Artigos, ensaios, pesquisas de interesse geral - política, cultura, sociedade, economia, filosofia, epistemologia - que merecem registro
quarta-feira, 29 de junho de 2022
Conaie «Nada solo para los indios»
segunda-feira, 20 de junho de 2022
sábado, 18 de junho de 2022
The causes and consequences of the Ukraine war A lecture by John J. Mearsheimer
sexta-feira, 17 de junho de 2022
Russia is staging a rebellion against the West and its liberal world order
sábado, 11 de junho de 2022
Krisis : A Short Introduction to Marx from the Margins
Krisis : A Short Introduction to Marx from the Margins
https://archive.krisis.eu/wp-content/uploads/2018/07/Krisis-2018-2-Marx-from-the-Margins-Full-Issue.pdf?
quinta-feira, 9 de junho de 2022
CRÍTICA DE LEVINAS AO SUJEITO MORAL DE KANT bbb
https://revistas.uece.br/index.php/revistapolymatheia/article/view/6524
quarta-feira, 8 de junho de 2022
Cnina cultura e lingua
- Chinois et français : quand les habitudes culturelles d'apprentissage s'opposent
- Béatrice Bouvier
- Dans Éla. Études de linguistique appliquée 2003/4 (no 132), pages 399 à 414
Préambule
1Àl’époque [1][1]Dans les années
1980. où j’ai fait mes études de chinois à L’Institut National
des Langues Orientales de Paris, la « langue » chinoise formait avec
la « civilisation » un couple qui, comme les époux des mariages
arrangés d’autrefois, se montrent ensemble en public mais vivent, en réalité,
une vie séparée. De son côté, la langue chinoise, vivait, cahin-caha, sa vie de
langue « rare », de langue « la plus difficile du monde »
ou de langue « inaccessible », traînant derrière elle son cortège de
stéréotypes décourageants (c’est du chinois !) ou naïfs (les Chinois sont
tous philosophes), n’attirant dans ses classes de cours que quelques
téméraires, inconscients ou passionnés, qui défiant les lois de la logique
cartésienne se jetaient à l’assaut de l’imprenable citadelle de l’écriture
idéographique. Parallèlement la « civilisation » chinoise engoncée
dans sa superbe, campée sur la longueur de son histoire, figée dans la
splendeur de ses monuments, et chantant la gloire immense de ses rois,
empereurs, grand Timonier et autres dirigeants de toutes les époques, coulait
des jours tranquilles dans le cercle feutré et très fermé des spécialistes,
sinologues certes, mais non sinisants, chargés de faire des ouvrages savants et
de former les sinoapprenants des bancs clairsemés de
l’université.
2Depuis les
choses ont un peu changé, les bancs du département de chinois se sont remplis,
la didactique des langues étrangères a franchi les portes de la Cité Interdite
mais la « langue » et la « civilisation » restent des époux
mal assortis, qui n’ont rien à se dire et ne partagent rien ensemble. Devenue,
à mon tour, enseignante de chinois, le fossé entre « langue » et
« civilisation » s’est imposé comme une préoccupation
professionnelle. La lecture des travaux de Robert Galisson, les cours puis les
séminaires m’ont permis d’identifier, de nommer, de catégoriser les difficultés
et les malaises que j’éprouvais à construire une passerelle entre
« civilisation » et « langue ». Les échanges, les
entretiens puis les années de recherches auprès de Robert Galisson m’ont ouvert
la voie de la « langue à la culture par les idéogrammes », puis de la
« culture comportementale comme rampe d’accès à la culture savante ».
3Si j’ai choisi
cet exemple dans une discipline qui n’est pas le français langue étrangère,
c’est parce que je voulais témoigner des perspectives que la définition des
concepts de « civilisation » et de « culture » revisitée
par Robert Galisson a ouvertes en didactique des langues étrangères. En donnant
ses lettres de noblesse à la « culture partagée » ou « culture
quotidienne » la D/DLC a lancé un pont suspendu entre langue et culture
que je me suis empressée d’emprunter pour enseigner non plus le chinois mais
la langue-culture chinoise.
4Le mariage
arrangé a peu à peu évolué en mariage d’amour et de cette nouvelle complicité
entre langue et culture a émergé une approche de l’enseignement innovante et
active. En dehors d’une meilleure exploitation du fort potentiel de
signification inscrit dans les sinogrammes, j’ai aussi utilisé les différents
vecteurs proposés en D/DLC pour accéder à la culture partagée comme les signes
iconiques à C.C.P. ou les opérations comportementales.
5Ce préambule
didactologique une fois posé, il me resterait encore beaucoup à dire de
l’influence de la D/DLC sur mes orientations professionnelles et sur mon
évolution personnelle. Bien plus qu’une manière d’aborder l’enseignement et les
pratiques de classe, je dirais que les années de recherche avec Robert Galisson
m’ont ouvert la porte de l’imagination, de la créativité. J’ai appris auprès de
lui à m’affranchir des modèles proposés et à dépasser les représentations en
vigueur.
6Je réalise,
en écrivant ces lignes, combien parcours professionnel et personnel sont liés et
je crois qu’en définitive, ce que j’avais envie de dire dans cet hommage (car
il s’agit bien de cela), c’est que je ne peux dissocier la part de
professionnel et la part de personnel dans ce que j’ai appris auprès de lui.
Personne ne s’étonnera (et surtout pas Robert Galisson) que je choisisse une
parabole chinoise pour exprimer mon sentiment, parabole qui, même si elle
semble sibylline au premier abord, aura l’indéniable avantage de vous épargner
la lecture (affligeante, à coup sûr) de mes remerciements maladroits et émus.
7Lie-Tseu,
grand maître taoïste, raconte à ses disciples l’histoire de son propre
apprentissage…
8L’apprentissage
de Lie-Tseu [2][2]Lie-Tseu, Maître
taoïste auteur du Vrai classique du vide…
C’était au temps où Lie-Tseu était disciple. Il mit
trois ans à désapprendre à juger et à qualifier avec des paroles. Alors son
maître Lao Chang l’honora pour la première fois d’un regard.
Au bout de cinq ans, il ne jugea ni ne qualifia plus qu’en pensée. Alors son
maître Lao Chang lui sourit pour la première fois. Au bout de sept ans, après
que se fut effacée dans son esprit même la distinction entre oui et non, entre
avantage et inconvénient; son Maître, pour la première fois le fit asseoir sur
sa natte.
Au bout de neuf ans, quand il eut perdu la notion du juste et de l’injuste, du
bien et du mal, relativement à soi et aux autres, quand il sentit le vide
intérieur, alors en lui s’établit la communication parfaite entre le monde
extérieur et son intimité foncière […].
(Lie Tseu, Le vrai classique du vide parfait, chapitre VI, livre 4)
INTRODUCTION
10Mon domaine
d’exploration et d’études concerne les relations qu’entretiennent les mondes
chinois et français lorsqu’ils se rencontrent dans le cadre de l’enseignement
et de l’apprentissage des langues. Une enquête auprès d’une population
d’étudiants chinois de français a permis de constituer un relevé des
« difficultés communes et considérées comme prioritaires ». À partir
de ce corpus, j’ai ensuite procédé à l’analyse des difficultés afin de les
identifier, de les nommer et de les catégoriser. La démarche proposée consiste
à dégager des perspectives historiques, informer, expliquer les logiques issues
du modèle de la culture des apprenants, exemplifier les traits culturels et les
particularités linguistiques, exposer les représentations les plus courantes et
identifier les valeurs en jeu. La finalité étant d’étudier le mode particulier
d’interaction et d’interrelation qui se produit lorsque ces deux cultures
entrent en contact. Autrement dit, je tenterai de comprendre pourquoi et
comment certaines habitudes culturelles des apprenants sinophones, par leur
divergence avec celles du système français, constituent un obstacle, une
entrave au processus d’enseignement et d’apprentissage.
11Sans
prétendre changer cette réalité inhérente aux contacts en milieu pluriculturel,
je propose selon le principe dialogique, de faire jouer ensemble de façon
complémentaire des notions qui, prises absolument, seraient antagonistes et se
rejetteraient les unes les autres.
12La notion
d’identité s’appréhende dans la culture chinoise, de toute autre manière que
celle que nous connaissons dans la culture française. De toutes les études qui
ont été faites pour mieux comprendre comment s’élaborait la notion de personne,
il ressort une hypothèse largement développée dans les travaux de Margalit
Cohen-Emerique :
Il existe deux modèles fondamentaux de personnes
qui sont totalement divergents, constituant une différence majeure : un
modèle individualiste opposé à un modèle communautaire; le second étant le plus
répandu dans le monde non occidental et le plus observé; le premier
minoritaire, se limitant aux sociétés occidentales. [3][3]M. Cohen-Emerique,
« Le modèle individualiste du sujet- Écran à…
14Le modèle
individualiste, qui prévaut dans la plupart des sociétés industrielles
européennes et du Nord de l’Amérique, privilégie des opinions, buts et
croyances plus personnels que collectifs et
se caractérise par l’émergence d’un moi, unité
différenciée, existant par elle-même, en relation avec les normes valorisantes
et valorisées, en particulier dans les classes moyennes, d’autonomie et
d’indépendance de la personne avec la nécessaire séparation physique et morale
à l’âge adulte de sa famille pour la réalisation personnelle au sein de la
famille nucléaire. [4][4]Idem.
16Dans un
système « communautaire », l’individu, se vit, se ressent comme
maillon d’une chaîne, comme élément d’un tout :
non par ses croyances, attitudes et valeurs
personnelles, mais par ses appartenances, sa place dans le groupe en fonction
de ses rôles et statuts qui codifient sa conduite et, s’il ne s’y conforme pas,
c’est son groupe et pas seulement lui-même qui est remis en cause. [5][5]Ibid., p. 14.
18Le système
social chinois repose sur un tissu de liens internes établis entre les
individus dans une relation de type : Père/fils; frère/sœur;
enfant/parents; mari/femme; on dit aussi que c’est une entité qui se divise en
de multiples individualités, indépendantes mais soudées les unes aux autres.
19À l’opposé,
l’héritage grec contribue à ce que l’homme occidental s’envisage comme un élément
isolé, existant pour et par lui-même. Les héros de l’Iliade et l’odyssée
partent seuls, poursuivant des objectifs tels que la recherche ou la conquête
de leur liberté, leur triomphe personnel ou l’amour d’une femme. En revanche,
un auteur chinois n’imaginerait pas créer un personnage qui partirait à
l’aventure, loin de son pays, mettant en péril des centaines d’hommes pour
retrouver sa belle-sœur enlevée…
20Une des
conséquences de la construction de type familialiste de la société chinoise est
que l’attitude adoptée envers une personne dépend non seulement de sa position
par rapport à moi mais aussi des liens que cette personne entretient avec mon
réseau relationnel. Autrement dit plus elle est proche du réseau plus elle est
considérée, et plus elle est éloignée du réseau moins elle sera considérée. À
ce sujet Zheng Li-Hua constate que si les Chinois « se montrent souvent
très polis à l’égard d’individus qu’ils connaissent, et surtout de ceux qu’ils
considèrent comme importants, ils peuvent être très discourtois envers ceux qui
sont étrangers à leur réseau relationnel » [6][6]Zheng Li-Hua, Les
Chinois de Paris et leurs jeux de face,….
21La notion de
personne en français et le mot équivalent en chinois, “ren”, font
référence à des conceptions très différentes dans lesquelles s’expriment deux
visions du rapport que l’individu entretient avec ses semblables. Pour être un
Homme (au sens d’être humain) dans le monde chinois, il ne suffit pas d’être
vivant et de faire partie de la race humaine, il faut, en plus et avant tout,
se comporter d’une façon acceptable vis-à-vis de ses semblables et en
particulier de ses proches. C’est ainsi que les barbares, qui ne connaissaient
pas les rites convenables se voyaient retirer le statut d’être humain. La pire
insulte qui soit, « ni bu shi ren » (tu n’es pas un être
humain), pourra être adressée à quelqu’un qui n’a pas rempli les devoirs
inhérents à la condition d’Homme, par exemple quelqu’un qui ne prend pas soin
de ses parents ou qui trahit un supérieur, c’est-à-dire un bienfaiteur. On
constate donc que les conduites et comportements sociaux engendrés par l’un ou
l’autre de ces deux modèles sont très différents et peuvent même
s’opposer :
·
Le
modèle individualiste engendre un système éducatif qui prépare la personne à
l’autonomie, pierre angulaire de l’indépendance,
·
Le
modèle communautaire engendre un système éducatif qui prépare la personne à
vivre en bonne intelligence avec son groupe d’appartenance.
22Les liens
qui relient les membres d’un groupe, sont en Chine, prioritaires sur toutes
autres contraintes. Détaché de son groupe d’appartenance, isolé dans un univers
géré par d’autres valeurs, d’autres codes culturels, l’apprenant chinois pourra
se sentir « mal à l’aise, flottant ». Il s’agit pour lui de rétablir
le « contact », de renouer des liens, d’instaurer un dialogue
relationnel. Mais voyons maintenant les conséquences induites par chacun de ces
systèmes et leurs effets sur les habitudes culturelles d’apprentissage des
étudiants chinois qui, défiant la règle confucianiste, se lancent à la conquête
de la langue-culture française et de sa logique cartésienne.
1.
INTERDÉPENDANCE/AUTONOMIE
Ainsi dans les sociétés occidentales
individualistes, les professionnels de l’enseignement prônent volontiers
l’individualisme, l’autonomie…; or ce modèle peut-être reçu comme dangereux
dans des cultures où les valeurs communautaires et groupales sont considérées
comme premières car il peut porter atteinte à l’unité familiale, à l’honneur et
à la pérennité du groupe. [7][7]M. Cohen-Emerique,
« La tolérance face à la différence ça…
24L’observation
des manuels de français conçus et édités en Chine a permis de constater que
l’autonomie n’était pas une valeur privilégiée dans l’enseignement tel qu’il
est pratiqué en Chine.
25La cohésion
sociale y est fondée sur la préoccupation constante des acteurs de préserver
l’harmonisation sociale, laquelle les pousse à recourir aux valeurs du groupe
d’appartenance et à s’y soumettre. À l’opposé, l’indépendance, la liberté
d’action et de choix sont des valeurs recherchées et valorisées dans la société
française.
26En milieu
chinois, la relation entre l’individu et son groupe d’origine perdure de
génération en génération, elle est fondée sur l’obéissance et l’attachement à
sa famille de naissance. Par la pratique du culte des ancêtres, le fils peut
(doit) maintenir les liens avec son grand-père et son père, même morts, pour
éviter toute rupture dans la lignée.
27Le modèle
chinois engendre un lien fondé sur le respect et l’obéissance du fils envers le
père sachant qu’il sera, à son tour, respecté par son fils et ainsi de suite.
L’un exerce son autorité sur l’autre qui obéit comme à l’unisson, l’un et l’autre
habitués et considérant comme naturelle cette relation d’inférieur à
supérieur : « le père n’éprouve pas le besoin de cacher son pouvoir
et le fils de déguiser son obéissance ou d’en avoir honte. » [8][8]M. Mauviel, L’idée
de pluralisme culturel; aspects historiques,…
28Il s’agit
d’une autorité bienveillante, le supérieur étant avant tout un protecteur ou un
bienfaiteur pour l’inférieur. La relation professeur/étudiant fonctionne sur ce
modèle et engendre l’équation :
Les relations d’autorité face à face sont plus difficiles à supporter dans le
contexte culturel français, l’autorité est ressentie comme un obstacle qu’il
faut contourner ou franchir. Toute relation de dépendance ou de
« soumission » est honteuse ou dévalorisante.
29Le mode
relationnel issu du modèle « individualiste » est de type discontinu.
L’individu se séparera de sa famille de base pour recréer à son tour une
nouvelle famille en se mariant.
30Tandis que
la famille chinoise procède par absorption en intégrant les conjoints et la
parentèle consanguine, la famille française procède par morcellement ou même
par expulsion des descendants vers de nouvelles orbites.
31L’enseignant
français pousse ses élèves à être autonomes, il se doit, tout comme les
parents, de les préparer à vivre une vie adulte indépendante. Pour cela, le
jeune doit affirmer ses choix en bravant l’autorité du père, de l’aîné, du
supérieur… du professeur. Il apprend à remettre en question des modèles qui lui
ont permis de se structurer et de grandir mais dont il doit se détacher peu à
peu.
32Ces deux
modèles de formation de l’individu engendrent chacun des systèmes éducatifs aux
objectifs forts divergents.
33L’enseignant
chinois subit l’influence des modèles précédents, et suit les traces du glorieux
ancêtre, Confucius qui disait : « Je ne crée rien, je
transmets ». C’est ainsi que l’on retrouve dans les classes de langue en
Chine de nombreuses techniques d’enseignement qui privilégient l’imitation et
la répétition. La répétition, pour se familiariser avec les sons et pour
corriger les erreurs de prononciation. Des dialogues appris par cœur et récités
oralement permettent de s’entraîner à certaines situations de communication et
de pratiquer l’oral. Les dialogues proposés dans des manuels tels que « Sans
Frontières » ou le « Nouveau Sans Frontières » constituent
l’essentiel du corpus des cours « d’oral » dans les universités
chinoises. À Taïwan, la technique est la même mais les dialogues proviennent
aussi de « Panorama » ou d’autres manuels édités en France.
34Hou Xuemei,
une collègue chinoise, professeur de français en stage de perfectionnement à
Angers découvre une autre manière de travailler à l’université française :
« Le fait de donner une “bibliographie” m’a aussi surprise. “Je n’ai
jamais vu ça chez moi : les étudiants lisent les documents que donne le
prof, ils ne vont pas chercher ailleurs”. » [9][9]Hou Xuemei,
enseignante chinoise en stage de perfectionnement… L’enseignant
français donne une bibliographie pour inciter les étudiants à aller eux-mêmes
en bibliothèque chercher et lire les ouvrages qui traitent du thème du cours.
Plus un étudiant lit et cherche par ses propres moyens des documents liés au
sujet traité en cours, plus l’enseignant français le félicite pour ses
initiatives et son autonomie dans l’apprentissage. Tout au contraire un
professeur chinois qui s’apercevrait qu’un de ses étudiants va chercher
« ailleurs » des informations sur le sujet traité en cours se
sentirait « remis en cause » et pourrait se vexer. Il comprendrait
que son cours n’est pas suffisamment « riche, abondant » pour
satisfaire son public. Si, par hasard, un apprenant chinois passionné cherchait
en bibliothèque des ouvrages concernant le sujet d’un de ses cours, il se
garderait bien de le signaler à l’enseignant concerné. Ce dernier pourrait bien
considérer cet acte comme une remise en cause de ses compétences.
35On comprend
que les méthodes qui tendent à « autonomiser » l’élève ne peuvent
s’appliquer à tous les étudiants étrangers sans préparation et explicitation
préalable des buts et objectifs.
2. CONFORMITÉ/ORIGINALITÉ
Chaque individu appartient, de manière différente,
à un ou plusieurs groupes dont l’opinion exerce une influence irrésistible sur
lui. La conformité aux principes du groupe, l’identification communautaire
représente des valeurs essentielles. [10][10]Zheng Li-Hua, Les
Chinois de Paris et leurs jeux de face, op.…
37Le système
relationnel chinois défend l’idée que les normes qui déterminent la manière
dont une personne doit être traitée dépendent du groupe et de la catégorie
auxquels appartient cette personne. Autrement dit, l’appartenance ou la
non-appartenance au groupe engendre la catégorisation en « nous » et
« eux ».
38La
conformité aux coutumes et habitudes sociales est une preuve de bonne
adaptation. L’attitude qui consiste à se démarquer, à faire preuve
d’originalité n’est ni encouragée, ni valorisée.
39Les Chinois
qui choisissent d’étudier la langue française sont, à l’échelle du nombre
d’étudiants dans leur pays [11][11]La langue
française arrive en cinquième position dans le choix…, largement
minoritaires et pourtant, parmi les différentes raisons qui les ont amenés à
étudier cette langue aucune ne peut être reliée d’une manière ou d’une autre à
la notion d’originalité.
40En revanche,
une enquête antérieure menée auprès d’étudiants français qui étudiaient la
langue chinoise révèle que ce choix peut être motivé par le désir de « se
différencier des autres », de « se démarquer », de « sortir
du commun » [12][12]B. Bouvier, Le
rôle des représentations dans l’apprentissage…. Une étude concernant
les valeurs sociales en France, menée par des psychosociologues confirme cette
hypothèse : « L’originalité est probablement une valeur dans notre
société. Parallèlement, il faut mentionner que la conformité engendre ou peut
engendrer l’ennui, la stéréotypie, la rigidité, la morosité. » [13][13]J.-C. Deschamps,
T. Devos, « Valeurs, cultures et…
3. IMITATION ET IMAGINATION
41Tout l’art
de la réussite consistait à apprendre par cœur et à savoir imiter des modèles
de composition. [14][14]J. Gernet,
L’intelligence de la Chine – le social et le mental,…
42Dès l’école
primaire, les procédés fondamentaux d’apprentissage du mandarin s’appuient
essentiellement sur l’imitation d’un modèle :
Ce modèle d’apprentissage nous incite à croire que
dans une classe de langue étrangère, le comportement visiblement peu actif des
apprenants chinois et leur goût pour les tâches dites « non
créatives » proviennent probablement de leur vécu scolaire et notamment de
la manière dont ils ont à réfléchir sur leur langue maternelle. [15][15]Yang Kuang Jane,
« L’apprenant chinois face au métalangage…
44À partir de
l’observation de trois manuels de français conçus en Chine j’ai pu faire une
liste des cinq types d’exercices les plus fréquents :
o La copie, par exemple :
« Copiez l’alphabet et le texte »
o L’imitation, par exemple :
« Imitez l’enregistrement »
o La transformation (à partir d’un
modèle), par exemple :
« Transformez les phrases énonciatives en interrogatives »
« Faites des petits dialogues d’après le texte »
o Les exercices à trous, par exemple :
« Complétez les phrases »
« Remplissez les blancs »
o Et la traduction
45L’originalité,
l’imagination créative sont plutôt valorisées dans les classes françaises.
C’est pourquoi on demande aux élèves de « créer » des dialogues,
« d’imaginer » des situations à partir d’un thème et de les produire
à l’oral ou à l’écrit. Les consignes concernant les expressions écrites
(rédactions, dissertations) proposée dans les écoles françaises donnent à
l’apprenant l’occasion de s’exprimer : il peut donner son opinion, son
sentiment personnel en utilisant au mieux les acquis théoriques du cours.
46Les
objectifs sont, on le voit, selon le cas de figure, assez différents, les
compétences sollicitées aussi :
Dans le premier cas (imitation), il s’agit de traiter des données selon des
instructions détaillées, on peut parler de fonctionnement analogique, de
reproduction d’un système logique. Dans le deuxième cas (imagination), il
s’agit de s’impliquer personnellement, de dire ou écrire ce qui n’a jamais été
dit ou écrit. Et dans l’invention il y a un risque de se tromper.
47Depuis que
l’idéologie confucéenne s’est imposée, c’est-à-dire depuis les débuts de la
formalisation des écritures au service des pouvoirs dirigeants, l’imagination
n’a pas bonne presse en Chine. Dès les premiers écrits, vers le XIII e siècle
av. J.-C., l’écrivain chinois se distinguait des écrivains des autres
civilisations de son époque, grecque en particulier, parce qu’il était scribe
du Roi et avait pour mission d’écrire l’histoire du royaume, écrits qui
servaient à exalter la piété filiale.
48Le genre
romanesque ou théâtral n’apparaît que tardivement. Il est considéré comme un
art mineur voire subversif. Le mot « roman, fiction » se dit xiaoshuo qui
signifie littéralement « menus propos, discours sans importance ».
Les écrivains ont pour mission d’édifier le pays, de sauver la patrie,
d’éduquer et d’informer le peuple et non pas de le détourner de ses devoirs par
des propos sortis de leur « imagination ».
49Les
intellectuels des années vingt sont influencés par l’idéologie marxiste et l’un
des plus célèbres écrivains de cette époque, Guo Mo Ro proclame :
La nouvelle littérature dont nous avons besoin est
une littérature réaliste sur le plan de la forme, sociale sur le plan du
contenu. [16][16]C. Chen-Andro,
« Les grands problèmes du roman en Chine au XX e…
51Avec
l’avènement du régime communiste, la littérature chinoise sera condamnée à
l’utilitarisme, elle doit « éduquer » le peuple et « refléter
l’époque ». Dès 1942, Mao Zedong lance le slogan : « La
littérature et l’art sont subordonnés au politique. » [17][17]Idem, p. 79. Depuis
les années 1980, une véritable réflexion littéraire s’est engagée autour de la
tradition romanesque en Chine. Il est encore trop tôt pour en voir les effets.
52Les manuels
chinois d’enseignement de la langue française distinguent généralement les
exercices oraux et les exercices écrits. Pourtant cette séparation entre oral
et écrit n’est que « formelle »; en réalité, il s’agit du même type
d’exercices indéfiniment déclinés à l’oral ou bien à l’écrit. La démarche est
la suivante : un modèle (un mot, un son, une phrase, un texte) est choisi
et présenté comme modèle de référence. Il s’agit ensuite, de proposer toutes
sortes d’exercices destinés à permettre à l’apprenant de s’approprier le modèle
de référence. La plupart des exercices proposés sont des exercices à trous
fabriqués à partir du texte (ou dialogue) d’introduction de l’unité didactique.
53Les
exercices de créativité, les activités qui font appel à l’imagination sont
fréquents dans les manuels de langue édités en France. À l’inverse,
l’enseignement chinois a pour principe de prendre modèle sur les maîtres
célèbres, de marcher dans les pas des anciens, si bien que demander à un
apprenant chinois de « créer » ou « d’imaginer » un
dialogue, une situation sans support, sans canevas, est quelque chose dont il
ne voit pas nécessairement le sens, l’intérêt ou qu’il ne sait pas faire a
priori.
54Compte tenu
des analyses précédentes, il semble que les apprenants chinois ont des difficultés
à passer d’une démarche « d’imitation/transformation » à une démarche
de « production/imagination » sans aucun support ou modèle de
référence.
55L’enseignant
français qui proposerait, par exemple, ce sujet d’expression écrite
« Racontez vos vacances de Noël » aurait des attentes implicites. Les
termes « racontez », « vacances », « Noël » sont
chargés de connotations culturelles communes à une majorité de Français.
L’apprenant sinophone dépourvu de ces connaissances, éprouve une sensation de
« vide » devant une telle consigne : faut-il relater les jours
les uns après les autres ? S’agit-il de décrire quelques moments
importants ou bien tous les événements survenus au cours de cette
période ? Il se demande même ce que le récit des petits actes de sa vie
quotidienne peut avoir d’intéressant. Sa production risque fort d’être très
courte et très décevante pour un lecteur français qui espère lire le récit
« personnel » et « émouvant » d’une expérience
« originale ».
56Les
processus d’imitation et d’imagination ne sont pas antinomiques : il est
possible de faire preuve d’imagination tout en s’inspirant de modèles
« imaginés » par d’autres. Il s’agit, dans le cas présent, de combler
le vide qui sépare les attentes de l’enseignant et le savoir-faire de
l’apprenant. Chaque partie peut faire un pas dans le sens de l’autre :
l’enseignant propose un canevas, un exemple, l’apprenant prend appui sur le
modèle pour faire une production « personnelle ».
57Les
exercices de pastiche sont aussi des « relais » qui pourraient mener
peu à peu l’apprenant chinois vers des productions plus conformes à ce qu’on
attend de lui.
4.
COLLABORATION/COMPÉTITION
58Les Chinois,
dans leurs contacts interpersonnels sont plutôt conciliants : « Ils
cherchent moins à avoir raison qu’à vivre en paix avec les autres. » [18][18]Zheng Li-Hua, Les
Chinois de Paris…, op. cit., p. 246. Ils éprouvent des
difficultés à travailler avec ceux de leurs camarades de classe qui ne
cherchent pas le consensus, qui s’expriment ou prennent des décisions sans
tenir compte du reste du groupe. Certaines difficultés apparaissent lors du
travail en sous-groupe avec des personnes qui ne pratiquent pas ce
fonctionnement de recherche du consensus. Il peut y avoir des heurts liés au
rythme de travail et aux habitudes « individualistes »; « je fais
ce que j’ai à faire sans m’occuper des autres ».
59Les échanges
et le travail en commun sont aussi difficiles avec des apprenants qui ont un
comportement totalement opposé au rituel de politesse en vigueur dans la
culture chinoise : les paroles et l’attitude de modestie, la réserve dans
l’expression des sentiments.
60Dans sa
famille, personne n’est en compétition avec l’enfant chinois, il peut établir
des liens sans rapport de force avec toutes sortes de personnes, d’âge, de sexe
et de rang différents. Mais surtout il est encouragé à rester dans la sphère
parentale et à ne pas trop s’aventurer vers le reste du monde. Son avenir est
lié au groupe et repose, au moins en partie, sur la continuité des liens qui
l’unissent à sa famille. Il n’aura pas comme l’individu construit sur le modèle
individualiste, à quitter ses parents pour faire ses preuves, gagner son
indépendance et prouver son autonomie.
61La sécurité,
l’intimité et l’affection sont acquises au membre d’une famille chinoise. C’est
pourquoi la collaboration, la recherche du consensus est une voie fréquemment
adoptée par les apprenants chinois dans les activités de groupe.
62L’homme de
la société de type occidentale doit, lui, fonder sa propre famille, établir
d’autres liens pour combler ses besoins de relations privilégiées et
intimes :
La nécessité de chercher un cercle d’intimité rend
la vie plus difficile à l’Occidental;
en général, il s’oriente vers ses pairs et ceux-ci sont souvent en compétition
pour les mêmes choses. [19][19]F.L.K. Hsu,
American and Chinese. Reflections on Two Cultures…
64Le temps
passé à s’organiser, à répartir les tâches dans un groupe pose les conditions
de la collaboration et oblige à prendre en considération les relations et les
sentiments entre les personnes. Ce temps, qui n’est pas considéré comme du
temps perdu par les Chinois habitués à collaborer, pourra sembler inutilement
dépensé par une personne plus individualiste.
65Pour toutes
les raisons qui viennent d’être évoquées il semble plus approprié de travailler
en sous-groupes à l’intérieur d’un grand groupe : les apprenants peuvent
se consulter, trouver une réponse commune, préparer une réponse qui sera
transmise au nom du groupe par un porte-parole.
5. ÉVOCATION/EXPLICATION
66« Vraiment
le propre de l’écriture chinoise est-il de taire à moitié ce qu’elle
dit ? » [20][20]P. Watzlawick, Une
logique de la communication, Seuil, 1979,… Oui, concision,
précision et économie de mots sont les legs de la langue graphique à l’écriture
chinoise et voici à titre d’exemple une anecdote qui circule chez les étudiants
de langue et de civilisation chinoises :
Le héros, un européen qui vit à Pékin pendant les
années vingt, reçoit des leçons d’écriture d’un professeur chinois ;
celui-ci lui demande de traduire une phrase composée de trois
idéogrammes : le héros les déchiffre correctement :
« rondeur », « être assis », « eau ». Il
s’efforce de combiner les concepts en une assertion (nous dirons les traduire
en langage digital) et il décide que cela signifie : « quelqu’un
prend un bain de siège », au grand dam du distingué professeur, car cette
phrase est une manière particulièrement poétique de parler d’un coucher de
soleil sur la mer. [21][21]Danièle Varès, The
Gate of Happy Sparrows.
68L’implicite,
le non-dit est exprimé entre chaque mot dans cette langue qui appartient à la
catégorie des langages figuratifs et imagés, elle n’explique pas mais évoque et
propose : « En somme, en chinois plus on joue à cachecache avec le
signifiant mieux on s’exprime. » [22][22]Une logique de la
communication, op. cit., p. 55.
69La phrase
chinoise est une suite d’éléments juxtaposés qui laissent au lecteur le soin
d’établir des relations significatives entre eux. Dans la succession de mots
sans liens apparents qui composent la phrase chinoise, les nuances, les
précisions se font par oppositions/contrastes. Les mots, côte à côte se mettent
en valeur, se contredisent, s’opposent, se répondent. Dans le but d’illustrer
par un exemple la force, la précision et le dépouillement de la phrase
chinoise, le Père Larre a, très justement, fait le rapprochement avec la
célèbre phrase de César, « Veni, vidi, vici » [23][23]Père Larre, Les
Chinois, 1981, Lidis, p. 211..
70En français,
les espaces entre les éléments signifiants, ne sont pas laissés à la discrétion
du lecteur. Au contraire, ils sont (doivent être) « comblés »,
« occupés », « remplis » par des éléments
morpho-syntaxiques, qui ont pour mission d’expliciter, de clarifier, de rendre
univoque, les relations qu’entretiennent les tranches significatives entre
elles.
71Imaginons un
collier composé de perles fines (les sinogrammes), de grosseur identique,
régulièrement espacées entre elles et reliées par un fil invisible : c’est
la langue chinoise. Par comparaison, la langue française serait un collier de
pierres précieuses, aux formes variées et aux couleurs changeantes (les mots
soumis aux accords et aux conjugaisons), séparées par de petites breloques et
montées sur un fil d’or ou d’argent (l’appareil morpho-syntaxique).
72L’apprenant
sinophone doit apprendre à faire apparaître (au moyen de l’appareil
syntaxique), pour les rendre explicites, les relations qu’entretiennent entre
elles les unités sémantiques. Il lui faut apprendre à passer d’un mode
d’expression qui procède par évocation à un mode plus orienté vers l’explication
et la démonstration. Ces deux modes d’expression, lorsqu’ils sont confrontés,
engendrent des incompréhensions : Les Français, qui apprécient les énoncés
« clairs et logiques », disent des Chinois qu’ils sont « flous »,
« imprécis », « hermétiques » et qu’on ne « sait pas
ce qu’ils pensent ». Il est vrai que l’absence d’explications, laisse dans
la conversation ou dans la production écrite des « blancs » que seul
un esprit de déduction affûté peut combler.
6. CONCISION/DÉVELOPPEMENT
Le caractère est une sorte de chiffre indépendant
du temps et du lieu, soustrait aux vicissitudes de l’histoire et aux effets de
l’humaine diversité. [24][24]J.-F. Billeter,
L’Art chinois de l’écriture, Genève, Skira,…
74Nous savons
que l’écriture chinoise permettait, grâce à la divination et aux pratiques
religieuses, une sorte de communication avec le monde des dieux et des esprits.
Elle fut par la suite utilisée à des fins profanes (enregistrement, archives…)
mais resta très longtemps l’apanage d’un petit nombre de spécialistes ou de
groupes sociaux privilégiés. C’est pourquoi, elle n’a jamais perdu le prestige
que lui avait conféré ses relations avec la magie, les rites et la religion.
75La langue
graphique a engendré, une « écriture », plus apte à répondre aux
besoins d’échanges et de communication d’un nombre important de personnes, mais
l’apparition de l’écriture chinoise n’empêche pas la langue graphique de
continuer et de vivre sa longue vie. Elle restera la langue des écrits
officiels c’est-à-dire la langue des commentaires canoniques, des dissertations
philosophiques et morales, de la poésie allusive et de l’historiographie.
Aujourd’hui la langue graphique ne vit qu’à travers l’étude des classiques qui
en est encore faite à l’école, mais son influence n’est pas à négliger :
c’est dans cette langue que devaient disserter les candidats au poste de
fonctionnaire-lettré jusqu’au début de ce siècle.
76Ces
particularités linguistiques replacées dans leur contexte historique nous sont
utiles pour analyser les difficultés qu’éprouvent les apprenants sinophones à
s’exprimer à l’écrit en français :
1. certaines caractéristiques de la
langue-source;
2. … et les choix didactiques
qu’elles ont engendrés ;
3. enfin, il semblerait que les
objectifs pédagogiques de l’enseignement en milieu endolingue aillent parfois à
l’encontre des habitudes culturelles d’apprentissage chinoises.
77Pour ce qui
est du premier point, il faut savoir qu’en chinois, la concision est une
qualité : les expressions « en quatre caractères » expriment
beaucoup en peu de mots, si bien que l’apprenant sinophone a tendance à
« économiser » ses mots : « Chang hua tuan shuo »,
« dire beaucoup en peu de mots », est une qualité très appréciée. On
aura compris que plus la langue s’explique, plus elle cherche à lever
l’incertitude dans le but de faciliter la communication, et plus elle s’éloigne
des canons de la beauté et de la pureté en vigueur en Chine.
78Le premier
point (concision) engendre le deuxième (choix didactiques); c’est-à-dire que
l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en Chine se fait à partir de
l’imitation de modèles (respect et imitation des « bons écrits »).
Cette pratique n’encourage pas la production de discours qui font appel à
l’imagination créatrice, à l’expression des impressions ou des sentiments
personnels. Pour finir, j’aimerais ajouter un point qui concerne le mode
relationnel entre les apprenants (entre eux) et les apprenants et l’enseignant
dans la classe; autrement dit les modalités du maintien de la
« face ». Le sentiment de « face » favorise « la peur
de faire des erreurs » or plus on écrit plus il y a de
« risques » de faire des fautes. La difficulté à placer les adjectifs
dans la phrase pourrait être évoquée : là où un mot de vocabulaire exprime
un tout en chinois, il faut, en français, écrire un nom accompagné d’un ou
plusieurs adjectifs (qu’il faut accorder et placer au bon endroit) ou bien une
périphrase, ce qui semble bien compliqué et « risqué ». Or la
meilleure politique en matière de maintien de la face est bien la prudence ou
l’abstention; mieux vaut ne rien faire (rien écrire ou dire) que de faire une
erreur.
CONCLUSION
79Nous avons
présenté des codes culturels antagonistes, des visions du monde opposées, ainsi
que les comportements et attitudes qu’ils engendrent. Il faut bien admettre que
certaines valeurs chinoises sont en opposition, qu’elles entrent en
contradiction avec les valeurs culturelles françaises et vice versa. Prendre
conscience de ces contradictions, les connaître et reconnaître les effets qui
en découlent dans la classe de FLE est un des premiers effets de leur mise en lumière.
Cependant, il paraît possible, dans certains cas, non pas de faire disparaître
les divergences, d’effacer les antagonismes, mais plutôt de les envisager sous
un nouvel angle, afin d’en réduire les effets négatifs. Le professeur (natif)
de langue étrangère qui enseigne à des étrangers impose des objectifs et des
repères d’évaluation qui sont ceux en vigueur dans le système éducatif dont il
est issu. Sans s’en rendre compte, il sélectionne et forme ceux qui comprennent
et suivent ses consignes ; faute de connaître la singularité des autres,
il les dévalorise.
80L’enseignant
de FLE, ne doit pas se tromper d’objectifs : il n’a pas à former de futurs
citoyens français mais à aider des apprenants de langue étrangère à intégrer
des informations qui leur permettront d’élaborer de nouvelles articulations
entre la langue-culture source et la nouvelle langue étrangère. À ce titre, il
me semble que les habitudes culturelles des apprenants doivent être prises en
compte autant que le permettent les connaissances et les informations
disponibles sur le marché.
81Il est
important, par exemple, de savoir que pendant que les élèves français du
primaire font de l’analyse logique et grammaticale, les élèves chinois, eux,
s’entraînent à l’analyse rythmique pour déchiffrer les textes en chinois.
C’est-à-dire qu’ils apprennent à séparer en tranches significatives la chaîne
des sinogrammes. Les caractères chinois sont invariables et, comparé à celui de
la langue française, l’appareil morpho-syntaxique du chinois est si léger qu’on
considère généralement que c’est une langue sans grammaire. C’est en partie
pour cette raison que les enseignants et les apprenants chinois de français
consacrent l’essentiel de leur temps à la grammaire théorique et pratique au
détriment des activités de compréhension et d’expression orales. Les approches
et les choix pédagogiques peuvent aussi être influencés par les valeurs
socioculturelles du pays. Les pratiques de « répétition » et
« d’imitation » usuelles dans le système scolaire chinois sont moins
valorisées dans les classes de FLE en France. On leur préfère des activités
« d’expression personnelle » et « d’imagination créative ».
L’imitation comme méthode d’apprentissage a été instaurée et maintenue par les
conservateurs confucianistes qui prônent « l’imitation des bons
écrits » comme seule méthode valable d’apprentissage de l’écrit.
82L’enseignant
de FLE locuteur-natif qui ne pense pas ou ne parvient pas à expliquer ses
attentes et ses objectifs à son public sinophone contribue au développement
d’incompréhensions, de déceptions et de frustrations mutuelles. Par exemple, la
prise de parole spontanée de la part des apprenants est appréciée par
l’enseignant français ; il y voit généralement le signe d’une bonne
participation au cours. Les interventions en cours sont, au contraire, plutôt
malvenues dans les classes chinoises. Si bien que les apprenants chinois, non
prévenus, auront tendance à se conformer aux habitudes en vigueur dans leur
pays d’origine et à suivre silencieusement les cours. Dans le meilleur des cas,
ils seront étiquetés comme « timides » au pire comme « ne
faisant aucun effort de participation ». Or il ne s’agit, dans la plupart
des cas, ni de l’un ni de l’autre cas de figure. Les étudiants chinois sont
d’ailleurs bien surpris d’apprendre qu’on les juge comme étant
« timides » (surtout ceux qui ne le sont pas du tout [25][25]Certains étudiants
chinois, habitués à être porte-parole, chef… ). L’enseignant
français, une fois informé, pourra mettre sur le compte des habitudes
culturelles, cette attitude qu’il aurait pu, autrement, juger comme
l’expression d’un comportement individuel négatif. La participation d’un
apprenant chinois, « qui ne parle pas en cours », peut néanmoins se
manifester par la quantité de devoirs rendus, par la qualité de sa
participation au travail en sous-groupes, par son assiduité. Et il appartient à
l’enseignant « averti » de développer son sens de l’observation, en
particulier en ce qui concerne les signes non verbaux de la communication. En
effet, en Chine, la parole, n’est pas le véhicule privilégié de l’enseignement;
elle n’est, en définitive, jamais aussi efficace que le geste. Ce qui est dit
ne vaut pas comme preuve ou engagement, c’est l’accomplissement du geste qui
donne un visage à la réalité. Les Français héritiers de Descartes, adeptes du
parler clair et logique, du raisonnement verbo-conceptuel ne sont pas toujours
préparés à lire et à percevoir les signes non verbaux de la communication
indirecte chinoise. Dans la classe hétérogène composée d’autres Asiatiques mais
aussi d’un grand nombre d’Américains et d’Européens, les apprenants de culture
chinoise ont, souvent pour la première fois, l’occasion de se comparer aux
autres. Ils découvrent que la plupart des langues indo-européennes ont des
liens de parenté à partir desquels leurs camarades de classe peuvent construire
des analogies, établir des équivalences, faire des comparaisons. Eux, les
sinophones se retrouvent face à l’hétérogénéité de la langue
alphabétique :
Or comme la civilisation chinoise n’a, dans son
fondement même, entretenu aucun contact d’ordre épistémologique avec nous (même
pas au travers de ces ramifications souterraines que tisse la parenté des
langues), nous voici soudain à son contact comme privés de ce rapport de la
filiation, démunis du secours de la parenté, dépourvus des moindres signes de
connivences. [26][26]F. Jullien,
« Le plus long détour – De la sinologie comme…
84Une
meilleure connaissance des différences culturelles entre acteurs de
l’enseignement/apprentissage du FLE peut contribuer à : diminuer la peur
qu’engendre l’Autre, cet étranger qui vient d’un pays lointain et mal connu,
qui parle une langue réputée pour être parmi les plus difficiles à apprendre;
donner du sens à des comportements et des attitudes qui en paraissent dénués
quand on les observe de loin, dans une culture mal connue, et par contre coup
de s’interroger sur des pratiques courantes dans sa propre culture dont on ne
sait plus pourquoi elles sont ou ont été; rassurer ceux qui ont émis des
hypothèses sur les habitudes culturelles chinoises (ou françaises) et qui
n’avaient pas les moyens de les confirmer ou de les infirmer; leur permettre
d’évaluer une situation, d’analyser un comportement afin de choisir la
meilleure conduite à adopter; aider les enseignants français à comprendre et à
suivre la démarche des apprenants chinois dans leur apprentissage; les aider à
distinguer un comportement « culturel » d’un comportement individuel;
anticiper d’éventuels comportements inadéquats; éviter de commettre des impairs
et de se mettre soi-même ou de mettre les autres dans une situation
embarrassante; déclencher des prises de conscience; remettre en cause certains
partis pris, certaines représentations erronées pour les remplacer par de
nouvelles plus proches de la réalité; donner des idées aux
enseignantschercheurs pour l’élaboration de réponses adaptées à chaque contexte
particulier; dédramatiser les relations.
85Le fait de
reconnaître les causes et les effets de comportements culturels libère les
individus de la responsabilité, de la culpabilité de ne pas se comprendre.
Notes
·
[1]
Dans les années 1980.
·
[2]
Lie-Tseu, Maître taoïste auteur du Vrai
classique du vide parfait, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1980.
·
[3]
M. Cohen-Emerique, « Le modèle
individualiste du sujet- Écran à la compréhension de personnes issues de
sociétés non occidentales », Cahiers de sociologie économique et
culturelle, 1990, p. 11.
·
[4]
Idem.
·
[5]
Ibid., p. 14.
·
[6]
Zheng Li-Hua, Les Chinois de Paris et leurs
jeux de face, L’Harmattan, 1995, p. 157.
·
[7]
M. Cohen-Emerique, « La tolérance face à la
différence ça s’apprend », Intercultures n° 21,
1993, p. 82
·
[8]
M. Mauviel, L’idée de pluralisme culturel;
aspects historiques, conceptuels et comparatifs, 1983, Thèse de Doctorat de
3e cycle : Université Paris V, p. 522.
·
[9]
Hou Xuemei, enseignante chinoise en stage de
perfectionnement en Maîtrise FLE à l’Université d’Angers.
·
[10]
Zheng Li-Hua, Les Chinois de Paris et leurs
jeux de face, op. cit., p. 61.
·
[11]
La langue française arrive en cinquième position
dans le choix d’une seconde langue étrangère après le japonais, le russe, le
coréen, et l’allemand chez les étudiants d’université. Statistiques de 1999.
·
[12]
B. Bouvier, Le rôle des représentations
dans l’apprentissage d’une langue rare : le chinois, Mémoire de DEA,
1994, Université Paris III, p. 27.
·
[13]
J.-C. Deschamps, T. Devos, « Valeurs, cultures
et changements », Intercultures, 21, avril 1993, p. 24.
·
[14]
J. Gernet, L’intelligence de la Chine – le
social et le mental, Gallimard, 1994, p. 125.
·
[15]
Yang Kuang Jane, « L’apprenant chinois face au
métalangage grammatical », Lidil, 5,1992, p. 120.
·
[16]
C. Chen-Andro, « Les grands problèmes du roman
en Chine au XX e siècle », Littératures d’extrême-orient au XXe siècle,
Éditions Philippe Piquier, 1993, p. 78.
·
[17]
Idem, p. 79.
·
[18]
Zheng Li-Hua, Les Chinois de Paris…, op.
cit., p. 246.
·
[19]
F.L.K. Hsu, American and Chinese.
Reflections on Two Cultures and Their People, New York, History Press,
1970, p. 401.
·
[20]
P. Watzlawick, Une logique de la
communication, Seuil, 1979, p. 56.
·
[21]
Danièle Varès, The Gate of Happy Sparrows.
·
[22]
Une logique de la communication, op. cit.,
p. 55.
·
[23]
Père Larre, Les Chinois, 1981, Lidis,
p. 211.
·
[24]
J.-F. Billeter, L’Art chinois de l’écriture,
Genève, Skira, p. 7.
·
[25]
Certains étudiants chinois, habitués à être
porte-parole, chef de classe ou ayant un poste dans les unités ou ligues
universitaires ou régionales dans leur pays savent se montrer très présents
aussi dans les classes en France.
F. Jullien, « Le plus long détour – De la
sinologie comme discipline occidentale », Communications,
n° 43, Éd. du Seuil, 1986, p. 94.
https://doi.org/10.3917/ela.132.0399
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