recensé. Ainsi, à Paris,
selon les sources – toutes rattachées au ministère de l’Intérieur –
l’estimation du nombre de caméras varie entre 15 000 et 33 000. Ce flou a
d’ailleurs été relevé par la Cour des comptes en juillet 2011 qui a
recommandé « de se doter des moyens d’une connaissance exacte des systèmes de vidéosurveillance ».
Le régime actuel d’autorisation et de contrôle de la
vidéosurveillance fait intervenir principalement le préfet
(autorisation), les commissions départementales de vidéosurveillance
(avis consultatif) et, de manière résiduelle, la Commission nationale de
l’informatique et des libertés (CNIL) (conservation numérique des
images, couplage avec fichiers nominatifs). Leurs positions respectives
parfois hétérogènes ne sont pas à la mesure de l’enjeu, s’agissant
d’une matière pouvant toucher les libertés individuelles. Par ailleurs,
aucune réglementation sérieuse n’a été développée quant à
l’utilisation des images transmises par les agents visionneurs, sans
formation juridique ou déontologique, aux forces de l’ordre puis à la
justice. De même, l’utilisation d’images comme preuves dans un procès
pénal s’est développé de fait, sans cadre juridique spécifique.
L’étude de ces quatre domaines d’action permet d’identifier des
points communs qui constituent la marque de fabrique de Nicolas Sarkozy
en matière de sécurité, même si certaines des évolutions présentées
trouvent leurs origines avant 2002. Le volontarisme affiché s’est trop
souvent traduit par une accumulation de « priorités » définies en
fonction des besoins de communication politique et non au regard des
besoins de sécurité réels des citoyens tant au niveau national qu’au
niveau des différents territoires de la République. L’hyper-pénalisation
qui marque l’action législative et opérationnelle menée depuis 2002
n’a pas permis de répondre aux attentes de sécurité comme le démontrent
notamment les enquêtes d’opinion ou les mouvements d’émeutes qui ont
mobilisé bien des citoyens « ordinaires ». Surtout, la systématisation
des réponses répressives a eu pour effet d’engorger durablement le
système pénal annihilant sa réactivité et la pertinence de son action au
profit d’une standardisation mécanique.
Au travers ces analyses, nous souhaitons que les leçons soient
tirées des échecs, afin d’envisager une refonte d’ensemble de la
politique publique de sécurité qui permette de répondre aux enjeux
présents et futurs comme le rapport de Terra Nova publié en octobre 2011
l’a fait[2].
Il nous semble primordial de ne pas céder à la facilité du catalogue
de mesures et de ne pas penser les réformes dans une perspective trop
strictement institutionnelle : la politique de sécurité ne se limite pas
à l’organisation des ministères et de leurs services ; elle doit
approfondir la réflexion sur les techniques et méthodes de travail des
acteurs de la sécurité et être élaborée en lien avec les scientifiques,
les professionnels de terrain et les acteurs associatifs et non
gouvernementaux. Certains éléments de cette politique nous paraissent
pouvoir faire l’objet d’un large consensus politique qui constituerait
une base solide et pérenne :
- Le développement et la prise en compte des connaissances comme postulat de base de toute réforme :
ces connaissances sont constituées des savoirs scientifiques des
chercheurs et des savoirs empiriques des acteurs et de la société civile
dans son ensemble. Elles doivent conduire à une réforme profonde de
l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales et au
développement systématique d’évaluations visant non à déterminer
l’attribution de mannes budgétaires, mais à améliorer la qualité du
service rendu aux citoyens. Enfin, ces connaissances doivent être
accumulées aux différents niveaux d’intervention territoriale et non
uniquement centralisées.
- La territorialisation de l’action nous
paraît devoir être clairement renforcée : les services étatiques
doivent acquérir plus de compétences d’action à l’échelle locale et les
exigences administratives des administrations centrales à l’égard des
services de terrain mériteraient d’être revues à la baisse pour
permettre le développement de savoir faire nécessaires ; la répartition
entre l’action locale – ou régionale – et nationale ne nous paraît pas
reposer uniquement sur une séparation thématique – par exemple, la
corruption ou une atteinte à l’environnement peuvent constituer un enjeu
local. Il nous semble indispensable d’identifier systématiquement la
valeur ajoutée apportée par les différents niveaux d’intervention.
- L’adoption d’une approche par résolution de problèmes
devrait irriguer la réflexion sur les méthodes de travail des acteurs
de la sécurité. Cette méthode permet naturellement de mieux prendre en
compte les spécificités des situations locales comme nationales ou
internationales, de mieux cibler les priorités en fonction des besoins
analysés à partir de sources de connaissances fiables et diversifiées et
favorise le décloisonnement entre les multiples intervenants pouvant
être utiles à l’amélioration de la sécurité et au-delà de la qualité de
la vie quotidienne de tous.
Certaines étapes nous paraissent incontournables. Aucune réforme
d’ensemble ne nous paraît envisageable sans repenser les missions
assignées à l’institution judiciaire, aux services nationaux de police
et de gendarmerie, aux services municipaux de sécurité et de prévention
et aux autres acteurs susceptibles de s’inscrire indirectement dans une
politique de sécurité. Les décisions gouvernementales de la décennie
écoulée ont érigé la réponse pénale en modalité privilégiée de la
sanction des comportements condamnés par le corps social. Il nous semble
indispensable de revoir ces orientations en envisageant la
dépénalisation de pans numériquement importants de contentieux afin,
d’une part, de donner l’oxygène nécessaire à la réforme et au bon
fonctionnement du système pénal et, d’autre part, de favoriser les
autres modes de sanction et de « prise en charge » permettant
d’améliorer la qualité du « vivre ensemble ».
En conclusion, il nous apparaît nécessaire de réhabiliter également
dans le domaine de la sécurité l’humanisme indispensable à toute
approche de la résolution des conflits – par la voie pénale ou par une
autre. Il s’agit là d’un engagement reposant tout autant sur un
pragmatisme réaliste que sur la forte conviction de l’infinie capacité
de l’être humain à améliorer son comportement en société.
Consulter la préface de Robert Badinter à l'imposture
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