quinta-feira, 17 de março de 2022

La Querelle des Anciens et des Modernes dans "La Nouvelle Science" de Giambattista Vico bbbb

 

Université de Tunis

Faculté des sciences humaines et sociales

 

DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE

 

 

 

 

La Querelle des Anciens et des Modernes dans 
la « Nouvelle science » de Giambattista Vico

 

Mémoire pour l’obtention du

Master en philosophie

 

 

 

          Elaboré par :

     Dalila  Belhareth

  

       Dirigé par : 

 

     Pr. Salah Mosbah                                                     

 

 

Année universitaire :

 2007/2008

Remerciements

Je voudrais remercier chaleureusement les personnes qui ont contribué à la réalisation de cette recherche. Je pense d'abord à mon directeur de recherche, Monsieur Salah Mosbah de la Faculté des sciences humaines et sociales de l’Université de Tunis pour son dévouement et sa disponibilité, la cohérence de ses conseils et sa rigueur ont certainement contribué à rehausser la qualité générale de mon travail.

Les piétinements de la recherche auraient par ailleurs été moins faisables sans la collaboration précieuse et les accessibilités aux collections de la Bibliothèque nationale de Tunisie, là où je travaille en tant qu’Agent temporaire A3. Je ne peux passer sous silence le dévouement, la disponibilité, l'entraide et la camaraderie de tous et chacun au sein de la BN.

J’ajoute que ce mémoire n'aurait jamais vu le jour sans la deuxième chance que l’Université de Tunis m’a accordé, et sans le soutien et les encouragements de mes ami(e)s et mes professeurs.

Enfin et particulièrement à mes amours, Aida et Zied Seket, âgés respectivement de 19 et 22 ans, ils ont appris à faire sagement ce que j’aurais mal géré à leur place si j’avais une mère qui travaillait et faisait des recherches. Aida et Zied me font preuve d'amour et d'appui indéfectibles. Ils sont une source inépuisable d'inspiration et de courage dans la solitude de mes efforts à persévérer.


Table des matières

Introduction générale......................................................... 2

Chapitre 1 – Les manifestations de la Querelle.................. 9

    Introduction...................................................................................................................... 9

1.1- La découverte du vrai Homère............................................................................. 11

1. 2- Verum - Factum face à la Querelle...................................................................... 19

1. 3 – L’histoire commune des nations........................................................................ 28

Conclusion................................................................................................................... 38

 

Chapitre II- La « Scienza nuova » et la science des Anciens et des Modernes............................................................................ 40

     Introduction................................................................................................................... 40

2.1-Les Nouvelles conditions de la scientificité.......................................................... 42

2.2-La nouvelle science de l’homme........................................................................... 53

2.3-Scientificité de «La Scienza  nuova»..................................................................... 61

Conclusion................................................................................................................... 71

 

Chapitre III – Archéologie du savoir faire....................... 72

   Introduction.................................................................................................................... 72

3.1 Les germes de la vérité.......................................................................................... 74

3.2-La genèse poétique................................................................................................ 85

3.3- La contextualité de la science de l’homme.......................................................... 94

Conclusion................................................................................................................. 105

 

Conclusion générale......................................................... 107

Bibliographie…………………………………………………………………113
Introduction
générale

 

On considère que la condition de vie actuelle est une résultante de la « modernité ». C’est surtout le genre de  problèmes qu’on repère dans les sociétés actuelles qui nous rappellent  qu’on vit dans une société « moderne ». Ce qui veut dire que notre actuelle contemporanéité se marque par l’unification des genres de difficultés léguées par cet esprit dichotomique entre ancien et moderne qui gère la nouvelle condition humaine telles que : la fragmentation du monde social, l'absence de valeurs et de normes de comportement universellement acceptées, le rôle primordial de l'individu égoïste comme prototype pour l'existence humaine, l'exposition publique d'obsessions privées transmises dans les images de chaos et de terreur, rêve,  fantaisie et la succession rapide "des modes" dans la vie intellectuelle et culturelle. Le sentiment collectif de supériorité envers les cultures différentes favorise une tendance pour le désordre, les ruptures et l’indifférence.[1]

Mais ces manifestations socioculturelles ne sont pas l’unique héritage de la « modernité » parce que la modernité n’est pas une. Elle n’a pas une seule face influente. Les autres faces s’expriment en la résistance des penseurs qui s’affirment dans des mouvements de refus de toute modernité, comme ils peuvent se révéler dans des thèses philosophiques alternatives adaptables à la réalité humaine. Il est clair que le  « paradoxe de la modernité » a déjà influencé toutes les manifestations de la vie humaine. Les philosophes qui maintiennent des relations engageantes avec leur société se sont forgés des thèses nécessaires à cette nouvelle réalité, soit en avertissant l’homme, par le biais de la critique, des risques de cette nouvelle ère, soit en élaborant des nouvelles lectures des problématiques déjà posées  par nos ancêtres.

Mais si la Querelle a lieu c’est parce qu’on n’arrive plus à identifier le moment présent. Les Anciens, et non leurs représentants, sont toujours là dans l’enseignement, dans la littérature, dans la pratique quotidienne alors que la modernité est déjà annoncée dans l’industrie, dans les recherches scientifiques et techniques. Peut être y a t-il un décalage entre le réel et l’idéel, peut être encore les modernes ne sont que des anciens sous une forme méconnue. D’ailleurs, quand Eugenio Garin, dans sa recherche sur « L'éducation de l’homme moderne », considère que la querelle ne s’a pas éclatée dans la séance célèbre de la fin de janvier de 1687 lors de la réunion de l'Académie pour célébrer la convalescence de Louis le Grand en citant le "Siècle de Louis XIV ", il reporte les réclamations des Modernes de la Querelle à une étape de l’histoire plus ancienne que la Renaissance. A son avis, cette polémique a pris naissance dans les discussions sur le problème des ‘’anciens’’ et dés que le concept de l'imitation est devenu problématique.[2] 

Dans l’ensemble  de l’avènement de la Querelle, les éléments de la condition d’une humanité en transition se mêlent et elles ne peuvent se lire que sous les signes des influences littéraires, artistiques et spécifiquement scientifiques. Et c’est l’influence culturelle française qui était active lors du dix septième siècle, en culminant celle de la Renaissance italienne. Celle-ci a démarqué le passage historique du Moyen âge à l’époque moderne, de l’hégémonie ecclésiastique à un esprit de résistance.  Toutefois,  cela ne veut pas dire qu’une influence est apte à orienter toute une étape de la vie culturelle d’un peuple tel le cas des anglais qui se querellaient autour d’une problématique plutôt plus distinctive avec la présence assez déterminante des arguments de Francis Bacon. Joseph M. Levine affirme que “The Battle of Books” n’était pas des simples appendices de la “Querelle” comme le prétendent quelques penseurs français.[3]

Les influences étaient décisives en ce sens que les spécificités territoriales s’alimentaient par un courant des affinités et des compromis en voulant déterminer l’ici et le maintenant, « l’orientation » du temps, des idées et des choses. Comme si l’humanité était habitée par une urgence de dépoussiérer sa présence et d’être là. Alors que cette Querelle n’était pas la première qui a exprimé ce ressentiment urgent, il y avait les auteurs de la Renaissance et avant toutes ces manifestations il y avait Platon et les présocratiques. Eux aussi nous ont laissé les traces irréfutables de leurs ressentiments et de leurs adversités en combattant ce qu’ils ont estimé ancien ou incapable de les orienter dans leur contexte vital.

Néanmoins le dépassement effectif vers la modernité n’allège pas la métaphore des géants et des nains, comme l’exprime Joseph M. Levine en se référant à Rampalle, où les Modernes s’étaient représentés vis-à-vis des Anciens comme s’ils étaient des  nains en face des géants, une telle idée s’est enracinée dans les esprits depuis le douzième siècle.[4] Et ce contraste perdure à nos jours car les investigations concernant l’histoire intellectuelle, telle que la période de l’apparition des querelles entre les anciens et les modernes, apparaissent déjà sous d’autres formes. Comme elles sont désignées, aujourd’hui, à l’aide de dénominations plus complexes. La modernité s’est présentée comme un passage vers une réalité  politique, économique et scientifique beaucoup plus complexe. Pour véhiculer le changement toutes les théories de l’utilitarisme, du rationalisme critique, de mercantilisme, se sont manifestées pour exprimer ou satisfaire la naissance d’une modernité qui semble être inabrogeable.

Dans ce climat culturel conflictuel, la relation de Giambattista Vico (1668-1744) avec ses  contemporains et les soucis de son époque semblent être paradoxale et non historique. Les lectures,  qui le désignent en tant qu’antimoderne, se fondent  au moins sur deux raisons : (1) La réception de son magnum opus était au XVIIIe siècle  passive et distante ; (2) le contenu et l’impact des relations que Vico établit entre le particulier et l’universel, entre le réel et l’idéel -dans la Scienza nuova, œuvre principale triplement rééditée et modifiée de son vivant– deviennent explosifs et principaux lors du XIXe et du XX siècles. Une telle énigme de la position de Vico dans l’histoire de la philosophie et du savoir humain en général ne  facilite pas les études qui cherchent à clarifier l’attitude de Vico par rapport à un événement culturel qu’on désigne historiquement par la Querelle des Anciens et des Modernes. Jürgen Trabant [5] dit en présentant l’histoire des lectures des œuvres de Vico comme  prédécesseur «de quelque chose, voire de quelqu’un de plus important venu après. « Vico senza Hegel » est le titre programmatique qui est à la base de ces nouvelles approches et on peut ajouter « Vico senza Marx », « Vico senza Voltaire », « Vico senza Dilthey » etc. [6]. Suite à cette hésitation quant à la datation de la pensée vichienne par rapport à sa naissance,  la synthèse qu’on peut établir en étudiant Vico à partir de sa relation à la Querelle des Anciens et des Modernes, événement marquant de la biographie du XVII et le XVIIIe siècle, nous permettra de maîtriser le rebelle de cette pensée et par conséquent de la situer dans le temps non uniquement selon son effet mais encore selon son contexte propre.

Dès lors, Vico est un professeur et son autobiographie nous indique que les autorités de la République des lettres lui proposent des missions qu’il remplit sans s’empêcher d’établir une correspondance entre son devoir de citoyen de la République des lettres, ses tendances intellectuelles et son évolution propre dans cet univers, d’ailleurs son autobiographie est une narration de la naissance de ses idées. L’une de ces missions est la réponse à la Querelle des Anciens et des Modernes, qui doit démentir la prétendue supériorité de la langue française par rapport à l’italien et même au latin. Néanmoins,  Vico exprime  à cette occasion ses opinions et sa philosophie qui contribuent paradoxalement à obscurcir son appartenance à son époque.  La singularité de sa réplique laisse une grande liberté au lecteur de le placer là où il peut lui indiquer une autre face de la modernité. Ce qui signifie que, quelque soit l’emplacement de la réponse à la Querelle dans les Orazioni inaugurali, et comme l’affirme Sergio Campailla[7] et Hans Baron[8] ou dans la Scienza nuova comme le certifie Joseph M. Levine[9], c’est cette réponse qui nous aidera à placer Vico, en tant que philosophe, au sein de l’originalité des soucis et des événements de son époque avant d’être un décodage de la complexité de sa contemporanéité par rapport au XXe siècle.

D’une part ses œuvres sont un traitement adapté aux problèmes de son époque  pour la simple raison de son engagement envers ses élèves, ses amis et ses bienfaiteurs, de l’autre il est un autodidacte qui découvre sa thèse lentement et tortueusement et peut être sans jamais la parfaire et la clarifier vu la complexité de son approche et la multitude des facettes de la Querelle, qui se révèle problématique moyennant deux voies conduisant respectivement à trois interrogations: l’ une appliquée au champ de la relation entre la  philosophie et la sciences de la nature : est-ce que les anciens ont le savoir que nous procurent les sciences modernes ? Et l’autre entre la littérature et les arts : est ce que les anciens sont plus doués dans ces domaines que les modernes ?  Et quelle importance peut avoir la réponse à des questions de l’ordre des comparaisons culturelles ?

Dans le présent mémoire, j’essaierai de mettre en lumière le caractère complexe de la réponse de Giambattista Vico. Ma question générale de recherche est la suivante : en quoi et comment la présentation vichienne des relations entre les Anciens et les Modernes peut être nouvelle et, d'autre part, comment Vico a-t-il présenté la complexité et la contextualité propres au monde humain ? Mon objectif est d'élucider la réponse vichienne à la Querelle pour pouvoir comprendre l’actuel recours à la réplique vichienne et puis de saisir les différents éléments qui ont  participé à une nouvelle évaluation des sciences et essentiellement des sciences de l’homme.

Le présent travail est divisé en trois chapitres. Chaque chapitre compte trois subdivisions. Le premier est une approche des manifestations de la Querelle selon le texte de la Scienza nuova, cela dit je ne traiterai pas de la Querelle en tant que fait historique mais en tant qu’impact et réalité qui concerne le texte vichien sur le plan conceptuel et contextuel. Le deuxième, dont le titre est la Scienza nuova  et la science des Anciens et des Modernes, est une recherche de la scientificité propre à la Scienza nuova par rapport à celle de son époque révélée par la Querelle en tant que réel scientifique et méthode propre aux sciences de la nature. Le troisième est une vérification de la portée et de la faisabilité de cette nouvelle scientificité en tant qu’une archéologie du savoir faire, c'est-à-dire de l’intérêt bipolaire de la philosophie vichienne. Une philosophie qui réhabilite le contexte humain et s’aventure dans la complexité d’un processus pour lui réattribuer ses profondeurs principalement humaines. 

 


Chapitre 1 – Les manifestations de la Querelle

 

Introduction

 

Giambattista Vico « fut un admirateur précoce de la philosophie moderne et de la science qui, malgré tout, réalisait que ces nouvelles méthodes pouvaient faire naître le scepticisme épistémologique et moral chez les personnes non préparées.[10] » Est- ce qu’il renoncera au dépend de son admiration pour la modernité à établir la supériorité des anciens dans le double champ  des sciences et des lettres ? Ou bien façonnera-t- il une nouvelle face de la modernité qui ne fait que la varier et l’enrichir ?  Dire que la modernité a comme unique face et symbole la philosophie cartésienne, c’est un avis à  réviser quand on lit la Scienza nuova  parce que Machiavel, Grotius, Pufendorf, Spinoza, ainsi que Hobbes  sont des figures de la modernité que Vico présente avec un œil critique et les juxtapose ou les rapproche d’Homère, Platon, Cicéron, Lactance, etc. Si donc Vico répond à la Querelle dans son septième discours en se concentrant sur un cas qui est l’impact de la philosophie cartésienne, cette œuvre elle-même s’avère insuffisante pour un lecteur qui sait que la modernité ne se présente pas uniquement sous le signe du Cogito cartésien, mais encore avec le Prince machiavélien et le Léviathan hobbesien et toutes les théories du droit naturel etc. Dès lors cette réponse  ne peut être que reprise et son contenu mis à jour, vu que son magnum opus nous présente le système de sa philosophie dont ses analyses de la Querelle et ses positions des Anciens et des Modernes font partie.

Cependant, ce qui différencie la Scienza nuova de ces premiers écrits, est sa théodicée rationnelle. Là, on est confronté au non conventionnalisme vichien qui mène son analyse à travers  l’étude historique des coutumes et des traditions, où il trouve les origines dans la philologie et l’étude linguistique ainsi que l’histoire des idées et des représentations humaines. Pour lui les théories de la connaissance, du droit naturel et de la critique littéraire sont à moduler non seulement au niveau du discours moderne mais surtout au niveau de l’évaluation du discours ancien. La sagesse et la créativité des Anciens ne sont pas absolument parfaites mais celles des Modernes ne le sont pas encore aussi bien qu’elles devraient l’être.

Alors Vico se charge de ce devoir en créant une nouvelle voie dans laquelle l’Ancien n’est pas jugé avant d’être assimilé ou imaginé et le Moderne n’est pas admis avant d’être critiqué et comparé aux acquis de l’humanité. Rigault considère que Vico a  introduit son système à travers l’étude d’Homère et il annonce qu’ «il appartient à notre sujet de voir comment la question d'Homère, débattue par Desmarets, Perrault, Boileau, Fontenelle, Mme Dacier, La Motte, l'abbé Aubignac, Pope et tant d'autres encore, sans sortir des limites de la critique littéraire, se transforme, entre les mains de Vico, en une question d'érudition et d'histoire et devient une introduction méthodique au système de la perfectibilité[11] Et c’est dans cet esprit que Vico essaie une mise à niveau en deux temps simultanés, l'un objectif et propre à l'époque qu'il vit et l'autre subjectif et immanent à la réflexion du philosophe napolitain, ainsi il rend possible la rencontre de l'humanisme du Quattrocento avec l'esprit critique. Vico n'étudie pas, donc, les anciens par amour du classicisme, mais parce que cette étude lui servira à dégager les traits vitaux qui devraient  caractériser le nouvel homme du XVIIIe siècle.

Les anciens, dit Vico, classifiaient Homère non uniquement comme le premier des poètes, mais comme le premier des sages et ainsi les modernes imitent les anciens et font remonter jusqu'à lui l'origine de la civilisation. Homère est-il un sage ? un civilisateur ? un grand poète ? L’analyse de Vico peut révéler des éléments de réponse sur la nature de cette polémique en étudiant le personnage essentiel de l’ancienneté des anciens qui est Homère. Quel statut peut-on accorder à Homère en appliquant la méthode vichienne ? Que peut ajouter au savoir humain l’étude d’Homère et la nouvelle découverte vichienne du vrai Homère ? 

1.1- La découverte du vrai Homère

 

 En se posant les questions : que pouvons-nous savoir et dans quel cas peut-on accéder à la vérité ? Est-ce que les Anciens sont plus proches de la vérité que les Modernes ou non ? Vico prend un chemin alternatif par rapport aux Anciens et aux Modernes pour construire cette vérité. Le sens commun, le monde civil, les langues, la chronologie sont des éléments de cette quête. Tous ces éléments ont été des objets de la réflexion dans l’histoire de la philosophie, mais dans la philosophie vichienne ils renouvellent leur appartenance et leur dynamisme pour devenir des schèmes cognitifs aptes à créer la différenciation entre ce qui est originel et ce qui est superflu, entre ce qui est utile et ce qui est vrai, de façon telle que la reconstruction de la nature des manifestations de la Querelle devient étrangement positive face au devenir de l’esprit humain. Dans cette nouvelle optique, la question de s’affirmer dans le présent est cruciale pour les participants à l’état d’esprit polémique de la Querelle. La longue vitalité des anciens et leur présence alourdissent l’actuel. Elles incarnent, par ce fait, la référence culturelle éternisée et activent une comparaison qui a déjà perdu sa légitimité. La nouveauté des conditions de vie des précurseurs des temps modernes imprègne les activités de l’homme avec l’extension des manufactures et de l’imprimerie et d’autres phénomènes  mécaniques et des utilités imposées par l’esprit du mécanisme. L’outillage mécanique prend, déjà, le dessus sur le mode de vie traditionnelle.

Parmi les anciens, c’est Homère qui occupe la place la plus critique dans cette Querelle. Les éditions de l’Iliade et de l’Odyssée se multiplient aux XVIIème  et XVIIIème siècles[12]. Les discussions des littérateurs tournent autour sa validité et de sa pérennité pour la vie littéraire. Homère devient ainsi le lieu commun au sein duquel les intellectuels et les critiques de la société savante du XVIIIe siècle se débattent pour pouvoir édifier des identités propres à la pensée et à la nouvelle réalité de cette époque. Alors que cette angoisse et ce débat moderne, nous dit Vico après un examen philologique, n’ont pas de fondements historiques fiables parce que Homère n'est pas un civilisateur: la poésie civilisatrice se doit de proposer une morale plus modérée, alors que celle dont Homère nous propose le modèle, incarne la figure de la rudesse et de la grossièreté. Ses héros sont, au contraire, orgueilleux, violents, féroces ; et ses Dieux sont inconstants, emportés et faibles à l’image des hommes qui les ont créés. Homère n'est donc ni un philosophe, ni un sage, ni exceptionnellement civilisateur. Mais la grandeur d’Homère se résume dans le fait qu’il demeure le génie de la poésie. Ses successeurs civilisateurs peuvent  nier son génie à condition qu’ils tentent de bien le comprendre et de le définir correctement.

A la différence de la découverte vichienne, Homère symbolise, pour la société savante, en même temps le sublime, la sagesse ésotérique, l’obstacle et surtout l’éternité que les modernes sont avides de garantir, mais en vain puisque les Anciens comme les Modernes s’avèrent incapables de passer outre cette présence pour se créer une véritable présence en leur temps propre, auprès de ceux qui subissent et agissent selon les nouvelles conditions de l’existence non homérique. C’est la cause pour laquelle Homère, nous enseigne Vico, résistera aux classements tant qu’il n’est pas encore identifié. Alors que de tout temps les critiques ont sous les yeux le jugement du sage Horace qui «nous met sur la voie de la vraie réponse, en nous disant qu'après Homère on ne saurait trouver des nouveaux caractères tragiques. C'est en effet à représenter de tels caractères qu'Homère a excellé. Or, la nature de la tragédie est de mettre en scène des passions violentes, des haines, des sentiments de colère et de vengeance que les hommes éprouvent surtout à l'âge héroïque, le second des âges humains. Si donc Homère a porté dans ses peintures une telle perfection, c'est qu'il a recueilli de la poésie antérieure les traditions relatives à cet âge. Mais il n'en a pas été le témoin, car les caractères qu'il trace ne sont pas des caractères individuels ce sont des caractères généraux : Achille est le résumé de toutes les qualités qui constituent la vertu héroïque ; Ulysse, le résumé de celles qui constituent la sagesse héroïque[13] Alors quel poète moderne a le génie de peindre l’ensemble des traits populaires civilisateurs de son temps mise à part celles des palais et des seigneurs ?

C’est la voie d’Horace qu’emprunte la logique de Vico dans sa découverte du vrai Homère et qui identifie ce géant de la naissance de la littérature et de la culture humaine pour découvrir, non les défauts d’une telle naissance, mais les voies libératrices de l’homme de son époque en faveur de son devenir. La plus grande figure du frontispice est celle de la statue d’Homère. C’est le frontispice -résumé de l’œuvre- qui indique l’importance de la présence d’Homère dans la culture ancienne et moderne. Cette découverte, selon Vico, est la plus originale contribution à la compréhension des modifications de l’esprit humain. Il l’annonce en décrivant ces peines « que les premiers peuples du monde païen, par une nécessité de nature qui est démontrée, furent poètes et parlèrent par caractères poétiques. Cette découverte, qui est la clé maîtresse de cette Science, nous a coûté la recherche obstinée de presque toute notre vie littéraire.[14] »

Cette peine est due à l’opacité de l’entreprise parce que l'Iliade et l'Odyssée, objet de la Querelle, sont des anonymes, et paradoxalement à cet anonymat Homère est symbole. L’humanité porte sa signature en sa mémoire pour les raisons d'exemplarité. L’avènement de la découverte vichienne du vrai Homère vient pour poser la question et apporter les éléments explicatifs de cette exemplarité. Ce vrai Homère appartient à, et soutient, l’ordre et la portée d’une pensée qui se veut plus humaniste que mécanique. La question autour de Homère n’est pas fortuite de la part de Vico parce qu’elle traite d’un symbole de l’actualité culturelle pour combattre les caractéristiques essentielles de l’esprit du mécanisme de même moment. Cet esprit prétend oublier le passé et foncer avec une assurance  surdimensionnée, par l’effet de la mode, vers un devenir qu’il veut garantir uniquement par le biais des sciences de la nature. Toute critique, lors de l'incarnation de la logique mécanique dans l'action humaine, devient rétrograde comme si la République des Lettres est entraînée par une réalité dont elle a crée le projet inconsciemment.

Ce projet d’esprit de mécanisme, d’ailleurs, a pris naissance avec la philosophie naturelle[15] qui prétend chasser l’aristotélisme. La première caractéristique de ce nouvel esprit est l’usage de l’analogie de la machine dans la description du monde de sorte que sa possible représentation picturale comme une chose inerte devient un facteur de maîtrise de la nature et combat l’inefficacité de la vision animiste du monde. Cet esprit est l’expression par excellence de la plus adéquate des sciences de la  nature inaugurées par Galilée et systématisées par Descartes avec une prétention certaine de divorce avec la science aristotélicienne. Néanmoins, la théorie mécaniste a retenu des concepts de la physique d’Aristote tels que « substance », « forme » et « matière », mais cette sauvegarde s’est transformée en une caractéristique propre du mécanisme par l’inertie de la matière qui est considérée comme une reformulation radicale des sciences de la nature.

Dans la vision ancienne du monde, la matière et la forme sont représentées comme des réalités dépendantes. Les entités corporelles n’étaient pas homogènes ou étendues mais des substances matérielles individuelles. Des entités se composaient par une substance et une forme individuelle. La distinction entre la cause formelle et l’accident occupait une place essentielle dans la physique d’Aristote et de toute sa scolastique. C’est la qualité de la cause qui hiérarchise le cosmos alors que le mécanisme abolit toute cette hiérarchie de l’essence pour la transformer en une uniformité qui se libère de la forme distinctive et elle se soumet à l’intelligibilité humaine par les principes de l’impénétrabilité et de l’extension. D’ailleurs la mathématisation de la  représentation du monde obéit aux caractéristiques de la vision mécaniste du monde et organise le discours  moderne.

Dans une telle homogénéité des niveaux de la compréhensibilité de l’être,  la mode écrase toute différenciation pour la réduire à la marginalité alors que la découverte du véritable  Homère détourne la recherche vers un univers naturel qu’on ne peut réduire à la loi de l’inertie. Il n’est plus possible, après la vérifiabilité homérique, de traiter par le biais de la science statique le monde social. Ce monde n'est pas régi par des lois de la nature, au même titre que le monde physique. Les actions humaines ne sont pas, en effet, des réactions et il est donc impossible, épistémologiquement, de traiter les interactions humaines comme un simple champ de forces gravitationnelles ou autres. En outre, le paradigme mécaniste nie la diversité et la contextualité des mondes historiques. L’étude de ces derniers relève donc de l'élargissement du champ des fouilles scientifiques plus appropriées que celle qui est justifiée pour l’étude de phénomènes naturels invariants. Or le point d’appui de la Querelle est un jugement qui varie entre idéalisation de l’Iliade et sa réfutation. Ce jugement  paraît uniquement comme une question littéraire tandis qu’il clarifie les nuages qui traversaient l’esprit de l’homme polémique de la Querelle. Il nous indique, dans ce sens, les lieux de défiance des prétentions des Modernes et des Anciens en ce qui concerne leurs vérités et la nature des couches qui stratifient leurs esprits.

En effet Homère est un personnage antique. Selon ses critiques, les premiers qui ont compilé ses œuvres étaient les grecs. C’est l’Iliade et l’Odyssée, un ensemble des histoires apparentées inspirées de la tradition populaire. Ces poèmes ou chansons sont transmises par les rhapsodes et elles comportent plusieurs contradictions quand elles peignent le mode de vie du groupe. Vico explique ces contradictions par la stratification des couches d’histoires rapportées par l’Iliade et l’Odyssée. Mais cette interprétation vichienne n’est pas celle d’une Querelle qui considère le temps comme une donnée figée et non pas comme processus qui nécessite une méthode archéologique pour se prononcer sur le fait homérique. D’ailleurs Alain Pons dans son introduction à « La méthode des études  de notre temps » de Giambattista Vico nous dit « La pensée moderne, c’est-à-dire cartésienne, est une pensée présentée comme un modèle géométrique qui ne prend pas en considération la dimension temporelle. Elle se veut  du point de vue de la méthode critique et surtout pas autocritique. Mais Vico prend conscience que la critique des modernes n’est que jugement de valeur ou préjugé qui a besoin à son tour d’être objet de critique afin qu’elle devienne savante parce que la critique pratiquée par les modernes n’est que l’étendu de la kritikè technè des philosophes grecs,  l’art qui dirige cette opération de notre intellect [...] que l’on appelle “jugement” »[16]. Et c’est pour cela que la découverte du vrai Homère représente pour le système vichien la découverte d’un nouveau paradigme[17] autour duquel la Scienza nuova se construit. Cette œuvre est réponse et dépassement de la Querelle non pour désigner le gagnant dans cette bataille mais pour démasquer l’inessentiel du discours moderne.

En découvrant le vrai Homère, Vico est le premier moderne qui libère la notion de logique poétique ou de sagesse poétique de ses distorsions tout en se forgeant une pensée différente des voies classiques.  Cela se résume dans une tentative de médiation de l’imagination et de la raison. La sagesse poétique, dans le sens vichien, n’est pas forcement irrationnelle, ou non raisonnable, ou divine dans le sens strict de la révélation divine. C’est un sens alternatif et divinement inspiré ou sanctionné comme mode de conceptualisation d’un savoir et d’une compréhension des rythmes du monde. Il est alternatif par rapport à la compréhension rationnelle diffusée par la mode mécaniste. 

Dans les temps obscurs, l’humain n’avait pas besoin de l’appui de l’imagination pour exprimer sa compréhension des entités spirituelles, il n’avait pas à transcender les images qui s’imposaient à sa perception parce qu’il était imagination et plutôt il s’identifiait à ses objets en voulant les exprimer. Vico nous présente cette tendance anthropomorphique en disant «Les corollaires de cette logique poétique sont tous les premiers tropes, dont le plus lumineux et parce que le plus lumineux, le plus nécessaire et le plus fréquent, est la métaphore, qui n’est jamais davantage louée que lorsqu’elle prête sens et passion aux choses qui en sont privées »[18]. La reprise de cette image du monde qui est ressuscitée dans des proverbes doit distinguer selon Vico entre une variété de types de pensée pour vérifier l’exactitude historique : savoir  et sagesse, sciences, usage poétique des successeurs et essentiellement les pratiques imminentes. Cette prudence dans l’emploi non historique de la logique poétique est du à la spécificité du sens poétique que Vico découvre « dans chaque type d’activité, les hommes qui sont dépourvus d’aptitude naturelle réussissent grâce à l’étude obstinée de l’art ; mais en poésie absolument personne ne peut réussir au moyen de l’art s’il n’a pas l’aptitude naturelle. »[19] Vico rappelle la potentialité d’une sagesse dans le sens d’une compréhension de la réalité qui n’est pas une scission entre le réel et l'entité abstraite ou conceptuelle mais plutôt une fusion entre le réel, la représentation et la locution d’ailleurs le sens est une expression concrète d’une image allégorique.

Vico constate un contraste entre la sagesse poétique populaire et la pratique moderne du savoir aussi sophistiquée, philosophique et théorétique. C'est cette manifestation d'une logique autre que celle de l'homme moderne qui falsifie tout jugement de la sagesse poétique par le biais du savoir conceptuel philosophique. Le caractère de l’universel fantastique [universale fantastico] est une forme de poésie religieuse mythique qui n'obéit pas aux spécificités de la poésie lyrique ou mystique et c'est pour cela que Vico lui refuse l'interprétation ésotérique en disant «nous avons dû plus haut, dans la sagesse poétique, suivre une route totalement inverse de celle  qu’avait suivie Manéthon et débarrasser les fables de leurs significations mystiques pour leur signification historique originelle ; et la façon naturelle et aisée, libre d’efforts, de subterfuges et de distorsions, avec laquelle nous y sommes parvenu, prouve la propriété des allégories historiques contenues dans ces fables »[20]

Les principes de la logique poétique, aussi simples qu’ils soient, sont une expression non rationnelle ou pré-rationnelle mais raisonnable dans son utilité et dans sa perspective de guider l’homme vers son humanité, de s’approprier le monde qui lui est hostile de façon que cette image-parole se convertit en acte selon le principe vichien de verum et factum convertuntur. En appliquant ce principe Vico saisit l'unité cyclique de la sagesse poétique  là où la parole, le sens et l'acte ne font qu'un et ne renvoient qu'à un contexte de la naissance de l'homme en évolution vers une complexité autre, peut-être plus performante dans son expression mais sûrement moins véridique et moins représentative. C'est la raison pour laquelle ce principe servira à éclairer les aberrations de l'esprit de la Querelle. Les Anciens et les Modernes s'activent en se comparant à, ou en combattant, un Homère réellement multiple qui « n’avait pas encore inventé les lettres dites ‘’ vulgaires’’ . En outre, si ces lettres avaient été des formes de sons articulés et non des signes arbitraires, elles auraient dû être uniformes chez toutes les nations, comme le sont les sons articulés[21] Mais celui-là ne raconte que l'histoire des caractères héroïques qui sont "des coutumes aussi grossières, rustiques, féroces, sauvages, inconstantes, déraisonnables ou déraisonnablement obstinées, frivoles et sottes »[22]et il est en même temps « l'Homère incomparable pour ce qui est de la création des caractères poétiques, parmi lesquels les plus grands sont si mal accordés à la nature civile qui est la nôtre, mais sont parfaitement convenables en rapport à la nature héroïque d'hommes sourcilleux[23]

Ceci dit,  quelle est la logique de la Querelle d'après la découverte des limites du personnage essentiel d’avènement homérique ? Est-ce que l'inimitabilité d’Homère est une réplique suffisante à la mise à découvert de l'esprit moderne selon Vico ?  Et dans quelle mesure l’homme moderne ou simple contribuable à une civilisation déjà fondée peut-il accéder à la compréhension du langage et des normes des fondateurs de la civilisation telle qu’elle est peinte dans la poésie d’Homère ? Et comment peut-il acquérir le statut de créateur et fondateur de son humanité ? Comment Vico pense-t-il que nous pénétrons ou reconstruisons des mentalités primitives, ou en effet, une partie du passé culturel ? Est-ce que le principe verum-factum comme étant mémoire générée par les mens et l'imagination de nos ancêtres est lui-même une redécouverte qui participera à la clarification de la réponse vichienne à la Querelle ? Quel est exactement le processus évoqué par des mots tels qu’entrare ou discendere, qu'il utilise pour décrire notre voie à la compréhension de ce qui se passait dans l'esprit des bestioni ?

 

1. 2- Verum - Factum face à la Querelle

 

Vico ne cache pas son mépris pour la pratique médicale de son temps qui conseillait la suspension  de l'action, dans l'attente de  la progression de la maladie en quelque chose de plus curable. Cet enseignement s'appuie sur la faculté d'analyse et décourage l'activité de la mémoire et l'imprudente imagination. Mais, il néglige le développement des capacités de synthèse des praticiens de la médecine. Certes, avec un tel enseignement médical, ils auront peu de chances de découvrir de nouvelles diagnostiques et traitements en remarquant  les petits détails qui pouvaient modifier entièrement la perception de la maladie et de son étiologie. En conséquence, leur jugement repose souvent sur une description incomplète et trompeuse de la situation. Ce dogmatisme pratique, nourri par la substitution des préceptes de la prudence et du sens commun, conduit le médecin à s’écarter de la sphère spécifique à l'idée aristotélicienne de sagesse pratique, dont la connaissance est strictement associée à la pratique des affaires de la cité alors que l'hygiène et la santé sont les affaires qui appellent le plus à la prudence.

Cependant, Vico[24] explique, non seulement, le savoir éthico-politique par la convertibilité du verum-factum, mais encore toutes les sciences telles que les mathématiques et la science expérimentale. Il fonde aussi des associations fortes entre l'œuvre et la norme en se conformant à cet axiome ou principe. « La prééminence de verum-factum chez Vico investit l'agir dans tous les secteurs de l'effort humain et lui acquière nettement une appartenance moderne comme continuation de la pensée de Bacon, Galilée et Hobbes.[25] » Ce principe, en dépassant les limites traditionnellement admises entre sciences dures et sciences molles ou humaines, provoque des problèmes tant herméneutiques que philosophiques. Vico, dépasse-t-il par le biais de ce principe la prudence aristotélicienne pour  insérer la délibération dans tout  le processus cognitif et pratique  de l'être humain ?

Le champ d'action de la phronesis chez Aristote ne dépasse pas les limites de l'action civile de la cité. Son règne est celui de la délibération politico-morale. C'est l'ambiguïté et la multiplicité des choix présents dans les cas particuliers et les grandes lignes de la politique de la cité qui incite l'athénien à chercher un consensus délibératif dans la prise de décision sénatoriale. Vico reprend cette perspective aristotélicienne en l'actualisant selon la nouvelle conception de l'homme et en conformité avec l'agir homérique découvert dans la trame des archives de l'humanité. Cette actualisation d'un principe délibératif ancien peut confirmer le dire Fosco Mariani–Zini [26] que Vico, s'installe dans  la Querelle des Anciens et des Modernes. Est-ce que le verum- factum  vichien, souvent considéré par les interprètes comme argument instrumental, permet de réconcilier la Scienza nuova  avec  la raison pratique déjà à jour ?

 Vico présente l’axiome verum – factum, d'abord, en tant que thèse étymologique, « car c'est selon cette succession des choses humaines que doit être racontée l'histoire des mots des langues indigènes»[27] et cette succession des modifications des images mentales n’est emmagasinée et constamment veillée que dans la langue qui trace l’itinéraire de l’évolution ou de la régression des mentalités des gente, dans De Antiquissima, Vico nous fait comprendre l’immobilisation artificielle de la représentation des temps reculés « les Latins parlent des êtres animés dépourvus de raison, quand il les disent ‘’ bruta ‘’ ; ‘’ brutum ‘’ pour eux signifiait la même chose qu’’’ immobile ‘’ ; et pourtant ils voyaient les brutes en mouvement. Il faut donc que les anciens philosophes italiques aient jugé que les brutes, parce qu’elles n’étaient mues par des objets présents, étaient immobiles et qu’elles étaient mues par les objets présents comme par une machine ; tandis que les hommes ont un principe interne du mouvement, à savoir animus, qui se meut librement[28]» C’est la confusion due aux modifications des mentes et qui est inscrite organiquement dans la langue latine qui véhicule les changements des temps et dans laquelle la scission entre le vrai et le fait s’est normalisée. Ce qui veut dire que cette scission est une réification du dicible et du pensable dans le sens que la variation entre le vrai et le fait devient réel et transposable extérieurement sans intériorité possible. 

Cette suggestion prend pour point d’appui que la médiation, caractère essentiel de la scission  entre verum et factum, une fois atteinte, l’homme devient la norme et l’actualité. Il tend à effacer sa genèse et aplatir ses débuts dans le sens de perdre sens de l’immédiateté en la réduisant aux mécanismes dans son acception première c'est-à-dire étrangère et extérieure. Néanmoins la langue témoin garde ses traces formatées dans des usages textuels ou collectifs à partir de l’origine première du mot qui est la collecte des lettres en vue de créer le Mens.  Dans la même œuvre, Vico polémique l’adoption de Malebranche du principe cartésien du « Cogito, ergo sum » et  démontre que ce principe n’est que simple schématisme en proposant une nouvelle définition de la pensée qui est mens en latin et dont la traduction en italien est pensiero c'est-à-dire que « nous voyons bon ce qui est mauvais, multiple ce qui est un, autre ce qui est le même, en repos ce qui n’est pas en repos, mais comme ni le bon, ni l’un, ni le repos ne sont dans la nature, se tromper en ces matières veut dire tout simplement que les hommes, imprudents ou trompés, contemplent à travers les choses créées.[29] » Donc le nouveau sophisme de l’homme moderne n’est pas si éloigné du sophisme présocratique, mais il est plus élaboré et plus méthodique : sa finalité est de se renier soi-même en se projetant dans ses propres créations.   

La métaphysique est, alors, une branche du savoir théorique qui doit commencer là où les choses commencent c'est-à-dire par la contemplation de l’œuvre de l’homme sans se réduire à la valeur actuelle de son sujet. Ce sont les modifications de la pensée rapportées dans les mots et la syntaxe de l’œuvre humaine qu’il faut et qu’il faudrait étudier. Prétendre étudier uniquement la mécanique ou la chose étendue et inertielle comme le fait l’époque moderne n’est pas chose superflue si on prend comme notion de base que « l’Arithmétique, la géométrie et leur rejeton la mécanique, relèvent du pouvoir-faire  humain ; car dans ces sciences nous démontrons le vrai parce que nous le faisons.[30] » Cette collecte des informations organisée en sciences formelles et instrumentales est selon Vico, donc,  partie prenante de l’évolution de l’homme comme elle est immanente  à l’action essentiellement intentionnelle et archivable «car lorsqu'il arrive que celui qui fait les choses les raconte lui-même, l'histoire ne peut être davantage certaine.[31] » Ainsi, notre connaissance de l'agir ne peut se faire qu'en observant les modifications de mente qui obéit à l'effectivité du cognitif en tant qu'intériorité et extériorité simultanément. C’est en appliquant cette immanence du savoir faire que Vico juge, sans avoir un texte conventionnel justificatif, que « l’architecture étrusque, elle aussi, la plus simple de toutes, nous donne un argument de poids pour conclure à leur intériorité sur les Grecs en matière de géométrie »[32]

 Enfin, la convertibilité entre verum - factum est le principe qui permet la lisibilité de l’œuvre pensée et spécifique à l’homme. Ce principe crée la possibilité d’un dictionnaire mental de la langue sans réduction des différences et des scissions entre le faire et l’idée, entre l’ancien et le nouveau, ou l’actuel, parce que l’agir dans la condition humaine est métaphysiquement formé par la naissance d’un savoir-faire qui est celui d’un legere, c'est-à-dire collecte des éléments, en ce qui concerne la langue, rassembler l’alphabet du mot et créer un sens. L'effet est de suggérer une homologie primitive entre le savoir et le faire, les traces de ce qui restera dans notre langage courant. Malgré la concrétion des autres paradigmes, par exemple, de l'introspection, de l'observation, Verum – Factum est non seulement une thèse sur le sens originel des mots mais encore sur la nature historique des institutions humaines.

Il n'y a pas de passage direct du mot à la chose, l'homme ne peut échapper à la nécessité de la médiation. Vico,  par le biais de la convertibilité, établit un paradigme herméneutique. Il échappe ainsi à la réduction du sens comme production propre du cognitif pur pour devenir un processus vital là où la connaissance est science et conscience mutuellement. Pour peindre ce passage obligatoire entre l’agir et l’idée, les langues constituent le noyau dur du processus à propos duquel  Robert C. Miner écrit que « Vico comprend le jugement humain par analogie au processus de lecture. Le lecteur alphabétique rassemble les éléments à partir desquels les mots sont construits. En l'absence du lecteur qui collecte, l’elementa sera un fatras incohérent, dénué d'importance. Le sens documentaire est tout simplement impossible sans la contribution active du lecteur.[33] » Donc, sans le faire du lecteur ou du récepteur, dans la conjoncture orale ou sociale, l’idée n’est plus. La distinction, par conséquent, dans le cas de l’objet de la physique, en tant que connaissance n'est pas entre deux séries d'éléments, mais entre deux modes de saisir l’elementa rei. D’une part le mode véridique, celui-ci  est propre à l'infini divin, qui connaît les éléments en tant que telles et de l'autre, le mode humain qui est fini dans la maîtrise de ce qui existe à l'extérieur indépendamment de son conatus et qui opère par le biais des dissections ou des descriptions et des constructions.
        A la lumière de cette théorie de la connaissance, Vico établit une hiérarchie des sciences dans laquelle il organise le savoir par ordre décroissant de certitude et non de véracité distinctive. La hiérarchie dépend de la distinction entre science et conscience. Les mathématiques pures sont science parce que la portée de leurs éléments est entièrement interne. Le terme interne n'est pas synonyme d’intuition ou d’introspection. « Le terme est destiné à rappeler la capacité de l'esprit humain à créer les mathématiques indépendamment du monde extérieur. Leur connaissance n'est pas une pure science mais conscience, qui dépend du savoir dans une certaine mesure, sur des éléments compris de l'extérieur[34]»

Or si on se demande quelle nécessité peut avoir une différenciation des modes de la science et de la conscience, on se situe au niveau de la mémoire, de la tortuosité de la vie humaine, qui fait du besoin d’une rhétorique de la profondeur une approche impérative s’appliquant au désir insaisissable et insatiable auquel on peut identifier la cause efficiente aristotélicienne. La racine du désir, sa cause première est sa finalité, identique à l'infini, verum primum. Paradoxalement, ce désir ou libido ou encore conatus opère non pas uniquement par la dissection et la construction, finies et partielles puisque son objet est enfermé à l'extérieur des bords de la chose élément, mais par l’approche monographique de sa propre production ayant une intériorité et qui se distingue du modelage[35] divin, par le fait que l’homme ne dispose pas de tout les objets de son désir. Néanmoins, l’ultime explication de l’intériorité (dont la cause efficiente) est téléologique, elle se présente sous une forme de théologie négative où la fin n'est jamais transparente et mise à la disposition de la compréhension de l'espèce humaine telle qu’elle est à la disposition du divin.

Donc, le verum factum n’est pas une copie de la notion du Verbe théologique mais un principe sur lequel repose toute la compréhension de la réalité anthropologique dans laquelle « savoir serait composer les éléments des choses : d’où la pensée serait le propre de l’esprit humain [36]» alors que l’esprit divin est pur factor « Dieu est le premier Facteur ; qu’elle* est infinie, parce qu’elle lui représente les éléments, tant externes qu’internes, des choses, car Dieu les contient[37]

Dieu, donc, conçoit ce qu’il contient, l’homme invente les noms en faisant les dénommés, verum-factum qui signifient nous dit Vico « pour les Latins ‘’ verum ‘’ et ‘’ factum’’  sont réciprocables, ou comme on dit communément dans les Ecoles, convertibles ; et il va de même pour eux de ‘’ intelligere’’, ‘’ perfecte legere’’ et ‘’aperte cognoscere ‘’ [...].  D’autre part, comme les mots sont des idées, les idées elles-mêmes sont des symboles et des marques des choses : c’est pourquoi, de même que lire est le fait de qui rassemble les éléments d’écriture dont sont composés les mots, de même comprendre consisterait à rassembler tous les éléments d’une chose, pour en exprimer l’idée complète.[38] » Cette conception spécifique à l’humain ou plutôt à la perfectibilité de l’humain se justifie par le fait que l’homme n’est pas une donnée, il est un processus de l’être dont la conception génératrice des facultés se développe avec le temps de la convertibilité. D’ailleurs, les caussae selon Vico sont actives, elles sont génératrices des choses humaines qui dessinent les modifications progressives des mentalités, les mœurs, les conceptions, les modes de vie des sociétés humaines et le développement des strates de la conscience sociale. I. Berlin émet une hypothèse plausible vu l’intérêt des questions juridiques dans la vie et l’œuvre de Vico. Et en ayant une vue panoramique sur l’origine humaniste et la faisabilité du principe de la réciprocité de l’agir et de l’idée, il propose d’expliquer la causalité selon Vico comme étant une notion plutôt juridique en supposant qu’ « Il se peut également que, compte tenu de la profonde implication de Vico dans la pensée juridique - son intérêt étant absorbé dans l'histoire du droit romain et de ses implications sociales-, il y a un élément de sens juridique en [la notion de] caussae, de la fortification d'une chaîne de motifs, des impulsions, des actions et de leur impact sur les relations humaines qui constituent le cœur des arguments devant les tribunaux, qui visent à  donner un compte rendu plausible des circonstances individuelles ou sociales, des buts, du développement d'une situation donnée à partir du moment où les questions juridiques se posent».[39]

La maniabilité et la portée du principe verum factum obéit elle même aux fins de la pensée vichienne qui se refuse mutuellement à : (1)  l’admission de la clarté et de la distinction de la philosophie naturelle qui canalise les normes de la vie socio-politique dans l’esprit de la méthode formelle ou pure et procédurale vu que cette philosophie n'a pas fourni avec Descartes, lui-même, une théorie éthique qui équivaut dans son système  à  l’importance de l’investigation scientifique mais lors de la vulgarisation du cartésianisme, il n'a eu aucune hésitation de ses successeurs d'achever son projet fondamental en l’appliquant dans la sphère humaine tel que le Jus-naturalisme et l'utilitarisme, aussi différent qu'ils sont l'un de l'autre, ces doctrines partagent le désir de fonder l'éthique sur des principes aussi universels et certains que ceux des mathématiques c'est-à-dire formelles qui ne sont applicables que par le biais de la procédure et  de la réification de la pratique humaine. Et (2) La marginalisation des sciences humaines sous prétexte de l’insatiabilité du monde social qui présente d’emblée une texture normative, une réalité historique complexe structurée par des règles constitutives qui, elles-mêmes, présupposent une maniabilité normative qu’on ne peut acquérir que par une fouille destinée à mettre en lumière la naissance et l’enfance de l’humanité toujours selon le même principe vichien que « l’ordre des idées doit suivre l’ordre des choses [40]» ou inversement on ne peut comprendre la chose humaine qu’en consultant ses archives délabrés et déformés par l’usage et les modifications des lieux et des temps. L’ordre des choses lui-même est mobile  vu qu’il n’est chose que chose humaine et vu que dans tout les points de départ c’est la marque faite par l’homme qui est évaluative, évaluée et hiérarchisée. Ainsi  Vico nous  montre, «l’ordre suivi par les choses humaines : d’abord  il y eut les forêts, puis les cabanes, en suite les villages, plus tard les cités, finalement les académies.[41]»

Donc le principe de la réciprocité du fait et du vrai est un axiome qui légitime la naissance d’une nouvelle science dans laquelle le platonisme démiurgique et les aspirations baconiennes d’établir une nouvelle ère du savoir sur les bases de l’expérience trouvent l’adéquation avec la réalité historique. Raison pour laquelle la majeure partie de la Scienza nuova vise à décrire la manière dont les êtres humains, en particulier dans les temps reculés, ont tendance à concevoir une vision du monde ou un sens adéquat à leurs vies, en utilisant leurs facultés les plus actives pour comprendre et interpréter le monde naturel et social dans lequel ils se trouvent. En exprimant les visions de ces mondes dans les modes de comportement sociaux, juridiques, religieux et autres, l’homme incarne son appartenance à un âge distinctif de la culture et de la civilisation dont les institutions, les formes d'expression et de l'écriture, les mythes, les fables, façonnent les concepts et croyances et produisent le sens de son passage d’un âge à un autre. Ainsi la convertibilité devient l’expression de la possibilité de la transmission et de la traduction des origines et des profondeurs d’une action qui s’humanise par degré mais qui ne s’anéantit jamais vu que les âges de la civilisation sont homologues  à des étapes de la vie de l’homme et que la trace des actes et des idées humaines sont inscrites dans la langue qui véhicule l’existence de l’homme. De ce fait la théorie cyclique ou spirale de l’histoire, qui culmine avec  la théorie vichienne des ricorsi ou le retour de la barbarie réflexive ne peut-elle pas être une contradiction systémique avec l’interprétation accumulative qu’engendre le principe de la réciprocité du verum - factum ?

Autrement dit si tout agir est idée et toute idée est action  dans ce cas l’homme est effectivité perpétuelle. Comment peut-on alors expliquer le risque du mirage réflexif qui tronque cette réciprocité entre l’agir et l’idée ?

 

1. 3 – L’histoire commune des nations

 

L’histoire des nations est un thème débattu au XVIIe siècle. La comparaison répandue entre le siècle de Louis Le grand et le siècle d’Auguste durant la Querelle est un repère apte à indiquer l’importance de ce thème lors de ce  débat.  Or William S. Haas désigne Vico comme étant « le premier à reconnaître qu’après l'abdication de l'histoire sainte, la philosophie de l'histoire laïque ne peut être construite que sur l'idée de la civilisation et dans son travail, il a fait usage de toutes les nouvelles conceptions, les catégories et les connaissances qui sont à la base du monde moderne[42]». Selon ce dire Vico ne synthétise pas un discours déjà là ou une théorie historique dont les méthodes et  les fondements sont échafaudés mais il fonde une nouvelle vision du monde historique qui caractérisera le discours moderne. La vision propre à la Querelle ressort plutôt d’une tendance historiographique qui était pratiquée par les littérateurs de tout temps sous des formes implicites et dans des styles imagés. A cette époque, l’histoire est pratiquée par les rhéteurs ou confiée aux poly historiens, alors que Vico s’aventure en lui accordant une importance cruciale. Il considère que l’homme n’est pas une créature dans le sens qu’il a été de tout temps tel qu’il est aujourd’hui. Les facultés hautement développées que rencontre l’homme d’aujourd’hui font qu’il devient nécessaire de voir en lui, l’être qui  «se fait en faisant son histoire opérant par là une nette césure entre les origines et la genèse de l’humanité.[43]»

Or si l'historiographie suppose un esprit critique et réflexif et une objectivation nécessaire qui garantit un certain écart entre le sujet et son objet,  la philosophie de l'histoire a besoin de ces compétences à un degré encore plus élevé. Le corpus vichien présente une grande perception de l'histoire de l'humanité, en progressant dans toutes ses branches, mais pas tous en même temps et avec le même rythme. Toutefois, c’est un effort qui cherche à élucider un même but final, que ce processus de la civilisation. Vico souligne la notion de Providence comme régulatrice de ce processus et, parfois, il parle de la religion comme de la principale force motrice de la concrétisation de l’humanité de l’homme (géants, héros, plèbes…) en tant que tel. Mais l’ambiguïté  réside dans le fait que l’histoire des gentils est plutôt une histoire qui s’exprime dans la sacralisation d’une divinité faite par l’homme lui-même avant même d’atteindre l’âge de l’homme. L’histoire selon Vico est un processus autonome de la civilisation. La civilisation, elle-même, est une et indivisible, même si elle se compose de trois éléments principaux, le  mythe, le droit et la langue, c'est-à-dire de la religion, de l'autorité politique et de la connaissance.

Toutefois, la critique vichienne est plus qu’une comparaison entre les deux conceptions des siècles ou de la vertu des époques, (anciennes et modernes) ; étant pleinement consciente des lacunes des fondements rationnels de la pensée moderne, représentées notamment dans la philosophie cartésienne, elle assigne un statut et une fonction constructrice à l’ensemble des facultés de l'homme et des éléments de l’histoire des nations. Par nation, nous dit Paolo Cristofolini, Vico entend simplement «l’homme en tant qu’il est civilisé et fait partie d’un ensemble, d’une évolution, d’une culture et d’un langage, mais aussi cet ensemble lui-même, cette évolution, cette culture, ce langage, qui sont les éléments constitutifs de l’humanité de l’homme.[44] » C'est-à-dire que cette notion n’a pas encore le fondement théorique pleinement appliqué aujourd’hui aux nations, mais simplement Vico en fait usage pour désigner la structure essentielle de la naissance de la vie commune en la traduisant dans des mots expliqués par l’étymologie : « humanitas vient pour lui de humari, inhumer ; les hommes ne sont pas tels, ils n’ont pas d’humanité s’ils ne sont pas socialement liés par trois pratiques essentielles : le mariage monogamique (la « vénus pudique », opposée à la « vénus canine »), la croyance en la Providence (qu’elle s’exprime sous la forme de la religion « vraie », ou sous celle de l’idolâtrie) et l’enterrement des morts. Et lorsque ces pratiques essentielles sont respectées, les hommes sont « nation », ils ont une naissance certaine, une génération commune, bref, une « nature commune. ».[45]

L’histoire  des idées et celle de la civilisation sont les deux voies par lesquelles l’homme de la République des Lettres peut éclairer l'histoire de l'humanité. Les pratiques de l’inhumation, du mariage monogamique et  la croyance en une autorité baptisée en tant que Providence sont les conditions qui structurent la naissance des communautés mais l’analyse vichienne ne se satisfait pas de la reconnaissance de ses débuts parce qu’ils n’expliquent pas la complexité du réel sociopolitique. « De là découlent, comme d’une grande source sortent plusieurs fleuves, l’origine des cités, qui s’élevèrent sur des familles formées non seulement des enfants, mais aussi des famoli (de là vient  qu’elles se trouvèrent fondées naturellement sur deux communautés, celle des nobles pour commander, celle des plébéiens pour obéir et c’est de ces parties qu’est composée toute l’organisation politique [polizia] ou droit des gouvernements civils).[46]» L’histoire, donc, est faite par l’effort des hommes à conserver ce qu’ils acquièrent par la loi et la lutte contre les injustices avec le temps et la conscience ; ce qui transforme la légitimation des droits en une affaire historiographique dynamique et non pas une hypothèse rationnelle statique.

C’est «dans la mesure où la propriété suit le pouvoir et où les famoli tenaient leur vie précaire de ces héros qui l’avaient sauvée en les accueillant dans leurs asiles, le droit et la raison voulaient qu’ils eussent  une propriété semblablement précaire, dont ils puissent jouir aussi longtemps qu’il plût aux héros de les maintenir en possession des champs qu’ils leur avaient attribués[47] C’est la lutte pour des droits équitables qui est l’expression de la transition de l’homme dans un monde où l’inégalité originaire du hôte propriétaire et du plébéien déshérité se confrontent dans un processus d’adaptation et puis de résistance qui peut, ou pourra, moduler les événements de l’histoire mentalement et réellement de sorte que la production des caractères ou des idées de chaque couche diffère de l’autre selon les modifications de leur mens et par conséquent suivant l’évolution ou la dégradation du réel vécu. La civilisation, donc, n’est telle que par la lutte pour la reconnaissance et non pas uniquement par le fait qu’elle est famille et rite de l’humanisation (enterrement des morts, mariage et croyance ou réglementation morale).

Mais alors, si Vico pense que le critère du salut transcendant est inexorable et tellement éloignée de l'ordinaire, il serait contradictoire de saisir la lutte pour la reconnaissance comme le mode de vie propre au processus historique de l'homme. La dignité humaine d’ailleurs ne peut être acquise que par la divulgation des lois de la cité. Vico  précise que dés le début des temps, à l’âge des dieux, « on peut dire à juste titre que Cérès découvrit à la fois le blé et les lois.[48] »  De cette indication on retient que le droit véhicule toujours la pratique de l’humanisation non dans un consensus conventionnel là ou la crainte et la terreur de la guerre de tous contre tous imposent volontairement la soumission de la majorité au Léviathan hobbesien en s’aliénant  et en se dissociant de sa liberté. Mais la nouvelle  Idée de l'homme comme  microcosme, qui reflète la perfection du macrocosme, implique que rien n'est étranger à l'homme et que la loi dans sa naissance est une expression du droit naturel des gente et non pas de l’individu ou du microcosme. Dans l’avant loi il n’avait ni micro ni macrocosme. Il y avait des bestioni errants dans la grande forêt. C’est l’époque la plus difficile à explorer vu l’absence de la parole et même des monuments qui guident l’historiographe dans l’élucidation de ces faits. Mais les témoignages des explorateurs contemporains de Vico, ainsi que quelque données physiques, astronomiques et surtout la nécessité théorique de commencer par le commencement des choses ont incité Vico à poser l’hypothèse concernant le monde antédiluvien ou le degré zéro de l’histoire. 

Néanmoins, Vico  rappelle à l’humanité une tradition égyptienne, c’est celle de la métaphore des trois âges de l’histoire, l’âge des dieux, l’âge des héros et finalement l’âge des hommes. « Nous allons maintenant, avec l’aide de ces lumières tant philosophiques que philologiques et en nous appuyant sur les dignités établies plus haut où il est question de l’histoire idéale éternelle, parler du cours que suivent les nations en procédant avec une uniformité constante dans toutes leurs coutumes variées et différentes, selon la division des trois âges que les Egyptiens disaient s’être écoulés autrefois dans leur monde, l’âge des dieux, l’âge des héros et l’âge des hommes.[49] » Pour commencer par le degré zéro de l’humanité, Vico décrit les premiers géants de la grande forêt en précisant leur bestialité dans le fait qu’en « cherchant  à échapper aux bêtes féroces dont la grande forêt devait abonder et poursuivant les femmes qui, dans cet état, devaient être sauvages, rétives et timides, ils s’égaillèrent de tous côtés pour trouver de la nourriture et de l’eau, les mères abandonnant leurs enfants qui durent peu à peu grandir sans entendre une parole humaine ni apprendre une coutume humaine, si bien qu’ils en arrivèrent à un état tout à fait bestial et sauvage.[50] » Ils étaient, donc, des pièces de la forêt qui les héberge. L’absence de la communication précédemment signalée est, dans l’œuvre de Vico, récapitulative de l’absence de l’humanité des bestioni. Il a fallu des siècles pour que l’avènement de l’humanité advienne en l’homme, certes catalysé par des événements cosmologiques tel que le déluge et le tonnerre. Mais cet avènement, même dans son caractère primitif, n’est pas orienté par la nature extérieure des faits cosmologiques mais par une attitude significative dans le sens que Vico dans son récit précise que ce catalyseur événementiel n’a pas transformé tous les bestioni en pieux mais quelques uns qui ont de l’intérieur senti la crainte et la curiosité ou l’étonnement. Néanmoins, Vico s’ingénie à attribuer à ces événements des explications physiques en puisant dans toute la science naturelle de son temps afin de rendre plausible l’hypothèse du déluge qu’il adopte moyennant ses lectures des textes canoniques.

Ainsi, un tel début tout à fait obscur de la naissance de l’étonnement et de la curiosité peut être expliqué comme étant un éveil simultané d’une conscience de l’ignorance et de l’aptitude à la connaissance. C’est le libre arbitre des pieux en qui l’étonnement et la curiosité se sont éveillés. En brûlant la grande forêt et en cultivant les premières propriétés, ils découvrent le sens du mot divini dont le caractère est « Jupiter [qui] naquit naturellement en poésie comme un caractère divin, un universel fantastique, auquel toutes les anciennes nations païennes ramenaient tout ce qui était relatif aux auspices[51]». C'est-à-dire en faisant les lois de la vie commune par le fait de canaliser les usages et les rites qui mèneront à la naissance de l’histoire proprement humaine. La civilisation n'est donc plus subordonnée à la providence, même dans l’âge héroïque, mais à une valeur positive dont la croyance devient un élément de civilisation entre autres ; et même si elle était considérée comme importante, l’homme aurait tout de même à faire des compromis avec les autres afin de ne pas perturber l'harmonie des différents éléments qui composent la civiltà. L’Homme demeure intimement lié à la nature et il doit se sentir particulièrement en harmonie avec sa propre histoire, dont il est le seul créateur, en tant qu’agent et de même comme bénéficiaire de cette même  civilisation. Celle-ci commença, selon Vico, « avec l’eau, dont la nécessité fut comprise avant celle du feu, comme on le voit dans les formules du mariage et l’interdiction, dans lesquelles ‘’aqua’’ vient avant’’ igni’’.[52] » Ce sont les détailles de cette science qui ressortissent des racines et des syllabes des mots appartenant aux langues anciennes et à partir desquelles Vico élabore la description au cours de l’histoire universelle. Il découvre simultanément la fonction médiatrice du langage, qu’il souligne à chaque moment de son élaboration en structurant l’histoire de l’homme tout autour.

Vico saisit le « soi-même » moderne comme étant une entité créatrice, non seulement de ses abstractions mathématiques, mais de l'acteur social, c'est à dire faiseur des arts et du langage, de la famille et de l’éducation, du droit et de la morale, en fin de tout ce que la civilisation peut signifier. C’est pour retrouver l’acte fondateur de toute civilisation possible que Vico entreprend sa fouille philologique auprès des majeurs de façon que  « l'étude des anciens n'était que le retour au sens primitif révélateur et fondateur des valeurs d'un peuple, source de sa poésie et de sa philosophie, en bref de sa culture. Au moyen de leur propre langue, les hommes pouvaient se rencontrer dans leur image originelle qui était au commencement de leur histoire.[53] »

L’universalité du cours de l’histoire des gente ne présente pas un prototype ou un processus typique par lequel on distingue une civilisation par rapport à une autre. Selon Vico, la civilisation humaine est une dans toutes ses variétés et chaque branche de la famille humaine peut et pourra atteindre l'apogée de la civilisation, sous la forme correspondante à son génie et c’est dans cette diversité des formes que l’universalité se concrétise en exprimant l’originalité de l’effort humain qui se fait en s’adaptant à des conditions spatio-temporelles et à un génie qui lui est propre. C’est à dire  qu’il n’y a aucune logique justificative de l’intervention étrangère pour la modélisation culturelle d’un peuple à un certain âge différentiel de la civilisation sous prétexte qu’il est  indigne et incapable de progrès culturel actif. Le discours vichien incite Plutôt ceux qui se voient possesseurs d’une histoire plus avancée à respecter et à comprendre la condition de leur propre développement naturel de façon à faciliter un développement structurellement similaire et réellement plus originaire de ladite civilisation à modeler. C’est l’étude de la géographie historique qui spécifie cette dynamique « afin de déterminer les temps et les lieux pour une histoire de cette sorte, c’est-à-dire quand et où ces pensées humaines naquirent et ainsi lui donner la certitude au moyen d’une chronologie et d’une géographie, pour ainsi dire, métaphysiques, qui lui soient propres, cette Science use d’un art critique, également métaphysique, qu’elle applique aux fondateurs de ces mêmes nations chez lesquelles bien plus de mille ans durent s’écouler avant pussent y apparaître les écrivains dont la critique philologique s’est occupée jusqu’ici.[54]» 

A la différence de la conception linéaire de l’évolution socio-historique qui caractérise la confiance aveugle de la part de ses contemporains en un progrès perpétuel des sociétés industrielles, Vico nous dit que les nations se succèdent selon une division en âges ou en cycles historiques. C’est à partir de l’étude des civilisations anciennes, et en analogie avec le cours de la vie de l’homme, qu’il réussit à rétablir une vision dont la structure paraît archaïque alors que le fond est plutôt prévisionnel à savoir son ajout de l’étape de la barbarie de la réfection à la conception cyclique de l’histoire. Cet ajout exprime et décrit un risque spécifique que l’homme déjà civilisé peut vivre. La conception cyclique de l’histoire, d’ailleurs, peut favoriser une compréhension possible des rythmes et des répétitions possibles dans les modifications des mentalités et des structures sociopolitiques qu’elles expriment. Mais la nouvelle découverte vichienne des ricorci est une alerte contre l’hégémonie de la raison  spéculative et de la chosification de la production humaine et de l’homme même qui centre son intérêt dans la promotion hiérarchique et donc à la classification des civilisations et des sociétés au lieu de se poser la question autour du rythme de l’évolution sociale des nations et de leurs spécificités les plus appropriées.

L’accessibilité de la conception cyclique de l’histoire réside dans le fait que celle-ci se présente sous une forme téléologique. Et c’est « en suivant un ordre jamais interrompu de causes et d’effets toujours présent chez elles [les sociétés humaines]*, par trois espèces de natures. De ces natures naissent trois espèces de coutumes ; de ces coutumes, on voit sortir trois espèces de droits naturels des gente ; en conséquence de ces lois, sont ordonnées trois sortes d’Etat civils ou républiques ; pour que les hommes venus à la société humaine puissent communiquer entre eux, toutes ces trois espèces de choses suprêmement importantes dont on vient de parler, trois espèces de langues sont formées et autant d’espèces de caractères ; ces choses sont justifiées par trois espèces de jurisprudences, assistées par trois espèces d’autorités et  par autant d’espèces de raisons [droits] dans autant d’espèces de jugements ; ces jurisprudences sont pratiquées dans trois sectes des temps [sètte de tempi] que professent les nations dans le cours entier de leur vie.[55] » Donc les coutumes, le droit et l’Etat dirigent la naissance, la jeunesse et la maturité et peut être l’extinction des nations à travers l’agir langagier qui représente selon le temps réel des nations, le modèle et la représentation du monde que fait un peuple de son devenir. C’est ce qui permettra à l’homme dont les facultés sont pleinement développées de comprendre ce qu’il fait de son passé et de son avenir.

Cette conception  téléologique, que nous pourrions voisiner avec le processus normatif propre à l’homme comme être de la société et dans lequel les rouages des biographies sont canalisés. Et à l'encontre de l'autonomie octroyée à la dimension technologique produit synthèse de la raison spéculative et de la société aliénée du Léviathan hobbesien, Vico affirme l'autonomie culturelle des produits intersubjectifs de la communication par le biais du langage. Ainsi pour comprendre le faire de l’homme, il est inévitable pour le philosophe et le juriste de comprendre l’histoire des idées humaines à travers l’histoire des langues et des institutions humaines. Ce sont les témoins les plus certains vu leurs résistances à l’effet du temps et la vanité  humaine. La langue sauvegarde sa jeunesse enfouie dans la mémoire de l’homme. Les institutions et les monuments indiquent l’état de la civilisation et l’esprit des gente dans le sens que la finesse et le grotesque des monuments expriment leur âge à travers le temps et l’exemple le plus explicite cité par Vico est celui des gigantesques temples pharaoniques en comparaison avec les fines statuettes grecques. Vico dit concernant cette comparaison : « Quant à la magnificence de leurs monuments et de leurs pyramides, elle pouvait bien être née de la barbarie, qui s’accorde avec la grandeur : c’est pourquoi la sculpture et la fonderie égyptiennes sont considérées encore aujourd’hui comme extrêmement grossières. Car la délicatesse est le fruit de la philosophie.[56] » Les premières,  donc, expriment la secte du temps héroïque égyptien et l’autre transpose la finesse de l’esprit philosophique qui s’est développé grâce à l’échange et l’évolution de l’aristocratie d’Athènes vers un autre âge qui est propre à l’humain dont les facultés sont plus développées et dont les valeurs deviennent plus civiles.

 

Conclusion

 

La Querelle des Anciens et des Modernes pose à Vico le dilemme du devenir humain en prétendant le dépassement du problème de la maîtrise du savoir humain. Les Anciens et les Modernes se querellent à propos des données statiques prêtes à être classées comme l’Iliade et l’Odyssée. Alors que l’ingéniosité d’Homère cristallise la genèse  progressive de l’esprit humain, dans la formation des concepts vichiens, il y a une  prévention et un traitement d’une fissure qui commence à être effective entre la créativité sous sa forme culturelle et le réel humain. La conceptualisation réalisée par la Scienza nuova présente la découverte du vrai Homère comme étant l’appropriation  de l’esprit de sa propre genèse créative non dans le sens esthétisant mais dans celui du faire culturel le plus vital. Cette vitalité se traduit d’une manière plus explicite au niveau de la théorie de la connaissance quand il énonce le principe de la convertibilité du verum et du factum. Ce principe transpose l’agir humain à un niveau similaire au Verbe de façon que la scission entre l’agir et l’idée s’éclipse pour déceler une vanité trompeuse de la raison mécaniste chimériquement simpliste. Afin de mettre en évidence la totalité contextuelle et complexe que représentent le sens et le réel humains, le concept de l’histoire  commune des nations concrétise la visée de la philosophie vichienne dans laquelle les unités de mesures prennent l’allure d’un dynamisme propre  aux actions et aux âges de la culture des gente.

Ainsi  l’alternative élaborée par la pensée vichienne paraît à travers les trois concepts clefs traités dans ce chapitre, comme étant une philosophie critique du XVIIIe siècle bien que cette critique n’obéit  ni à la méthode cartésienne ni à la logique de Port Royal, non plus encore à la philosophie pratique fille du droit naturel. Plutôt, elle ne dénigre pas le sens commun, la tradition et tout l’ancien, d’autant qu’elle sillonne les multiples champs cognitifs de l’humain pour découvrir des éléments de réponse à la scission entre la République des lettres et le sens commun, entre la raison et les facultés subalternes, et puis pour combattre la différenciation qui commence à habiter l’esprit occidental concernant les préjugés d’une prétendue supériorité par rapport aux autres civilisations et cultures. En considérant la découverte du vrai Homère comme une profonde fouille en la créativité poétique, Vico désigne la primauté du rôle du langage dans la transmission du certain. Un savoir-faire authentique est approfondi afin d’être pensé dans les termes de fondateur des nations parce qu’il traduit la convertibilité nécessaire entre le faire et le vrai. Ainsi la scission, entre la théorisation et la pratique ou l’agir stratégique et communicationnel et la critique de l’histoire commune des nations systématisent la philosophie vichienne en une chaîne des raisons irréductible à un champ de savoir traditionnellement désigné. Plutôt la philosophie vichienne se transforme en une histoire générale des idées humaines et en une généalogie des préjugés de la pensée ancienne et moderne. Ce caractère générateur des recherches multidisciplinaires est appréhendé et désigné en tant qu’ambiguïté propre à la Scienza nuova. Néanmoins le titre même de l’œuvre nous invite à penser sa scientificité et il évoque une nouveauté qu’on attribue historiquement à Galilée et à Francis Bacon. Comment, peut-on se rappeler des deux grands novateurs de la science moderne en lisant une œuvre qui traite de la science antique et la réhabilite en quelques lieux ? Dans quelle optique peut-on parler de la Scienza nuova comme étant une réponse scientifiquement novatrice par rapport au discours scientifique régnant lors de la Querelle des Anciens et des Modernes ? Donc quels sont les critères de cette science vichienne et quelle est sa portée ?   


Chapitre II- La « Scienza nuova » et la science des Anciens et des Modernes

 

Introduction

 

Si l’histoire des nations doit satisfaire un intérêt de connaissance nécessaire à  l’homme, alors on doit la reconstruire en conformité avec les critères scientifiques adéquats. Or cette condition ne pourrait pas être satisfaite si l’histoire demeure livrée  uniquement aux hommes de lettres, aux généalogistes et à la mémoire collective. Afin de reconquérir le champ des études historiques et anthropologiques, il faudrait les libérer des erreurs arbitraires et des explications non historiques et subjectives des assomptions nationales injustifiées. D’ailleurs les conceptions mutilées de l’histoire n’ont engendré que des erreurs et cela est à remarquer à tous les niveaux du discours qui s’interroge sur l’homme, sa culture et sa nature. Une vision plus scientifique et mieux argumentée permettrait à l’homme de bien distinguer l’erreur des philosophies modernes qui confondent dans leurs systèmes le « droit naturel »  avec le droit civil ou le « droit naturel des gente » qui a pris naissance dans le temps.

L'implication de ce qui est révélé par Vico dans ses réinterprétations "scientifiques" du discours traditionnel, doit transformer ce discours en une source primaire des descriptions des données susceptibles de vérifier la véracité des prétentions de tout discours à venir et qui a pour objet l’homme, la culture et la civilisation. Une utilisation scientifique de telles données doit donc être basée sur des principes méthodologiques permettant à l'historien, à l’anthropologue et au théoricien de la politique de tenir compte des altérations « naturelles » et de les corriger. C’est ainsi qu’ils récupèreraient la voie d’une vision originelle de l’homme et de ses « modifications » faute de pouvoir affirmer le progrès des temps modernes ou la suprématie des temps anciens.

Ce qui est naturel dans les altérations de la compréhension de l’action humaine est, selon Vico, une inclination naturelle à juger l'inconnu et l’éloigné d'après l'analogie avec "ce qui est familier et à portée de la main." Cela mène à deux sortes d'erreurs : (1) La première, "la vanité des nations" : c’est la tendance d'écrire l'histoire d'un point de vue nationalement influencé. De là les revendications incompatibles de la plupart des historiens dont les nations propres avaient fait l'histoire la plus vieille ou avaient été responsables de l'introduction d’une part des pratiques civilisées dans le monde.  (2) La seconde, "la vanité des savants" : c’est la tendance de supposer que l'on connaissait toute la connaissance contemporaine et qu’il est tout à fait légitime d’interpréter l'histoire des premiers essais de l’humanisation de l’homme à partir de ce qu’on connaissait.

Vico a présenté un système argumentatif de ce type de rationalité dans la  Scienza Nuova  après avoir épuisé la critique du rationalisme cartésien dans ses autres œuvres[57] ; ce qui représente un acquis qui lui a permis de passer à une étape de reconstruction théorique plus systématique. A ce niveau Vico a besoin de rénover non seulement la lecture de l’histoire des nations comme champs d’investigation en friche, mais de fonder encore une lecture possible de l’œuvre humaine. Bien que l’utilité d’une telle entreprise puisse être primordiale pour une nouvelle compréhension de l’homme, les outils et les procédures ne devraient pas s’assimiler épistémologiquement   à toute autre science déjà construite telles que la physique ou la chimie, ou même l’anatomie humaine vu que l’objet de cette science est l’homme dans ses dimensions matérielles et immatérielles.

Quelles seront alors les caractéristiques de la science vichienne ? Quelle est la nature de la connaissance de l’action humaine ? Est-ce que l’homme et l’histoire pourraient être l’objet d’une science ?

 

2.1-Les Nouvelles conditions de la scientificité

 

Au cours du développement de sa critique Vico donne une indication concise de l’importance d’une solution apportée aux études des faits socio-historiques vu que les études de ce genre, jusqu’à l’établissement des nouveaux principes de la science, «ont échoué à moitié les philosophes qui ne donnèrent pas à leurs raisonnements une certitude tirée de l’autorité des philologues et les philologues qui ne se soucièrent pas de donner à leur autorité le caractère de la vérité grâce au raisonnement des philosophes ; s’ils l’avaient fait, ils auraient été plus utiles aux républiques et ils nous auraient prévenu dans la conception de cette Science. »[58] D’une part, les théories philosophiques ont développé des modèles purement hypothétiques de la nature humaine et de la société ce qui les a amené à ne se prononcer que sur l’universel en se détachant totalement du particulier. Alors que le particulier est l’outil et la preuve ou l’exemple qui vérifie l’universel.  D’autre part, les philologues ou les littérateurs de l’histoire nous ont rapporté des faits divers éparpillés et incohérents qui ne peuvent être acceptés comme une connaissance fiable. Et à la lumière de l’évolution de la critique vichienne on s’aperçoit, avec Léon Pompa,[59] que les charges contre ses adversaires  deviennent de plus en plus compréhensibles. La philosophie a été en effet pour longtemps concernée par le développement a priori des modèles de sociétés qui ne peuvent pas dériver des faits particuliers qui font les enjeux de l’histoire. Alors que les historiens ont produit des discours arbitraires de façon qu’on ne puisse pas admettre qu’ils fassent référence.

L'implication de cette  mise en place des philosophes comme des philologues est cruciale pour l’échafaudage des nouvelles conditions  de la connaissance scientifique qui ne peut dorénavant être réalisée que par le biais d’une coopération étroite entre les discours qui ont pour objet l’étude de l’homme. Et ce sont les enjeux de la nature de la question et l’utilité de la réponse pour le genre humain qui dicte la nécessité d’une relation de complémentarité et de contrôle mutuel entre des connaissances empiriques fragmentaires et d’autres abstraites et universelles de la nature humaine et de sa pratique. Une complémentarité qui est activée par la méthode comparative proposée par Vico.[60] Cette méthode est une procédure qui  témoigne de la transplantation ou de la greffe qu’a fait Vico dans le corps de la science de l’homme pour l’ascendance de la connaissance de la civilisation humaine vers la scientificité et c’est E. Durkheim qui formule la reconnaissance envers la méthode vichienne en disant « la méthode comparative est l’instrument par excellence de la méthode sociologique. L’histoire, au sens usuel du mot, est à la sociologie ce que la grammaire grecque, ou la grammaire latine, ou la grammaire française, traitées séparément les unes des autres, sont à la science nouvelle qui a pris le nom de grammaire  comparée[61]

La comparaison peut nous révéler que les arguments de la pensée philosophique ont eu la rigueur et la cohérence nécessaire pour donner forme à la science, mais voir qu’ils ont été présentés comme étant purement conceptuels, ils n'ont fourni aucune base pour la connaissance des faits particuliers. Alors que les philologues ont produit des conclusions de faits particuliers, leurs méthodes et leurs  justifications n'ont pas été adéquats de façon que leurs discours fasse perdre à ses objets toute objectivité voire même tout sens positif et c’est pour cela que le discours  des uns et des autres a été un foyer des « invraisemblances, absurdités, contradictions, impossibilités de ces opinions. [62]»

La nouvelle science de la Scienza nuova, cependant, produira un système de pensée dans lequel les vérités universelles de la philosophie et les faits particuliers de la philologie seront en collaboration pour produire une connaissance «des choses humaines et des choses divines». Vico décrit cette nouvelle relation en proposant que la philologie doit être authentifiée par la philosophie. Car en saisissant le certain, la philologie le vérifie, elle l’examine en le comparant aux témoignages, aux documents, aux monuments. Après quoi la philosophie pense la logique interne qui fait les similitudes. Celles-ci font la plateforme de toutes les histoires particulières[63], de sorte que la philosophie remplisse l’exigence de la science qui a toujours un rapport avec ce qui est universel et éternel, comme le précise la définition aristotélicienne. Collaborer avec le philologue qui traite de ce qui est créé par le choix humain pour répondre à une exigence de l’universel est un rapport qui est apparemment voué à un discours philosophique impertinent. Alors comment Vico a-t-il revu ce rapport paradoxal de l'universel et l’éternel au particulier et au contingent avec la prétention de découvrir la pertinence ?

Léon Pompa réagit à un tel problème en disant que la relation entre l’universel et le particulier est autant plus cruciale qu’elle est ambiguë.[64] Mais pour comprendre la présupposition de Vico, il faut transgresser les références vichiennes et être conscient que là où Vico reprend la définition aristotélicienne il est le moins aristotélicien parce qu’il lui serait impossible de dériver une science « nouvelle » à partir de la théorie des sciences d’Aristote qui se fonde sur le formalisme de la syllogistique. [65] D’ailleurs, Vico considère que c’est la méthode de Bacon, qui est « la plus assurée »; c’est bien entendu la méthode du cogitare-videre, du « penser - voir »  selon laquelle Vico distingue les « preuves philologiques [qui] servent à nous faire voir dans les faits les choses que nous avons méditées en idée relativement à ce monde des nations, selon la méthode employée par Verulam [Bacon], qui est ‘’cogitare-videre’’ ; ainsi, grâce aux preuves philosophiques données d’abord, les preuves philologiques qui leur succèdent voient leur autorité confirmée par la raison en même temps, qu’elles confirment la raison par leur autorité.[66]» Donc cette distinction se fait entre l’ordre de la connaissance philosophique et l’ordre des données philologiques. C’est-à-dire établissement d’une hiérarchie entre la nature de la preuve philosophique et celle de la preuve philologique. La première médite « en idée ce monde des nations. » C'est-à-dire qu’on retrouve ici le concept de la « preuve par des raisons » ; la deuxième sert « à nous faire voir dans les faits » les choses que l’on a méditées en idée ; de la sorte on peut joindre les deux bouts de l’expérience humaine à travers l’expression de la preuve, par des faits, qui supporte le volet expérimental et intellectuel effectivement.[67]

Et  un tel raisonnement peut justifier la revendication vichienne d'avoir produit une science nouvelle et de maintenir la supériorité de la pensée historique et de la philosophie effective. La nouveauté  se fait aptitude de savoir et de voir simultanément et sans exclusion. Mais doter la philosophie de la vue et la philologie de la raison est-il possible sans causer de tort à l'un ou à l'autre des activités ?  Selon la Scienza nuova et lors de ses argumentations par l'exemple, Vico nous enseigne que l'épanouissement de la rhétorique et de la topique vient combler le manque de la science formelle et rationnelle. Par contre l'ère de la philosophie et de la raison tend naturellement à réduire et à défavoriser  les arts fictifs et les belles lettres comme Vico l’annonce dans l’élément XXXVI « L’imagination [fantasia] est d’autant plus robuste que le raisonnement est plus faible [68]». Ainsi le contraire est logiquement vrai. Mais cette argumentation comme le démontre Hayden V. White[69] n’est pas seulement théorique vu que Vico vivait vraiment une situation qui justifie l’ambivalence. De son temps, il ne pouvait pas se décider par quelle méthode on pourrait comprendre cette relation entre la philologie et la  philosophie. D’une certaine façon il éprouvait de l’orgueil dans l’achèvement philosophique de sa propre civilisation, de l’autre il trouvait dans le savoir philosophique un symptôme de la décadence des facultés poétiques dans une civilisation enracinée dans une culture poétique. Donc le triomphe de l’esprit philosophie était un indicateur d’une société  qui remplace l’intérêt de la connaissance par un intérêt marchand. C'est pour cela qu'un acte concluant,  risque de passer sous silence les impacts d’un tel enjeu sur la méthode  que Vico adopte pour nous faire voir comment en réorien tant les fins et les enjeux du savoir on oriente notre conception d’une théorie de la connaissance vers un nouveau dessein.

Cependant une telle situation concurrentielle entre "les facultés de l'âme" ne peut pas être utile, selon Vico, sans une certaine conception adéquate de l'histoire humaine, c'est-à-dire, de la véritable origine de toute conception humaine du monde. Mais « ce monde civil a certainement été fait par les hommes et par conséquent on peut, parce qu’on le doit, trouver ses principes à l’intérieur des modifications de notre propre esprit [mente] humain.[70]» Alors c’est à l’homme de se connaître, de limiter sa subversion naturelle ou de la convertir dans le sens de la vertu qui lui est utile et pour ce faire il doit mobiliser tous ses outils et toutes ses forces. Mais qu’est ce que l’homme selon Vico ?

Le cogito cartésien qui annonce l’émergence d’une culture de l’individualisme nous dit Vico, n’est que solipsisme et inconséquence. On ne peut, selon lui, aborder la nature de l’homme qu’à travers ces œuvres socialement conditionnées au moyen d'une double différenciation entre l'homme en tant qu’individu et l'homme à travers ses relations sociales diverses, c'est-à-dire considéré conformément aux descriptions de ses relations sociales et ses rôles. Et à un autre niveau, la différenciation se fait au sein de sa propre histoire, selon les époques et selon l’équilibre atteint entre les couches sociales. C’est un travail qui se fait sur un plan microcosme et en même temps macrocosme.[71]Considérer à partir de cette totalité dont le point de départ est  une nature « déchue » qui se manifeste au niveau de l’intériorité de l’homme en tant qu’un individu et de l’extériorité dans une société, la philosophie ne peut pas continuer à considérer « l’homme tel qu’il doit être » de façon qu’ « elle ne peut donc être utile qu’au très petit nombre de ceux qui veulent vivre dans la république de Platon et non se plonger dans la lie de Romulus [72]». Alors que le modèle du champ juridique fournit à la philosophie le modèle de considérer  l’utilité comme cruciale. Sans ce modèle, la philosophie devient un discours détaché de l’opinion publique qui doit être sa raison de vivre et son champ d’influence. Ce modèle nous dit Vico est «  la législation [qui]* considère l’homme tel qu’il est [73]» c'est-à-dire  faible et déchu mais en même temps apte à convertir ses vices en vertu grâce à la législation qui a su trouver le cadre là où le respect et l’intériorisation de l’autorité des lois n’est pas contestée arbitrairement et c’est au philosophe qui s’interroge sur la nature humaine de s’impliquer dans cette conversion des vices en vertus. Pour se rendre utile au genre humain le philosophe « doit relever et soutenir l’homme déchu et faible, sans faire violence à sa nature ni l’abandonner à sa corruption.[74] » Sans remplir cette tâche, la philosophie n’aura pas d’auditeurs, et sans les auditeurs elle n’aura non plus d’intérêt pour l’humanité.

 Le rôle du philosophe donc doit s’intégrer dans une vue globale des besoins de l'homme objet central de sa recherche. Vu que la conversion ou les perfections souhaitées de la nature humaine ne peuvent avoir lieu qu’au sein d’un environnement sociopolitique. Ainsi la prudence exigée de la pratique philosophique se justifie par une prévention qui nécessite la prise en considération du règne du sens commun sur le jugement de l’interlocuteur du philosophe. Ce non philosophe procède selon la définition vichienne du sens commun en suivant « un jugement sans aucune réflexion, senti en commun par tout un ordre, par tout un peuple, par toute une nation ou par le genre humain tout entier.[75] » Il est important de noter encore que cette quête de perfectionnement même si elle est personnalisée et volitive, elle est dans ce monde des nations une voie qui utilise les fins étroites de l’homme comme des moyens à des fins plus larges. Et c’est compte tenu de cette constatation que Vico asserte qu'on ne peut pas expliquer le développement d'une structure sociale complexe en envisageant uniquement les fins consciemment  suivies ou souhaitées par l'homme et c’est la raison pour laquelle Fosco Mariani–Zini[76] juge que l’originalité de Vico se manifeste clairement dés que le lecteur se confronte avec une tentative de saisir une coprésence de l’action humaine qui fait l’histoire, et de l’histoire qui fuit la maîtrise instantanée de l’homme.

Le problème de la maîtrise des fins de l'histoire est un problème qui traduit le décalage ou le [déphasage] entre le moment de la manifestation de l’idée et le moment de la réalisation du fait. D’ailleurs Robert Caponigri a consacré un ouvrage intitulé  « L’idée et le temps : la théorie de l’histoire chez Giambattista Vico »[77] afin d’étudier le problème fondamental de la philosophie de Vico, celui des relations possibles entre la manifestation de l’idée et l’effet du temps. Il considère que le problème  philosophique de l’histoire  comme il a surgi dans son double contexte du droit naturel et du projet d’une science de l’homme s’est déterminé dans la philosophie de Vico.

Le temps est le principe formel des structures positives d'une société et de sa culture, c'est lui qui définit la plus grande partie de l'ordre qui la structure. Les sociétés apparaissent dans une succession temporaire en manifestant la variété et la diversité qui sont des transformations, et un dynamisme qui caractérisent la positivité d'être dans le temps. A l'opposé de cette réalisation, l'idée définit cette plénitude ou cette perfection dans un instant bien déterminé, ce qui peut apparaître comme l'implication de ce dynamisme temporel  positif et à l'encontre duquel le processus de la formation concrète des structures de la socialité et de l'humanité peuvent être évaluées.

De là on peut affirmer avec Vico que l’idée s’est manifestée bien en retard par rapport à son objet qui est le fait ou le concret qui s’est fait une histoire prête pour être évaluée par la philosophie qui « donne forme »  à l’idée. Si on étudie les strates du développement d'un jeu des institutions sociales en se référant aux classiques  latins ou grecs ou encore arabes, on trouvera que ces institutions sont considérées comme étant le résultat fortuit d’une activité individuelle d’un héros ou d’un roi ou même d’un sénat. Mais ce que Vico remarque, en travaillant sur ses mêmes classiques, est que cette description des faits ne peut être plausible, vu qu’une simple comparaison des histoires des différentes nations nous permet de découvrir des ressemblances entre  les institutions des différents peuples et les ordres par lesquels celles-ci se sont développées. Donc l’étude du cours de l’histoire des nations nous apprend à reconnaître que pour l’explication des effets semblables, ou phénomènes, on doit associer des causes semblables, ou explications.[78]

Toute autre compréhension des faits historiques comme étant des faits isolés ou singuliers et individuels est atteinte à l’humanité de l’homme. Vico insiste, dans le paragraphe 1108, sur la contradiction entre l’action civilisatrice et l’individualisme. Il explique que le fait de poser que « les hommes ont eux-mêmes fait ce monde des nations » ne se contredit pas avec la vérité qui affirme que ce même monde est « sans aucun doute sorti d’un esprit [mente] souvent différent, parfois tout à fait contraire et toujours supérieur aux fins particulières que les hommes s’étaient proposées » parce que les faits historiques nous confirment que les fins des hommes prises individuellement** sont des fins limitées à leurs propres utilités qui n’expliquent en rien le processus de l’histoire des nations. Ce sont les fins de l'action immédiate de l'homme qui servent de moyens pour des fins médiates plus vastes, afin de conserver la race humaine sur cette terre. «Car les hommes veulent jouir du désir bestial et abandonner leur progéniture et de là ils créent la chasteté des mariages, d’où naissent les familles ; les pères veulent exercer sans modération les pouvoirs souverains paternels sur les clients et ils les assujettissent aux pouvoirs souverains civils, d’où naissent les cités […] Ce qui fit tout cela, ce fut un esprit [mente], puisque les hommes le firent avec intelligence.[79] »

Et d'ailleurs le "mente" agit selon un libre arbitre humain qui n'est pas tout à fait conscient de soi-même, puisque la fin de son action dépasse ses propres utilités pour atteindre les utilités du genre. Et son action n'est pas arbitraire puisqu'elle est conditionnée par  la contrainte institutionnelle. Le libre arbitre, par conséquent, n'est pas absolu il est toujours conditionné par un environnement institutionnel dans lequel nait l'ensemble des besoins et des utilités de l'homme et selon lesquels il choisit sa voie tout en sachant qu'à chaque type d’action correspondent  les mêmes conséquences. Vico multiplie les exemples dans ce sens pour préciser que l'homme n'a jamais cessé d'agir au profit de "sa propre utilité " comme il identifie différemment les utilités et les valeurs selon les temps et les diverses strates sociales. Quand l'agent est un père, ses intérêts sont identiques à la sauvegarde des intérêts familiaux; mais quand il est un citoyen, il adapte ses intérêts avec ceux de sa ville. Cela veut dire que l'agent ne peut pas éviter de s'identifier à sa situation institutionnelle et que son rôle est déterminé par sa position au sein d'un groupe. Il est toujours conditionné par les institutions qu'il a créées.  Donc l’efficacité de la notion de providence se manifeste essentiellement dans l’autorité qu’exerce le sens commun sur l’individu pour le contraindre, sans le brusquer, à assimiler son mode d’action à celui du bien de la communauté et de ses institutions.

 Alors le choix humain est conditionné par le sens commun, selon un jugement non réfléchi, conformément à la définition de Vico de l’élément XII. Et quand on établit un lien entre cette définition et le paragraphe 132 qui affirme sans aucune ambiguïté que « la législation considère l’homme tel qu’il est, pour en faire bon usage dans la société humaine : c’est ainsi que de la férocité, de l’avarice, de l’ambition, qui sont les trois vices répandus dans tout le genre humain, elle fait la malice, le commerce et la cour et, ainsi, la force, la richesse et la sagesse des républiques ; et de ces trois grands vices, qui pourraient certainement détruire la race humaine sur la terre, elle tire la félicité civile .[80]» Ce qui annonce que la législation, même la plus servile, sait remplir le rôle de donner l’ordre en conformité avec les besoins ceux qui l’ont édifiée. On peut déduire que le sens commun est canalisé par le droit. Donc, la jurisprudence est le domaine du savoir où l’homme social est évalué à sa juste valeur et c’est spécialement le droit qui traduit le contenu des préoccupations du groupe. Ce qui veut dire que la jurisprudence et son élaboration en texte de lois expriment des besoins ou des utilités propres à une conjoncture précise dans le temps et au sein d’une appartenance commune à une classe entière. On comprend que le jugement dans le sens commun soit non réfléchi  vu qu’il est une action immédiate pour répondre à des besoins vitaux qui sont par conséquent organisés par un code général qui règle les priorités et les redevances. Et c’est dans ce sens qu’on saisit, comme l’a dit Robert Caponigri,[81] l’ancrage d’un lien obligatoire entre les théories du droit naturel et la possibilité d’une science de l’homme qui peut se décider. L’erreur des théories politiques de l’humanisme classique apparaît à la critique de Vico comme une tentative d’établir cette idéalité apodictique, indépendamment de l’ordre temporel dans lequel les formes concrètes des sociétés apparaissent. Cette tentative accélère  en premier lieu le processus de l’aliénation des intellectuels et produit des visions du monde qu’on peut classer comme étant idéalistes.  Mais le plus désastreux de cette vision unilatérale est la distorsion de l’idée  qu’on se fait de  la société et du caractère de ses formes concrètes. La science de l’homme comme les théories du droit ne peuvent être déterminées ou établies indépendamment.

Ainsi l’axe essentiel qui étoffe cette étude archéologique des modifications de l’esprit humain est,  selon  Vico, la compréhension qui donne sens au quotidien social de sorte qu’elle explique, à elle seule, les attitudes identiques des différentes personnes qui se trouvent dans des situations similaires bien qu’elles soient réellement tout à fait étrangères dans le temps et l’espace. Il infère d’un tel axe l’essence historique de tous les modes de l'activité humaines en présupposant que « des idées uniformes, nées  chez des peuples entiers inconnus les uns des autre, doivent avoir un fond commun de vérité.[82]» Une uniformité des idées, qui prennent naissance dans l’histoire de l’homme. Elle représente ce qu’il nous faut établir pour prouver que le choix des hommes est effectif ; mais ces fins sont aléatoires sous l’effet de l’interférence entre plusieurs éléments et principes. Vico a détecté ce déphasage entre l’individuel et l’universel, l’effectivité  de l’action et la passivité de l’effet. L’idée est médiate par rapport au temps lors duquel l’action s’effectue.

La méthode comparative et critique, lors de son établissement des preuves, lui a confirmé  la possibilité d’une science de l’homme essentiellement historique ou une « science raisonnée de l’histoire.» Quels sont les traits caractéristiques qui lui ont permis de s’approprier une nouveauté qui a été déjà attribuée à la science de son compatriote Galilée et à l’Organon de Bacon ?

 

2.2-La nouvelle science de l’homme

 

Dans son « Avant-propos » Michelet écrit « la méthode suivie par Vico est d’autant plus importante à observer qu’il n’est peut-être aucun inventeur dont on puisse moins indiquer les précédents. Avant lui, le premier mot n’était pas dit ; après lui, la science était, sinon faite, au moins fondée ; le principe était donné, les grandes applications indiquées.[83]» L’éloge d’un disciple, qui a admis que Vico était son « unique maître », a peut-être son fondement dans l’œuvre vichienne. La première manifestation de ce fondement est que Vico est précurseur d’une science de l’homme, non en tant qu’objet réifié tel qu’on peut l’observer dans l’anatomie et la sociométrie ou même dans la notion philosophique de l’homme universel et cosmopolite, mais l’homme qui acquière son Etre et sa distinction à travers ses œuvres, et cela depuis la naissance mythique de l’action. Ce qui garantit une seconde naissance de la notion de l’humanité comme étant non pas une idée prête à l’usage mais comme une idée de l’homogénéité et de l’unité de genre humain qui ne lui était pas révélé comme un produit naturel durant une expérience prudente ou comme un résultat des horizons ouverts et d’un sort modulé qui garantit pour l’homme une meilleure connaissance de soi. Ainsi il nous annonce que même si théoriquement les expériences prolongées apparaissent comme étant les résultats inévitables d’une conception de l’humanité comme un tout ou d’une naissance de la science de l’homme, la réalité dément catégoriquement une telle attente.  Il est encore inadmissible de considérer l’idée de l’unité de genre humain comme une idée innée, universelle et éternelle,[84] mais comme une science à inventer et bien des obstacles logés dans l’esprit de l’homme sont à lever.

Et puisque selon Vico « les doctrines doivent commencer là où commencent les matières dont elles traitent.[85] », le premier fondement de cette science peut être « le droit des gente » parce que c’est en moyennant l’étude de l’ordre des sociétés humaines que Vico  peut fonder ses présuppositions et ses principes les plus nouvelles par rapport à la philosophie politique de son temps. Les philosophes et les philologues, d’avant Vico, ont considéré que l’homme est depuis l’origine doué de raison à l’image de celui qui s’est affiné avec le temps et qu’ils reconnaissent en leurs présents. D’ailleurs ils ont même attribué à l’homme créateur du mythe une sagesse absconse qu’ils ont tenté de comprendre en utilisant les méthodes en vigueur.

Á cette question Vico répond par « cette dignité [qui]* réduit à néant toutes les opinions des doctes relatives à la sagesse incomparable des Anciens ; elle convainc d’imposture les oracles de Zoroastre le Chaldéen et d’Anacharsis le Scythe, qui ne nous sont pas parvenus, le Pimandre d’Hermès Trismégiste, les Orphiques (ou vers d’Orphée) et les Vers dorés de Pythagore, comme en conviennent tous les critiques les plus avisés ; en outre, il censure l’absence de pertinence de toutes les significations mystiques attribuées par les doctes aux hiéroglyphes égyptiens et les allégories philosophiques trouvées dans les fables grecques .[86] » Cette dignité démentit même les interprétations esthétisantes[87] et conservatrices[88] de la lecture de la première Antiquité par Vico. S’il a traité les premiers âges de l’humanité en tant  qu’«âge héroïque du premier monde » ce n’est pas parce qu’il considère qu’ils symbolisaient une application parfaite de la justice ou de la liberté ou quelque autres principes de la dignité de l’homme mais parce que l’homme du « monde primitif » a œuvré pour la naissance de tels principes, pour l’acquisition d’une naissance de l’humain. Et ce que l’homme rationnel depuis les grecs a hypothéqué chez les anciens c’est leurs conjonctures tout à fait différentes de celui qui est déjà civilisé et en omettant les moyens par lesquels ils se sont humanisés. Ainsi une reconnaissance de la différence entre les origines de la civilisation et la civilisation dans ses étapes les plus avancées guide Vico vers la reconsidération de l’héroïsme à partir d’une critique des notions clés des conceptions régnantes : peuple , roi , liberté. Par peuples héroïques, les philosophes ont entendu des peuples comprenant aussi bien les patriciens que les plébéiens au lieu de ceux qui étaient des propriétaires terriens, par rois, des monarques au lieu de tout ce qui avait une connaissance de la lettre des lois, par liberté, la liberté populaire au lieu de la liberté seigneuriale ; « ils ont d’autre part appliqué à ces mots trois idées propres à leurs esprits affinés et instruits, la première, celle d’une justice raisonnée selon les maximes de la morale socratique, la seconde, celle de la gloire (qui est la renommée obtenue par les bienfaits envers le genre humain) et la troisième, celle du désir d’immortalité[89]. Ces erreurs faussent la voie qui nous mène à l’essence des valeurs humaines et, qui est celle de leurs naissances à travers les luttes des strates sociales pour acquérir l’« équité naturelle » vu que « la nature [natura] des choses n’est rien d’autre que leur naissance [nascimento] en certain temps et de certaines manières [guise] ; tels sont les temps et les manières, telles et non autres naissent toujours les choses[90]» Et cette naissance, comme il est dit dans ce paragraphe, se fait, selon un « certain temps » et une « certaine guise » qui sont propres à divers contextes institutionnels. C’est le contexte qui doit être expliqué avant d’évaluer les institutions régnantes. Vico est donc mené, pour présenter ce qu'il pose en principe comme un niveau suprême de l’explication, "les modifications de [mente] de l’homme," c'est-à-dire, les propriétés les plus générales de l’action humaine et les modes ou les manières propres à la pensée humaine, de ses attitudes et de ses croyances sur lesquels se fait son effectivité en tant qu’homme.

Le rapport entre les modifications « des sujets » de l’action dans l’histoire et les institutions sociales est exposé comme étant constitué de deux conditions distinctes, la modification de la conscience et le temps de cette modification. Ils sont tenus pour des facteurs de création de l’environnement nécessaire et autosuffisant pour n'importe quelle institution; et non seulement ils déterminent la nature de l'institution, mais encore ils nous lèguent des preuves pour découvrir  cette nature. Ces preuves sont « les propriétés inséparables des sujets [91]» c'est-à-dire des preuves imbriquées dans la forme de la science et de la conscience humaines. Donc l’homme qui renie l’utilité des études historiques et des modifications de l’esprit humain se nie soi-même et se désintègre de l’humanité. Dans le cadre historique, la conception de l’homme s’unifie avec son œuvre et  intègre la civilisation comme une propriété inséparable de ses perspectives. L’histoire de la civilisation englobera de l’autre face l’histoire du genre humain et des idées humaines qui se sont forgées autour de l’idée régulatrice de la providence. Mais comme on l’a déjà souligné, la notion de la providence s’exprime plutôt en un sens commun et en la législation, ou en un élément régulateur de l’action sociopolitique, dans un moment précis, plutôt qu’en une acception théologique fondamentale. Pour donner preuve contre les interprétations théologiques du texte vichien William S. Haas [92] confirme qu’il est vrai que Vico souligne constamment  la providence comme principe régulateur du processus sociohistorique mais il est clair que ces conceptions sont des résidus qui ne peuvent contribuer en aucune façon vitale dans l’édification de sa théorie. Vu que toutes les preuves de Vico, même les plus métaphysiques, sont référenciées par l’action humaine matérielle et intellectuelle.

 Néanmoins, les rapports établis par Vico entre nature et culture, conscience et science, humain et divin, réel et idéel, ne sont pas de nature réductrice comme on peut le supposer à travers une lecture critique du texte vichien et elles ne sont pas non plus exclusivement médiatrices ; elles sont l’expression d’une contextualité [93] ou « des rapprochements entre les choses. »[94]Ces relations sont plutôt compréhensibles à un niveau plus spécifique qu’on juge généralement ambigu vu que la relation chez Vico présente la possibilité d’un dynamisme et d’une ouverture qui n’est pas commune à la raison philosophique et philologique. C’est une relation établie dans l’écoulement du temps et le suivi des modifications des mentalités. C’est pour cela que la notion de providence, qui a fondé -en général- l’essentiel des différences entre les multiples interprétations du texte vichien, ne peut que s’intégrer dans une conception scientifique de la Scienza nuova en tant que notion convertible à la notion de « conato » originaire, d’un naturel humain qui a son utilité dans l’invention des moyens réformateurs des vices en vertus tel que le droit naturel des gente « il y a une providence divine et qu’elle est un esprit [mente] divin législateur, qui, des passions des hommes uniquement attachés à leurs intérêts privés, dont la poursuite les amènerait à vivre comme des bêtes sauvages dans la solitude, a fait  les institutions civiles grâce auxquelles ils vivent dans une société humaine[95]»  La providence est, alors, le principe régulateur de la « théologie civile raisonnée» qui n’est que la réalité du monde civil. Cette théologie civile raisonnée prend en considération l’enracinement de la religion dans le sens commun ; un enracinement qui est à conserver vu sa positivité dans la conservation du genre humain.[96]  

Cette réalité, une fois  saisie, dévoile une histoire des idées humaines révélatrice des lois qui régissent le processus historique.[97] En conséquence « notre science », nous dit Vico, «doit donc être une démonstration de la providence comme fait historique, pour ainsi dire, car elle doit être une histoire des ordres[98]» Tout ce savoir est possible, selon Vico, grâce à une présupposition qui dit que « les hommes sont naturellement portés à conserver la mémoire des lois et des ordres [ordini] qui les tiennent à l’intérieur de leurs sociétés.[99] » C’est la matière qui forme le socle du sens commun pour garantir une certaine stabilité dont l’essence est constituée par la diversité et la richesse de l’expérience humaine dans les temps et les lieux par le biais de la gravure des ordres  dans la mémoire commune. Cette diversité et cette richesse peuvent être explorées, nous dit Vico, quand on fait une transposition des procédés « qui nous donneront les fondements du certain, serviront à voir dans les faits ce monde des nations que nous avons contemplé en idée, suivant la méthode de philosopher la plus assurée, celle de Francis Bacon, seigneur  de Verulam, en la transportant de l’étude des choses naturelles, sur lesquelles il travailla dans son livre Cogitata visa, à celle des choses humaines civiles[100]» Ce qui veut dire que la méthode expérimentale proposée par Bacon sera plus utile en s’exerçant pour comprendre les choses humaines parce que celles-ci représentent l’unique champ d’investigation positif vu qu’il est l’œuvre de l’homme et que ses modifications sont déjà inscrites à travers les modifications de l’esprit humain. Les institutions sont de la sorte des produits humains en ce sens que leur caractère est en fin de compte décidé selon les caractéristiques et les modifications de l'esprit humain.

Une telle conception n'était pas entièrement nouvelle par rapport à l’histoire de la pensée humaine. Grotius, Selden et Pufendorf, par exemple, avaient essayé d'expliquer certains aspects de la structure légale et sociale des nations en ce qui concerne le principe de l’équité naturelle qu’ils ont supposé en tant que principe partagé entre les hommes. Leurs essais de discourir à ce propos pourrait être considéré comme étant une des modifications auxquelles Vico se réfère bien qu’ils n’ont pas poussé leurs recherches dans le temps  pour pouvoir voir la vrai nature de l’homme et de l’ordre humain. Néanmoins, Vico rejette le principe de l’équité sous la forme présentée par ces penseurs parce qu’ « ils ont cru en effet que l'équité naturelle, dans sa forme  idéale parfaite, avait été comprise par les nations païennes dés leurs premiers commencements [101]» alors que ces nations gardaient « scrupuleusement la lettre des prescriptions et des lois » ce qui indique que la liberté publique n’était pas encore pensable vu que l’homme a dû vivre pendant des siècles incapable de concevoir un système de valeurs et une hiérarchie sociale radicalement contraire à l’autorité du père, du roi et du noble et du terrien en général et même combien des luttes se sont engagées pour que les anciens romains, par exemple, s’aperçoivent que « les pères  n’avaient pas une origine extraterrestre ou divine et que « les esprits sont tous égaux et que les différences qui existent entre eux proviennent des différences dans l’organisation des corps et dans l’éducation civile.[102] »

 Donc on ne peut supposer des valeurs telles que l’équité ou la justice qu’en se référant à l’ensemble des institutions humaines qui sont elles mêmes faites par l’homme. Mais pour définir le caractère de telles institutions, le savant doit tenir compte de la nature des modifications  actives dans  l’esprit humain qui prennent corps essentiellement dans la sphère juridique ; donc à importe quelle conjoncture socioéconomique et politique il y a  certaines institutions qui sont possibles et d'autres ne le sont pas. Et c’est uniquement la prudence du savant qui garantit la juste compréhension de l’homme à travers l’étude de son monde.  Si on suit l’enchaînement épistémologique décrit par Vico, c’est l’ordre des idées qui suit  l’ordre des choses: « l’ordre des idées humaines est d’observer les similitudes des choses, d’abord pour s’exprimer, en suite pour prouver et cela en se servant d’abord, à titre de preuve, de l’exemple, qui se contente d’une seule similitude et finalement de l’induction, pour laquelle il en faut plusieurs.[103] » Ainsi il est clair que Vico édifie une nouvelle science dont l’objet est l’homme. Celui-ci ne peut pas être désigné dans cette science en tant qu’individu mais en tant qu’être par essence sociable.

La sociabilité de l’homme, selon Vico, s’est toujours imprégnée par sa naissance, dont la finalité est de préserver le genre humain en l’homme et de maximiser cette humanité acquise dans la lutte et la peine. De ce fait sa science se fonde sur l’historisation de toutes les idées et les faits humains en rétablissant pour chaque ordre des choses sa naissance et son évolution selon son utilité. Ce rétablissement se mesure par sa profondeur dans le sens commun et son effectivité dans la mémoire commune des gente. Etat qui lui a suggéré la méthode comparative comme outil de confrontation des faits et des narrations afin d’atteindre la fiabilité et la consistance. Les résultats de cette nouvelle science sont décrétés par le besoin de l’homme de se comprendre pour bien peser le danger qu’il court en oubliant son humanité et sa genèse et en s’engageant dans des voies dont il ignore les débouchés. Alors, ce qui lui est le plus positif, c'est la connaissance de soi-même et elle est possible si l’homme se pose naturellement la question des commencements et des enjeux de toute démarche à entreprendre. Les démarches de connaissance, selon Vico, devraient être en harmonie avec le sens de l’humanisation du  monde dans un certain temps et  au sein d’une certaine appartenance.

Néanmoins, cette option scientifique pourrait être en contradiction ou simplement conflictuelle avec la conception des sciences modernes. Comme elle pourrait être une épistémologie appliquée aux sciences grecques et arabes d’avant Galilée et Bacon.   Mais la prétention  de Vico est de déplacer la question vers d’autres horizons différents de la science des anciens et des  modernes. Quels seront ces horizons ? S’ils ne se sont fondés ni sur les principes des sciences anciennes ni sur ceux des sciences modernes, quelles seraient leurs spécificités par rapport à toute science déjà établie ?

 

2.3-Scientificité de «La Scienza  nuova»

 

A fin d'établir dans quelle mesure La Scienza nuova est une science, on va tenter de démontrer que Vico s'est basé sur des propositions fondamentales. Ces propositions  émanent et prennent forme à partir des présuppositions[104], de sorte que l’inconsistance devienne intolérablement totalisante  qu’ « être en contradiction avec une seule serait l’être avec toutes. »[105] Et c’est exactement une confirmation qui appuie l’exigence de Vico lui-même d’avoir à établir un travail rigoureusement scientifique. Malgré cela, il est difficile de comprendre comment plusieurs différentes lectures de Vico, qui concernent une large variété de sujets, prennent comme point de départ la même œuvre vichienne. Croce, par exemple, a conclu que la pénurie des interprétations qui se revendiquent de Vico est due au fait que Vico avait échoué dans son effort de  distinguer entre deux conceptions différentes et irréconciliables de la science[106]. Selon sa lecture, les penseurs interprètes du texte vichien ont tort d’essayer de ranger Vico dans la première conception de la science qui implique l'interprétation du fait historique à la lumière des catégories extratemporelles de la philosophie, et qui opte pour une explication scientifique ou philosophique. Le deuxième sens implique une procédure «empirique, inductive et psychologique [aboutissant à]  l’établissement de la sociologie ou de la psychologie sociale[107]»

Mais la richesse du texte vichien, malgré  la présumée ambiguïté du point de vue de la lecture historiciste de B. Croce,  n’empêche pas la possible reconstruction d’une science de l’histoire à partir d’un inventaire aussi varié des  matériaux que celui de la Scienza nuova. Dans les circonstances d’une surinterprétation véhiculée d’une infinité des doctrines et des appartenances idéologiques parfois opposées – marxisme, historicisme, idéalisme historique, phénoménologie,  pragmatisme - le réexamen de la revendication de Vico, d'avoir établi une science, ne peut s’opérer qu’à partir d’un retour aux présuppositions essentielles de la Scienza nuova. Dans ce contexte, quelles sont les justifications de Vico pour revendiquer la scientificité de sa requête ? Et comment peut-on comprendre sa thèse selon laquelle les humanités, et essentiellement l’histoire, doivent être une priorité pour la recherche scientifique ? Que faut-il faire pour satisfaire une telle recherche et établir de nouveaux critères épistémologiques ?

Pour établir un discours scientifique qui traite de l’homme, la Scienza nuova se centre autour de trois genres différents d’arguments qui concernent la philosophie en tant qu’histoire des idées, histoire sociale et histoire des nations. La clarification des relations, qui fondent ces disciplines, dévoilera le sens dans lequel Vico établit une science. Exposée de la sorte, la scientificité de son œuvre multiplie ses enjeux, vu qu’ils touchent aux domaines de l’action humaine plutôt qu’à ceux de la nature. La théorie de la connaissance vichienne essaye de préserver le sens de la connaissance aussi  rigoureux que "les idées claires et distinctes" cartésiennes sans lui prétendre la véracité inconditionnelle et non historique. Ce qui lui permet d’étendre cette connaissance à une classe  de choses différentes et beaucoup plus large que celles de la science de son époque.

La nature de cette alternative, comme elle est développée dans la troisième version de la Scienza nuova, est loin d'être claire. C'est pour cela qu'il nous faut établir d'abord ce que Vico considère comme matériaux de la connaissance. Ceux-ci sont exposés dans les éléments généraux qui formulent les présuppositions de Vico sous forme d'un ensemble d’axiomes ou de "dignités" et de définitions expliqués par des exemples et des suppositions qui sont  « comme le sang dans le corps animé, doivent circuler dans cette Science et l’animer dans tous ses raisonnements sur la nature commune des nations.[108] »

Vico précise, dans l’élément IX, la distinction entre deux états épistémologiques et décrit la valeur du savoir dans cette Science selon la conjoncture de la  connaissance : «les hommes qui ne savent pas le vrai des choses font en sorte de s’en tenir au  certain, afin que, s'ils ne peuvent satisfaire leurs intellects avec la science, leur volonté, du moins repose sur la conscience.[109]» Cette distinction entre la  science et la conscience et leurs objets respectifs, le vrai et le certain, a fait couler beaucoup d’encre en donnant lieu à des interprétations esthétisantes de la pensée vichienne,  pourtant il est dit dans cet élément que la conscience n’est satisfaisante que par manque et défaut de la  science. La conscience, selon cet élément, serait un état de connaissance antérieur et intérieur à la science en tant que représentation assimilée et dépassée par celle-ci.

La nature de la connaissance est plus clarifiée dans l'élément XXII, dans lequel Vico déclare que c'est «cette propriété de chaque science, notée par Aristote, qui est que scientia debet esse de universalibus et aeternis "*[110]. » Donc la science a un rapport à ce qui est universel et éternel. En se référant à la définition aristotélicienne de  la science en tant que savoir universel et éternel, Vico adhère apparemment  à une hiérarchie traditionnelle des connaissances. Dans ce cas comment peut-on déterminer l'objet de la conscience [ Il certo ] où le certain  ne peut pas signifier la confusion référentielle, c'est-à-dire il ne peut pas se référer exclusivement à un état psychologique, car cela rendrait inconcevable la relation établie entre la connaissance et son objet, parce que toute certitude est logiquement une certitude de quelque chose. Mais elle est le "certain" de la conscience en ce qui concerne le particulier et le contingent et c’est dans ces termes qu’elle n’est pas encore l’objet de la science. Mais par contre elle doit se transformer en élément et outil de la science. 

Le contraste entre "ce qui est universel et éternel" et "ce qui est particulier et contingent" nous permet de comprendre la distinction, que Vico établit, dans l'élément X, entre la philosophie et la philologie. Il asserte que «la philosophie contemple la raison, d’où vient la science du vrai ; la philologie observe l’autorité de l’arbitre humain, d’où vient la conscience du certain.[111]» Ensuite il définit la fonction du  "philologue " comme étant celui qui s’approprie le savoir de  « tous les grammairiens,  historiens,  critiques, qui se sont occupés de la connaissance des langues et des faits des peuples, aussi bien chez eux, dans les coutumes et dans les lois, qu’à l’extérieur, dans les guerres, les paix, les alliances, les voyages et le commerce.[112]» Cette définition attribue une tâche historique à l’entité du philologue tout à fait similaire à celui de l’historien de nos jours.[113]  La présupposition que "la conscience du certain" signifie la connaissance des faits particuliers est ainsi certifiée par la présence du philologue en tant qu’acteur dans l’établissement de cette science. Le philologue ou l’historien traite des faits particuliers -les langues, les actes, les guerres, les paix, les alliances de peuples et des différents- et il identifie des faits réels et particuliers pour en faire une narration compréhensible, une connaissance certaine.

Un gouffre sépare la philosophie de la philologie et il doit être résolument dépassé. La philosophie qui produit la connaissance de l'universel et de l’éternel en contemplant les raisons; la philologie qui rend compte du particulier et des faits contingents en se conformant à la description des faits historiques. Et c'est en critiquant  la distinction traditionnelle entre la conscience et la science, la croyance et la connaissance, que Vico compte se prendre pour édifier le propre de sa Science c'est-à-dire de dépasser l’écart séparateur et  réducteur de deux activités indiquées.

Cette critique de la nature de deux disciplines, comme elles étaient généralement pratiquées, tend à remplacer une ancienne conception de la science par une autre plus conciliatrice mais encore plus adéquate avec le savoir humain. Savoir, dont la compréhension  représente en elle même un besoin, une utilité est l'ultime but de la Scienza nuova. Donc il est nécessaire de comprendre les présuppositions d’une telle critique pour une évaluation appropriée des prétentions de  la Scienza nuova. C'est un texte qui redéfinit la nature et les enjeux de toute science de l'homme possible en moyennant  un nouvel angle adapté à son sujet d'étude.

Dans les quatre premières propositions ou éléments, Vico asserte que l’homme « dans l’ignorance » a tendance naturellement à être anthropomorphique. Chose qui explique  la surestime  accordé à l’absence de la chose par rapport  à sa présence. Dans cette condition, le jugement de l’homme varie qualitativement selon l’état de ses connaissances comme il varie quantitativement selon la relation qu’il détient avec l’objet étudié dans l’espace et temps de son agir. Et c’est la raison pour laquelle l’édification de la science ne peut avoir lieu qu’en la présence d’une méthode critique et d’une certaine prudence qui prend en compte que « par l’effet de la nature indéfinie de l’esprit [mente]* humain, quand celui-ci tombe dans l’ignorance, l’homme fait de lui-même la mesure de l’univers. [114]»

Cela explique le fait que les fables et les contes traditionnels, par exemple,  deviennent de plus en plus altérés avec le temps. Chaque génération modifie les événements du récit en prétendant l’harmonisation du discours et chaque nouveau récit implique une nouvelle interprétation qui ne peut être qu’erronée en ce qui concerne sa prétention à dévoiler le sens original du récit. Cela implique que la compréhension du passé et l’établissement d’une chronologie fiable des périodes historiques doit prendre en compte ces réinterprétations "scientifiques" des contes et mythes traditionnels et des événements originels racontés de sorte qu’ils deviennent une source de données primaires mais non fiables pour l'historien. Le rôle du philologue dans une telle situation est de forger une méthode critique par laquelle il peut affiner son savoir des temps révolus en réduisant les difformités « naturelles » des récits  afin de retrouver ainsi  la voie des « principes » de la science.

La tendance naturelle à juger l’inconnu par le connu est une deuxième source d'erreur. Vico analyse cette inclination et découvre que les erreurs des contemporains et des anciens sont dus à " une autre propriété de l’esprit humain" qui « veut que là où les hommes ne peuvent se faire aucune idée des choses lointaines et inconnues, ils les jugent d’après les choses qui leur sont connues et présentes.[115]» Mais cette inclination n’est pas une inclination naturelle propre à l’homme en tant qu’entité physique et individuelle, elle est enracinée dans la mentalité des groupes. De même qu’elle est logée dans la « vanité des nations » et de l’appartenance ethnique de manière à constituer une « source inépuisable de toutes les erreurs commises par des nations entières et par tous les doctes au sujet des principes de l’humanité.[116]» Dés que les communautés humaines ont commencé à s’interroger sur leurs origines et les doctes à les étudier, ils ont jugé leurs ancêtres « d’après leur propre époque éclairée, cultivée et magnifique » en glorifiant un sentiment personnel d’excellence et un besoin d’appartenance à une identité « nationale » qui est la plus originaire dans le temps. De là, les revendications incompatibles de la plupart des historiens que leurs nations propres avaient le rôle le plus civilisateur de l’homme. D’ailleurs toutes les politiques extérieures des nations périodiquement fortes ont utilisé un tel argument vaniteux pour coloniser d’autres nations plus faibles. Cette fausse prétention est jumelée avec une deuxième, "la vanité des savants," qui se manifeste quand le savant prétend qu’il détient toute la connaissance contemporaine et il peut interpréter l'histoire des âges anciens en conformité avec cette prétendue érudition.

Cela explique le caractère non historique de la plupart des écrits historiques et des interprétations mythiques. Vico illustre sa présupposition critique par une large variété d’exemples. Il explique, entre autres, comment «toutes les significations mystiques attribuées par les doctes aux hiéroglyphes égyptiens et les allégories philosophiques trouvées dans les fables grecques[117]» ne sont que des assomptions des doctes imprudents qui ont transposé les caractères de leur propre savoir philosophique à une époque où l’homme n’a pas encore conquis la finesse de l’esprit philosophique. Cette prétention concorde, en une parfaite alliance, avec la « vanité des nations » « celle de croire qu’elles avaient trouvé avant toutes les autres les commodités de la vie humaine et avaient conservé la mémoire de ce qui leur était arrivé depuis le commencement du monde.[118] »

 Des telles présomptions nationales ont faussé les notions de la liberté, du pouvoir et du droit chez les historiens comme chez les philosophes. Quand on prend en considération que les savants ont tendance à succomber à « la vanité des doctes », aucun récit historique traditionnel ne serait totalement fiable. En ajoutant le caractère vaniteux de tous les discours nationaux, la voie naturelle dans laquelle nous interprétons l'histoire, devient en soi douteuse. Il est intéressant de noter à ce niveau comment l'approche de Vico à la question d'une nouvelle théorie de la connaissance lui a permis la découverte des arguments généraux qui montrent que les jugements, qui annoncent une vision dogmatique et traditionaliste, altèrent les racines de la vérité historique. Et il continue ensuite la recherche des critères de la connaissance en se dotant de ses découvertes critiques et en s’appuyant sur  une variété des preuves. Dans cette première section de la Scienza nuova, Vico produit des arguments généraux qui démontrent que, au moins dans le domaine de l'histoire, nous ne pouvons avoir confiance ni dans les sources des récits classiques, parce qu’ils étaient établis sous l’influence de deux vanités, ni dans les modifications suivantes qui résultent des interprétations éloignées des historiens. Vico a souligné un besoin de l’établissement d’une théorie adéquate de la connaissance qui peut remplir pleinement son rôle principal.

Léon Pompa nous enseigne qu’il est très important de considérer que la nouveauté de La  Scienza nuova s’évalue par la nature générale des éléments critiques proposés par Vico. Clairement ses arguments critiques visent en partie le caractère arbitraire des assomptions profanes qui passent pour historiques. Ce qui veut dire que la critique tend à éradiquer les assomptions nationalistes largement injustifiées qui traversent de bout en bout les propos des historiens. Ce discours local vaniteux cause couramment des débats futiles et insolubles. La critique est donc en partie dirigée contre ce que Vico considère comme des approches entièrement non historiques du passé et qui sont nuisibles pour le présent de la recherche.[119] Ce principe critique de l’héritage culturel humain doit prendre en charge l’histoire des manifestations naturelles et culturelles de l’homme, de façon à pouvoir établir une vision claire des modes de la pensée dans leurs manifestations historiques. Clairement, ce besoin a pris naissance avec la vérification du caractère arbitraire des suppositions qui ont fait jusque là de l’histoire un domaine des prétentions en grande partie illégitimes. Alors qu’une théorie adéquate de la connaissance fonde sa nécessité comme rectification et renversement  de ce que Vico caractérise  comme étant une approche entièrement non historique de tout ce qui se rapporte à l’homme. La présupposition implicite de ses revendications et besoins est que si l'histoire doit être une branche de la connaissance, il est nécessaire de la reconstruire en conformité avec la vision critique qui la libère de la subjectivité des historiens et des abstractions abusives des philosophes. Elle doit, en fait, être fondée sur une base épistémologique plus saine. Cela soulève des questions à propos de ce qu'une telle fondation serait et comment le sujet d'histoire devrait être interprété.

La critique adressée aux philosophes répand une nouvelle lumière sur la compréhension des conditions de vérifiabilité du discours qui se prétend en relation quelconque avec une série des événements. Dans la Scienza nuova, l’objectif central est celui de développer et d’appliquer une théorie alternative qui ne se limite pas à une connaissance purement conceptuelle. Deux théories philosophiques sont inaptes de s’intégrer dans cette théorie. D'abord, il y a le Stoïcisme et ensuite l’Épicurisme. Bien qu’elles soient principalement concernées par leurs approches de la philosophie pratique, Vico critique l’inadéquation de leur conception de la nature humaine sur laquelle ils ont fondé leurs théories normatives. Il condamne par le biais de la critique leur adoption d’un mode de vie des « philosophes monastiques ou solitaires [120]».  Leur plus grand tord est de considérer la science de l’homme sous les deux angles qui ne peuvent pas permettre l’édification d’une science de l’homme. D’un côté les Stoïciens traitent de l’acte humain sous le signe du destin (fato) c'est-à-dire qu’ils supposent un déterminisme qui élimine toute spécification propre à la matière traitée. De l’autre les  Épicuriens laissent au hasard (caso) l’effectivité de l’agir humain, ce qui avortera toute tentative de systématisation du savoir concernant la matière du développement de la nature humaine. Cette exclusion établit le principe de la causalité historique comme un juste milieu entre le destin, qui peut expliquer l'élément de nécessité dans l'histoire, mais il reste incompatible avec le choix humain comme libre arbitre. Et la chance, qui tient compte de la liberté humaine, mais elle ne peut pas expliquer le contexte qui détermine les limites de cette liberté.

Une conception adéquate est fournie par la notion vichienne de la providence, qui représente le principe de la causalité historique. Il doit mettre en  place tant le libre arbitre que la nécessité dans l'histoire humaine. Et ce principe est formulé selon les conceptions des philosophies politiques « et en premier lieu les platoniciens, qui s’accordent avec tous législateurs sur les trois points principaux suivants : il existe une providence divine, on doit modérer les passions humaines et en faire des vertus humaines et enfin l’âme humaine est immortelle. En conséquence, cette dignité nous donnera les trois principes de cette Science.[121]» Par contre Vico témoigne de l’admiration pour les théoriciens du droit naturel, d’ailleurs il les a nommés « les trois princes de la doctrine, Grotius, Selden, Pufendorf [122] » parce qu’ils avaient le grand mérite de saisir une vérité essentielle qui affirme que la nature humaine est socialement conditionnée. Mais ils ont omis que cette même nature est aussi historiquement conditionnée et cela a aggravé la situation de l’homme moderne surtout en ce qui concerne sa compréhension du principe de l’équité et de la justice sociale[123]. Donc s’ils ne s'étaient pas arrêtés à l’étude des sociétés relativement  avancées qui étaient presque dans un état semblable au leur, là où les sociétés humaines se sont déjà formées et où le langage a pris forme. Ils auraient pu comprendre l’autorité comme principe régulateur des relations sociales fondamentales et « donner ainsi aux coutumes leur certitude grâce à une critique métaphysique appliquée aux fondateurs des nations, qui aurait commencé à éclairer la critique philologique appliquée à des écrivains qui n’apparurent que bien plus de mille ans après que les nations eurent été fondées[124]» Ainsi le droit naturel se transforme chez Vico en un principe historique et ne reste pas à un niveau hypothétique qui mutile et obscurci la compréhension des origines. C’est pourquoi il critique les limites des résultats obtenus par « les trois princes » et leur reproche de ne pas « commencer par les lettres et les lois qu’Hermès Trismégiste avait inventées pour les Egyptiens, par les « caractères » et les « noms » des Grecs, par les « noms » qui signifient à la fois gente et droits chez les Romains[125]

 

Conclusion

L’implication de Vico dans les polémiques de son temps, présentés sous forme de la Querelle des Anciens et des  Modernes, centre l’intérêt de la philosophie dans un champ mitigé qui ne se contente plus de l’universel uniquement et qui ne vise plus l’éternel en soi, mais il intime l’urgence d’embrasser le quotidien, l’éphémère et le concret pour se situer dans une contextualité et dans une histoire immanente à la scientificité de la Scienza nuova. La question s’est posée concernant une scientificité propre au dire vichien. Pour commencer une étude des caractéristiques de cette science, Vico nous révèle que pour déterminer l’objet de cette science il faut édifier une critique des préjugés et des présomptions spéculatives de la philosophie naturelle. Ainsi il adopte la multiplication des dimensions de l’agir humain dans l’histoire pour légitimer son aptitude propre d’être exclusivement objet de science. Il établit les critères de la conjonction entre la philologie et la philosophie. La nouvelle science de l’homme peut donc prendre en charge un discours fiable sur la nature de l’homme et sur les conditions dans lesquelles il peut convertir ses vices en vertus sans pour autant se conférer l’exemplarité de son itinéraire. D’où on peut considérer que la scientificité de la Scienza  nuova est une transposition, dans le domaine de l’humain, des principes de la science moderne inaugurée par les procédées baconiens. Cette scientificité garantit son effectivité par le fait d’un intérêt accordé aux choses particulières dont les procédés de falsification sont variés et multiples selon le contexte des faits humains et de la mentalité au sein de laquelle l’homme agit. C’est une science qui présente comme expression de sa nouveauté l’établissement des sciences de l’homme. Ses présuppositions se vérifient par le fait de la sociabilité de l’homme, de l’historicité de sa conscience et de sa science et de la contextualité déterminante de son agir. C’est cette contextualité qui prédit la complexité des choix de l’homme et de sa condition de vie. Par conséquent, il est nécessaire d’explorer l’itinéraire de Vico pour appliquer cette science de l’homme sans tomber dans le piège de la réification de l’homme qu’il a tant critiqué dans ses œuvres.

 


Chapitre III – Archéologie du savoir faire

 

Introduction

 

Vico illustre son œuvre après le frontispice et l’« Idée de l’œuvre » par une « Table chronologique » qui souligne sa préoccupation de la succession des cultures et des civilisations. Une chronologie qui a la prétention de montrer la diversité et l’obscurité du champ des investigations et des fouilles à effectuer pour rétablir le fond de vérité de cette succession et de la qualité qu’elle présente.  Elle n’est pas un simple exercice de mise à jour ou d’ornement d’un récit historique qui se tourne vers un passé sans avenir. Le but principal consiste plutôt à élucider la succession des conceptions essentielles à l’homme pour donner sens au monde dans une étape de l’histoire où le sens prend le risque, et risquera, de fuir les mots et les actes de l’homme. Cette fouille, dont Vico donne les premiers résultats dans une table chronologique, est un ultime recours à une preuve qui n’est pas encore explicite. Les colonnes et les schémas ainsi que les chiffres (les dates) résument l’avenir du langage des sapiens de la cité. Alors que Vico nous apprend dans ses premières œuvres que la communication entre les sapiens et les stultus doit avoir lieu et que ce devoir se dessine dans le droit à l’éducation, dont la didactique se doit de respecter l’ordre et les choses du processus de l’humanisation c'est-à-dire l’ordre de la civilité.  

Une grande partie de l’œuvre de Vico répondait au besoin propre du professeur de rhétorique qu’il présentait et qu’il prenait scrupuleusement en charge.  Ses œuvres représentent une référence et une source d’inspiration scientifique jusqu’à nos jours  pour les travaux pédagogiques et pour la psychanalyse infantile. Dans ces textes, Vico   établit les règles du dialogue entre les sapiens et le stultus. Il détaille la description des méandres des conditions torturantes de l’existence, la nature déroutante des passions et les dangers de la fausse ignorance. Les aversions de la face insensée de l’homme montrent combien il est chimérique de penser la nature en se fiant uniquement à la raison.

La méthode pédagogique proposée, par Vico, nous enseigne que l’apprentissage de l’enfant dessine et détermine le projet de la société. L’avenir se décide dès l’enfance et suivant la qualité de l'éducation en vigueur. Les générations humaines, en adaptant le cours naturel de l’apprentissage et en respectant les aptitudes des ses sujets, facilitent à l’enfant l'acquisition de son intégrité. Le jeune qui apprend à assimiler le ‘’certain’’ à travers l'apprentissage des langues, de l’éloquence et des origines des locutions, avive son ingéniosité naturelle. Ces générations sauront que la sauvegarde de la société est garantit par l’effort que fournit chaque individu de vivre, selon la double règle de l’amitié et de l’honnêteté[126]. Ce savoir ontologique et didactique articule les finalités de l’action à mener sur les potentialités de mente humain, risquerait-il de disséquer le savoir humain pour retenir l’inventivité de l’homme sur une échelle bien inférieure que celle qui est déjà conquise par les modernes ? Ou bien serait-il d'une valeur supérieure en tant qu'anticipation universelle à une connaissance anthropologique moderne et contemporaine comme l'a mentionné  I. Berlin[127]?

 

 

 

3.1 Les germes de la vérité[128]

 La méthode analytique cartésienne est traitée par Vico dans « La méthode des études de notre temps », comme un système déductif stérile. Les appuis critiques, surtout au niveau didactique, démontrent que cette méthode est inapte à porter les disciples  vers la découverte de « la fécondité de ce qu’il appelle l’"ingegno". Ce mot, qui dérive du latin "ingenium" et qui existe aussi en espagnol, ne peut être traduit en français de façon satisfaisante. "Esprit" est beaucoup trop vague, "génie" a un sens trop particulier. Pour Vico, l’"ingegno" est la capacité de rassembler des choses très éloignées les unes des autres et donc de découvrir et d’inventer.[129] » C’est peut-être cette incapacité  didactique caractéristique de l’esprit français qui a fait que Descartes, même quand il écrivait en latin, faisait abstraction  de la nécessité de différencier l’utile de l’artifice et la richesse de l’aridité par rapport au commun des mortels ou en terme vichien au gente. Mais l’inventivité est immanente à la notion d'ingegno et comme elle doit être activée par une didactique adaptée à l'évolution vers une connaissance véritable et adéquate aux besoins et aux utilités de la vie commune ne serait-elle pas paradoxalement valable à un niveau de la langue naturelle et de la rhétorique aux dépens des sciences de la nature et des sciences formelles telles que les mathématiques et la logique ?

 Les mathématiques et les sciences de la nature se sont ouvertes au langage de la quantification des nombres et des représentations géométriques et elles ont acquis le statut de la scientificité grâce à la forme déductive et au raisonnement universel qui les caractérisent. Bien que la pensée purement déductive ne fasse qu’exploiter des données hypothétiques de départ, en grande partie,  sans être capable de découvrir du nouveau. Tandis que l’ingegno, selon Vico, nous permet l’invention non seulement sur le plan littéraire, mais également sur le plan philosophique, scientifique et technique. Et cela ne s’opère pas par des procédés déductifs mais plutôt en valorisant l’induction et l’usage de la langue naturelle ou commune.

L’homme, selon Vico, est à la fois âme, mente et langue; dont la langue représente la première théogonie du monde qui a pris forme avec les premiers hommes, qui parlaient par signes  grâce au tonnerre et à la foudre. Ces phénomènes symboliques de la force naturelle ont annoncé à l’homme lors de sa sortie de la bestialité « que Jupiter commandait par signe, que ces signes étaient des paroles « réelles » et que la nature était la langue Jupiter.[130] » Cette manifestation est une originalité de l’inventivité de l’homme bien qu’elle ne soit que circonstancielle et partielle. Néanmoins, la langue ne parviendrait jamais à traduire avec la pertinence absolue les représentations et les volitions de l’âme humaine. Olivier Remaud, nous met d'ailleurs en garde contre l’illusion de l’épuisement du sens par les mots en précisant « si l’esprit perçoit l’infinie variété du  monde, celle-ci échappe en partie au langage qui ne possède jamais autant de termes qu’il y a des choses.[131]» En effet l’étude linguistique, selon Vico, est un axe essentiel autour duquel l’historien des idées doit établir son diagnostic sur la validité ou la fausseté des prétentions des historiens et des littérateurs des civilisations passées. C'est la reconstruction de la genèse et de l’évolution des nations qui utilise, entre autres, les langues vulgaires pour pouvoir retrouver les racines de la vérité de l’homme afin d'édifier les premières traces d’une certaine humanisation du monde. La preuve doit  sa validité à ce que « les parlers vulgaires doivent être les témoins qui ont le plus de poids concernant les coutumes anciennes des peuples qui furent pratiquées au temps où se formèrent les langues[132]

Autrement dit, une politique de l’éducation n’est une éthique du respect de la personne humaine que si elle se dessine comme une restructuration des caractères spécifiques à l’enceinte de la langue commune. Celle-ci est porteuse, dans une dynamique propre, des germes de la véritable connaissance de soi. Une telle politique énonce deux présuppositions relatives : (1) l’objectivation des représentations de soi  ne se fonde que sur une autoréflexion et, (2) le savoir des lois ou des invariables anthropologiques est une forme à la fois intériorisée et extériorisée de la connaissance de soi.[133]La notion de soi est mise au même niveau de profondeur que la notion de l’identité du groupe. Elle est cause et effet de l’action dans le monde. Elle véhicule « i parlari volgari » ou les langues vulgaires dans et par lesquelles la « sapienza volgare » est exprimée. Ce qui signifie que l’homme ne peut détenir sa propre vérité qu’en s’appliquant dans l’étude, la recollection et l’actualisation de son savoir linguistique. D’ailleurs ce n’est pas la langue dans son appartenance à un groupe qui doit intéresser l’étude linguistique présupposée, mais l’ensemble des idiomes d’une nation ou de   plusieurs ; la spécificité d’une telle étude se rapporte essentiellement à la multitude des sources et des représentations selon l’appartenance aux strates sociales et selon le pouvoir de ces strates par rapport à l’ensemble de la société. Cette suggestion situe l’idiome à l’encontre de la langue absconse dont la véritable diversité est exprimée et prise en compte et non dans l’artificialisme de la langue officielle (docte) qui représente la version officielle et généralement partielle des faits.

Vico nous propose donc la connaissance de soi, comme remède qui réinsère organiquement l’individu dans une communauté hiérarchisée dés sa naissance et dont la mémoire représentative reflète l’ordre constant de la nature et inspire, sur le modèle de la République des Lettres, les conditions nécessaires pour la vita activa. L’ordre et le modèle chez Vico ne sont pas momifiés dans la notion de l’exemplarité bien que celle-ci soit l’empreinte des classiques les plus anciens dans l’esprit du philosophe napolitain parce qu’elle se transforme dans ses écrits en une expérience de la durée dans laquelle le processus de la créativité et de la transformation de l’élève en maître de l’avenir à travers lesquelles sa connaissance de soi devient possible. Sa possibilité est immanente à l’acte de l’enseignement.

La connaissance de soi est une conscience qui s'émancipe dans l’évolution des potentialités de l’apprentissage adéquat. Elle dévoile les racines de la vérité de la nature déchue de l’homme et de ses aptitudes à la modification de la mentalité et par conséquent de  la réalité faite par l'homme en mutation. Cette connaissance de soi permet en effet à la parole docte de retrouver sa fonction transformatrice d’une imagination naturellement flamboyante chez les jeunes. La jeunesse qu’on éduque, selon Vico, a une aptitude étonnante à l’apprentissage des langues. Elle est également plus ouverte pour cultiver l’éloquence qui lui sera de grand secours afin d’assurer son rôle dans une vie future. L’éloquence est la première aptitude qui doit être soutenue dans l’éducation des jeunes. Par contraste naturel, une fois l’enfant devient adolescent  il ne s’intéressera plus aux langues, il sera porté par l’imagination et la fantaisie vers  l’abstraction des mathématiques[134].

Quand on saurait orienter les jeunes facultés vers la richesse de la sagesse éminente aux langues qui véhiculent tout le savoir et le savoir faire de l’homme jusqu’à nos jours, l’homme  ne risquerait pas de succomber à la guerre intérieure en faveur de l’égoïsme à outrance, qui le livrerait à une identité en déviation alors que seul la langue usuelle, grâce à ses propriétés communicatives, devient une matrice et un socle essentiel de la civilité de l’homme. [135] Les « parlari volgari »,  selon  Vico, se mettent en faveur  de la récollection de soi, dès l’ouverture créative de l’âme sur le champ de l’action commune. « Durant ce parcours, la mens heroica joue un rôle majeur. Elle désigne le mouvement par lequel l’individu se reconquiert dans le miroir de la connaissance et croit de  nouveau  à la nécessité  de l’instruction [...] C’est à ce moment où la pensée de la nature devient réflexive qu’elle détermine une politique possible.[136]»

   Une autre manifestation essentielle prend forme, avec cette étude ancrée dans des idiomes dynamiques, et elle retient les coutumes et les rites telles qu’elles sont décrites dans les langues vulgaires, en leur témoignant un certain savoir faire dans un certain temps et d’une certaine manière. Vico asserte que « la langue d’une nation ancienne, qui est indépendante jusqu’à son développement complet, doit être un grand témoin des coutumes des premiers temps du monde.[137] » Là Vico relie les signes et l’évolution linguistique en général aux institutions et aux pratiques sociales qui figurent dans l’extériorité et qui donnent sens à l’homme, acteur et créateur des valeurs. Dans un deuxième volet, il clarifie la condition idéale de l’unité d’un corpus linguistique. Cette condition s'identifie à la stabilité politique perpétuelle, chose dont il démontre l’impossibilité tout au long de la Scienza nuova. Le mens humain, donc, héroïque à ce stade selon la terminologie vichienne, révèle une hétéronomie qui est constitutive de son autonomie. Une autonomie dont la seule garantie est le sens commun conservé pratiquement dans les traditions vulgaires qui « doivent avoir un fond public de vérité, qui leur a donné naissance et leur a permis de se conserver pendant de longs espaces de temps »[138]

Chaque société donc a un sens commun qui est synonyme d’une vision spécifique de la réalité et du monde dans lequel elle vit, ainsi que de ses attentes et de ses espoirs. Ce sens commun est immanent à tout ce que ses membres font, examinent et perçoivent. Il s'exprime dans un genre de discours dont les structures, les images et les métaphores sont révélatrices de la condition de vie commune. D’autre part les institutions obéissent à cette même logique commune qui incarne et traduit la représentation et la hiérarchie à l'intérieur de cette réalité. Ces visions témoignent différemment des entités sociales qui se succèdent ; chaque strate et/ou chaque communauté possède en propre ses aptitudes, ses valeurs, ses modes de création, qui sont incommensurables les uns aux autres; chacune doit être comprise selon son propre contexte. Cette compréhension n’est pas nécessairement une évaluation.[139]

Cette emprise du sens commun sur l’ensemble des individus dans la communauté, selon Vico, explique la survie de l’homme et de ses cultures aux temps et à la réalité tortueuse de la condition humaine. Comme elle peut survivre aux modifications des mente par le biais des langues et des lois qui demeurent sous forme de résidus ou de fables enfouis dans la mémoire commune parce que « les hommes sont naturellement portés à conserver la mémoire des lois et des ordres [ordini] qui les tiennent à l’intérieur de leurs sociétés.[140] » D'ailleurs, Vico établit à l'aide d'une enquête historiographique que les changements portés surtout à tout ce qui touche à la liberté naturelle des gente ne se font pas d’un seul coup, mais « par degrés et à forces du temps » en prenant en compte leur enracinement dans la mémoire et dans la pratique quotidienne et leur lien direct aux utilités de la société ainsi qu’à son mode de vie . »  [141]

  C’est en raison de cette stabilité approximative du sens commun que Vico suggère au philosophe de ne pas faire de violence aux croyances et aux institutions sociales s’il veille à ce qu’il remplisse son rôle de sage de la cité. Pour prouver le sens de sa suggestion, Vico déchiffre les logiques de changement qui rythment la succession des âges et les diverses époques. Il critique notamment l’excès de rationalisme qui se manifeste, selon lui, avec les grecs qui ont perdu de vue leurs origines quand « les philosophes grecs accélérèrent le cours naturel que devait suivre leur nation, en apparaissant alors que les Grecs se trouvaient encore dans un état de barbarie grossière, d’où ils passèrent immédiatement à un état de suprême raffinement, cependant qu’ils conservaient intactes leurs histoires fabuleuses aussi bien divines qu’héroïques.[142]» Vico révèle le paradoxe entre une prétention des philosophes grecs d'exprimer une vision conforme à l'essence de leur civilisation d'une part et une réalité de barbarie qui a condamné Socrate de l'autre. Cette contradiction entre la prétention et la réalité au moment de l’émergence de la pensée philosophique a faussé (1) premièrement la nature de la relation à entretenir entre la philosophie et le sens commun (2) deuxièmement, toute la pensée politique à venir concernant la nature des origines du droit (3) enfin, elle a dévié les compréhensions réelles des fables en leur attribuant des dimensions ésotériques.  Parallèlement,  Vico critique l’esprit analytique de son temps qui s’est transformé en une dictature de mode intellectualiste. C’est la  violence subversive de la mode, non de la critique elle-même, qui a un effet désagrégeant sur l’opinion publique. Elle établit le scepticisme dans le monde protégé par un savoir et un savoir faire légitimes, transmissibles et perdurables.

Mais face à une situation où l’homme devient objet accessoire de l’étude dans le monde et quand les sapiens se désorientent, entraînés par leur vanité, en appliquant « leurs efforts les plus sérieux à parvenir à la connaissance du monde naturel, dont Dieu seul, parce qu’il l’a fait, a la science.[143] » il s’avère que sa tâche la plus fondamentale est de se comprendre à travers sa condition humaine étant donné que le monde civil est certainement l’œuvre de l’homme. Dans une telle philosophie d’ordre humain toute la science des sapiens doit y être investie, et le nouveau centre découvert dans cette enceinte ne sera pas objet d’un livre ouvert écrit par des chiffres et des équations mathématiques ni même schématisé par des plans géométriques. Seule la langue naturelle et le maintien de l’imagination peuvent venir en aide aux sapiens parce qu’ils auront affaire à des couches superposées de l’intelligence humaine durant l’histoire de sa concrétisation et son élaboration graduée. 

Dans l’historicité de la faculté intellectuelle, la sagesse socratique s’est faite avortée par un esprit aiguisé. L’intelligence s’est détachée des sens et de sa faculté imaginative même au niveau du commun des hommes. Dans la vie quotidienne, ils ont appris, suite à la vulgarisation de la philosophie et des sciences modernes, à idéaliser l’esprit calculateur de sorte que la scission avec toute enfance devienne automatiquement critère de maturité. Or la vraie maturité et la vraie intégrité ne se réalisent qu’en assumant la responsabilité de la naïveté et l’ignorance de l’enfance à travers la compréhension des différents âges des hommes et des sociétés. C’est cette scission des Anciens qui s’est radicalisée par les interprétations répétitives des fausses  compréhensions et des nouvelles prétentions de la philosophie moderne et qui a fait que « nous pouvons à peine comprendre et absolument pas imaginer, comment pensaient  les premiers hommes qui fondèrent l’humanité païenne.[144]»

Cette scission est devenue, lors de la naissance de la modernité,  destructrice de l’équilibre humain par l’enseignement de l’arithmétique et de la logique de Port Royal. Un tel enseignement condamne le lettré à la solitude vu qu’il ne l’habilite pas à vivre dans la société des idiomes et de la variété qui est la vraie face de la vie sociale et donc de la norme sociale d’autant plus que le lettré une fois admis dans la République des lettres aura tendance à rejuger le vrai et le faux. Par contre, l’économie de l’arbitre humain est une constante historique qui admet que « le vrai est séparé du faux dans tout ce qui a été conservé pour nous pendant une longue suite des siècles par les traditions vulgaires, qui, parce qu’elles ont été conservées si longtemps et par des peuples entiers, doivent avoir eu, […], un fondement public de vérité.[145] » Ce principe peut être rapproché du dire cartésien que le bon sens est la chose la mieux partagée entre les hommes bien qu’il soit foncièrement différent vu la dynamique et la primauté octroyée par Vico pour le sens commun qu’il légitime d’ailleurs dans ce principe en se référant à l’historicité immanente au sens commun c'est-à-dire de gente et non le bon sens individuel.

Or le sensus communis a fait un long trajet[146] avant d’atteindre l’universalité que lui accorde Vico en assertant que « des idées uniformes, nées chez des peuples entiers inconnus les uns des autres, doivent avoir un fond commun de vérité[147]» de telle sorte que la connaissance de soi deviendrait une fin d’ordre prioritaire par rapport à la maîtrise des sciences formelles dans le domaine de l’éducation des jeunes. Sa priorité se dessine dans sa facilité, ou comme l’a dit Vico, en prenant un chemin dont l’accès est le plus assuré vu son immanence et son omniprésence. C’est une réponse scientifique et pragmatique au diagnostic d’un certain déclin des mœurs qui impose la solitude au sujet social et l’inefficacité au sujet politique.

L’esprit de mode isole l’original et le différent afin de neutraliser les tentatives de faire autrement et il affaiblit le conato qui est effort de vouloir vivre humainement. Cet abord se fait au service de la vanité d’une nation et d’un ensemble des ego solitaires. Pour combattre cet esprit, Vico a inventé la mens heroica qui présente l’ensemble des procédés adéquats pour organiser le temps collectif du savoir de façon à garantir, pour le bien de tous, la sagesse qui se définit comme étant « la faculté qui commande à toute les disciplines qui servent à acquérir toutes les sciences et tous les arts qui accomplissent l’humanité.[148] » Le savoir est défini, donc, comme moyen et non pas une fin en soi de l’activité humaine. Son véritable enjeu est l’accomplissement d’une humanité par le biais d’une volonté de changer le réel en sa faveur. La même humanité  est apte à s’aliéner et à perdre le sens de son existence, en perdant la volonté de s’approprier ses œuvres issues de l’agir héroïque qui était à l’origine de l’humanisation de l’homme quand « les fondateurs de l’humanité païenne, avec leur théologie naturelle (ou métaphysique), s’imaginèrent les dieux ; comment avec leur logique, ils trouvèrent les langues, avec la morale créèrent les héros, avec l’économique fondèrent les familles, avec la politique les cités.[149] » La mens heroica est la faculté qui donne sens à la vie commune dans un contexte où l’absence de sens mène par ailleurs à l’aliénation de l’individu et à la décadence de la cité. Là où le dérèglement de l’effort de la volonté devient un symptôme maladif difficile à diagnostiquer. En ce sens, Vico apparaît comme précurseur des penseurs contemporains qui sont de nos jours ardemment confrontés aux problèmes de la mode, de la marginalité et du scientisme intensif qui a pris le risque d’omettre le besoin vital de l’homme à donner un sens à sa vie en communauté en se donnant le moyen d’une connaissance positive de soi. Mais Vico propose une vision d’un enseignement nouveau qui répond aux besoins d’une éducation civile de l'homme.[150] C’est la responsabilité du sapien de transformer l’éducation en un processus qui garantit à l'homme l’insertion de son caractère social et politique. Une telle indulgence du sapien enseigne aux générations futures comment cultiver les vertus et la manière dont on érige les établissements dans lesquels le caractère de l’humain est réalisé, individuellement et collectivement, pour enfin découvrir le système des sciences et des arts par qui et pour qui ces vertus et ces établissements peuvent être formés, communiqués et perpétués.

Vico a traité ce thème, conformément à sa formation initiale, par les deux disciplines qui représentent un intérêt vital à la fondation de sa Science : la rhétorique et la jurisprudence. Le problème de la conscience de soi est, en effet, un problème de l'éducation civile qui surgit comme une nécessité de la conjonction de ces deux disciplines. D'une part, la jurisprudence dicte un ordre des problèmes à résoudre que Vico, dans son effort d'élucider la loi, rassemble sous la rubrique de la civilité: le problème de la nature sociale de l'homme, la nature du lien social et juridique, la nature des vertus et des établissements sociaux et politiques; de l’autre, la rhétorique s'ouvre sur une veine riche de souci que Vico exprime sous la rubrique de l'humanité. Ainsi l'ordre des sciences et des disciplines, dans lesquelles la nature humaine se modifie, est examiné selon son soutien et son utilité à l'ordre social tel qu’il est établi. L'humanité et la civilité, par conséquent, deviennent des rubriques jumelles sous lesquelles l'analyse de l'éducation civile procède selon les principes de l’historicité des idées humaines, des procédures et des facultés à prendre en compte selon l’âge et les propriétés.

Cette analyse nous amène à reconsidérer la nouveauté du discours vichien comme un thème déjà discuté par les philosophes grecs et ceux de la Renaissance, c’est la réminiscence. C’est un art traditionnellement statué comme association entre les différentes structures d’images déposées dans la mémoire et le corpus du savoir que nous avons besoin d’organiser. Pour se souvenir, l’homme veut rattacher les faits nouveaux à des images qui sont suffisamment frappantes ou qui évoquent des émotions et qui peuvent flotter à la surface de sa conscience quand il veut. Là il peut classer ses images et en les situant dans l’espace habituel  afin de se familiariser avec l’événement nouveau. La plateforme de la mémoire se compose d’un lot d’images prêtes à l’usage à quoi l’homme se réfère en modulant les paradigmes de la connaissance.

Et c’est à partir de cette caractéristique de l’anatomie et de la psyché humaines que Vico trace le point de départ de sa théorie des transformations du mente humain et par conséquent les bases de  l’éducation civile de l’homme. Comment peut-on  alors procéder avec l’opacité de la mémoire par rapport à la clarté et à l’uniformité, accordées habituelle, à la raison ? Et comment donner sens à la civilité et à l’humanité à partir d’une sagesse poétique ?

 

3.2-La genèse poétique

Telle qu’elle est comprise par les classiques de l’humanité, la réminiscence n’est pas un souvenir de l’idéal d’une réalité qui prend forme par la représentation, mais elle est une association entre les images d’une faculté microcosmique et macrocosmique de l’idéal de l’univers. C'est-à-dire une association entre une vision personnelle du monde d’une part et une représentation collective de l’univers dont on croit qu’elle a la structure de la réalité adéquate de l’autre. Le rôle du maïeuticien n’est pas uniquement d’être le sage mais encore doit-il assumer la considération qu’il soit un prêtre non seulement pour son savoir faire mais encore parce qu’il détient les procédures d’une interprétation du monde, de telle sorte qu’on lui octroie l’initiation des profanes pour leur transmettre son interprétation du monde ou comme l’a nommé  Paolo Rossi le « clavis universalis[151] L’humanité depuis la systématisation de la philosophie avec Platon et Aristote, se partage toujours deux explications de la réminiscence. Pour Aristote, cet art a des fins instrumentales. Selon lui la connaissance dérive de l’expérience et c’est le système mnémonique qui juge à partir de sa capacité pratique à fixer les images de ce savoir dans la faculté perceptive ; de sorte que les images mnémoniques n’acquièrent encore aucune correspondance au sens des idées, néanmoins elles sont transportées pour un dépôt sans rapport direct avec l’idée.

Par contre, Platon présente les images mnémoniques comme des expressions et des symboles qui appartiennent à la réalité transcendantale. Et le maïeuticien est apte à se connecter aux visions transcendantales et à les transmettre, donc la valeur des images mnémoniques est due au fait qu’elle soit directement dérivée d’un monde où la connaissance sûre est identifiée avec la compréhension systématique du sens de  l’expérience. Le maïeuticien chez Platon établit le lien entre la réalité idéale et la représentation humaine de cette idéalité. Son effort renforce l’aptitude de l’homme à organiser son savoir selon l’ordre de la réalité transcendantale rappelée. Cette conception de la positivité de la mémorisation a oscillé, durant l’aristotélisme du Moyen-âge et le néoplatonisme de la Renaissance entre l’usage instrumental[152] de la tradition hermétique explorée dans l’astronomie de Bruno, par exemple, et un usage pédagogique et critique dont l’ambition est d’unifier le corpus de la connaissance humaine sur le modèle de la connaissance reconquise par l’effort de la souvenance. Bacon, en méprisant l’esprit magique accordé à l’usage de la faculté mnémonique,  favorise l’esprit scientifique et se concentre sur la classification systématique des sciences de manière à ce que le maïeuticien redevienne le charlatan qui ne dispose que des connaissances modestes de la science et qu’il ne représente plus le sage et le modèle de la connaissance transcendantale.

L’art de la maïeutique a été absorbé par les sciences de la nature quand Vico intervient pour revisiter l’enfouissement de la mémoire humaine dans les œuvres de Dieu en délaissant ce qui est plus utile et plus significatif. Il définit l’imagination par rapport à l’ingegno en disant « l’imagination n’est rien d’autre que la résurgence de réminiscences et l’ingegno  n’est rien d’autre qu’un travail sur des choses dont on se souvient. [153]» Le sens d’une telle aptitude est sa capacité à redécouvrir les structures internes de l’esprit et de ses modifications en rapprochant les similitudes et en réexpliquant les différences. C’est en activant l’art de la réminiscence que l’homme fait l’« économie des choses civiles qu’ils auraient dû l’étudier, en donnant sa pleine signification au mot ‘’divinité’’ qui fut appliqué à la providence et qui vient de divinari, ‘’deviner ‘’, c’est-à-dire comprendre ce qui est caché aux hommes, à savoir la conscience.»[154] Donc l’économie de la mémorisation selon Vico n’est pas uniquement une fin transcendante verticale, mais elle est aussi horizontale vu qu’elle capte les effets de la conscience et de son histoire. Mais cette reconnaissance n’est pas solitaire ou psychique parce qu’elle est véhiculée par les racines des sons et de l’alphabet des langues. Les moyens de la communication humaine facilitent et vérifient l’effort du maïeuticien qui « doit manifester ses ordres [les ordres de la providence] par des moyens aussi faciles que le sont les coutumes naturelles des hommes.[155] » Donc ce ne sont pas les objets et les images de la mémoire vivante qui sont à explorer mais c’est plutôt la mémoire de l’origine de la culture et de la civilisation, celle qui est omise par l’humanité bien que cet effort mnémonique soit plus urgent et plus nécessaire pour évaluer son passé et pour organiser son devenir.

L’homme de la Renaissance adorait la magie de la sagesse de l’antiquité. Les Anciens, pour longtemps sont considérés comme les détenteurs d’un savoir ésotérique qui convient le plus aux choses divines. Or Vico explique que le savoir des Anciens est une connaissance poétique et non pas philosophique et cette rectification du genre s’explique par le fait que « les fables inventées par les premiers hommes sauvages et cruels furent entièrement sévères, comme il convenait à la fondation des nations qui émergeaient de la féroce liberté bestiale.[156] » D’ailleurs la philosophie est une connaissance de raffinement de l’esprit, elle n’est pas première dans le temps et c’est la raison pour laquelle elle a pris en charge l’explication des fables. Mais les mythes qu’elle a expliqués étaient souillés par le décalage des temps de la naissance et les différents usages des milliers d’années passées.

Cependant, la réinsertion de l’art de la réminiscence, chez Vico, n’a pas de  finalité cosmologique, comme chez Platon ou Aristote ; sa fin est plutôt anthropologique et historique du fait que le résultat de cette révision n’est pas une science des faits naturels mais c’est une science de l’ « histoire des idées humaines, d’après  laquelle semble devoir procéder la métaphysique de l’esprit humain.[157] »  Si cet art est considéré jusque là comme une exploration spatiale du sens, c’est Vico qui lui attribue une extension temporelle qui dépasse les techniques inventées par Simonide[158] et perpétuées par les rhétoriciens. Lors de l’usage intuitif de cet art mnémonique, les fins étaient limitées à l’ornement des discours et l’accumulation d’un savoir passif, qui a installé un système mémorial artificiel et mutilé. Il se contentait dans l’âge classique de disséquer la structure et la forme des poèmes transmis par les rhapsodes sans jamais se rendre compte que « il était donc nécessaire que la langue héroïque fût à ses débuts extrêmement désordonnée, ce qui est une des sources principales de l’obscurité des fables.[159] »

Les mots spontanément exprimés dans ces fables, selon Vico, sont la forme des images qui leurs sont correspondantes parce qu’au début de la civilisation l’image et l’idée étaient des synonymes et il n’y avait pas de scission dans leur vision du monde. La mémoire était vigoureuse comme elle l’est chez les enfants de l’humanité. Cette constatation par similitude explique que les premiers hommes faisaient recours à l’association des images et de leurs sons et gestes pour exprimer ou formuler leur approche au monde extérieur qui n’était « rien d’autre que la résurgence de réminiscences et l’ingegno n’est rien d’autre qu’un travail sur des choses dont on se souvient.[160] » Donc la grandiose magie attribuée aux mythes par la Renaissance se révèle avec Vico comme une réponse humaine à des conditions difficiles et inabordables par la langue dans son état avancé d’organisation et de richesse parce qu’ « aujourd’hui la nature de nos esprits civilisés est si détachée de sens, même chez le commun des hommes, par toutes les abstractions dont sont remplies les langues avec tous leurs mots abstraits, elle est si affinée par l’art d’écrire et spiritualisée pour ainsi dire par la pratique des nombres, puisque même le vulgaire sait compter et calculer, qu’il nous est naturellement refusé de pouvoir former la vaste image de cette femme que certains appellent la ´Nature sympathique.[161]» Sa magie n’est plus la gnose mais parfaitement son contraire, la rudesse des origines et la faiblesse de l’esprit vu la dignité qui énonce que la vigueur de l’imagination va de pair avec la pauvreté de l’intellect.

Même quand Vico s’aventure à illustrer son œuvre par le frontispice qui le résume, il l’a suivie par l’ « Idée de l’œuvre » qui n’est qu’une explication de trente-deux pages[162], qui étalent en détails les significations de chaque détail de la gravure. C’est une conduite qui prouve la certitude vichienne en ce qui concerne la faiblesse de l’ingegno de son époque qui s’est enfoncée dans l’abstraction jusqu’à perdre de vue le particulier et le propre des modifications de l’esprit humain. Cette théorie des modifications de mens humain durant le processus de sa formation relie les places aux images et les classes sous les labels de topique et de trope. Les topiques sont les formules chantées par les poètes et que les peuples primitifs identifient comme représentation d’une réalité particulière ou d’un phénomène, ce qui leur fournissait un point de référence fixe parmi les flux des sensations. Et comme les topiques de la poésie antique sont multiples, ils formaient de la sorte l’ensemble structurel de la perception de la réalité antique.

Les topiques étaient en fait le travail préparatoire pour l’émergence des champs de la connaissance. Selon Vico, on ne peut concevoir  le développement du processus cognitif que sous le signe de la métaphore et des tropes si on s’abstient de la prise de conscience de la valeur fondatrice des topiques. Parce que les premières origines de la connaissance étaient  énoncées et maîtrisées par la topique même si ces images étaient ultérieurement interprétées comme métaphore et non pas originairement réelles. Vico décrit la véracité de la topique des poètes qui ont inventé le mythe de Jupiter et donne preuve de sa nécessité à la vie humaine et de l’ordre qu’elle émet réellement, il énonce « telle est la façon dont les premiers poètes théologiens inventèrent la première fable divine, la plus grande de celles qu’ils inventèrent jamais, celle de Jupiter, roi et père des hommes et des dieux, dans l’acte de lancer la foudre ; une fable si populaire, si perturbante et instructive que ceux-là mêmes qui avaient inventé Jupiter crurent en lui et le craignirent, le révérèrent et l’honorèrent dans des religions épouvantables.[163]»

Mais l’usage des métaphores est en lui-même une sélection d’images particulières pour s’approcher des topiques originelles et la capacité humaine d’être  sélective est d’autant plus raffinée qu’elle s’exerce. Avec le temps, notre compréhension des topiques devient de plus en plus extensive de façon qu’elle soit contournée (1) en métonymie  si le texte de la topique se transforme en un effet de soi du lecteur et non pas en une source d’inspiration ; ou (2) en synecdoque de telle sorte que l’ordre du texte se désagrège ; ou encore (3) en ironie quand l’image est prise comme autosuffisante alors qu’elle a le plus besoin du substantif de la topique pour être expressive et cela est le symptôme de ce que Vico considère comme inclination naturelle du mente humain à se  voir dans sa matérialité parce que « l’œil corporel qui voit tous les objets extérieurs à lui a besoin du miroir pour se voir lui-même.[164] »

Le développement de la conscience est, selon Vico, un processus d’abstraction qui creuse une distance de plus en plus grande entre la place exprimée par les topiques et l’image désignée par les tropes ; quand on oublie les origines des métaphores que représentaient les topiques pour les désigner comme des descriptions ironiques dans le discours moderne[165], on tronque le lien qui est immanent à la langue et on délaisse la recherche des racines géographiques et ethniques des mots qu’on utilise. « Le principe d’un nouveau système étymologique pour les mots d’origine certainement étrangère, qui est différent de celui dont on a parlé plus haut[166] pour les mots indigènes. Il peut nous donner aussi l’histoire de nations qui se sont succédées avec leurs colonies sur des terres étrangères.[167]» Donc la rhétorique et ses figures nous rapportent non seulement l’histoire de l’humanité  mais encore sa géographie politique. Considéré sous cet angle le nouvel art de l’analyse étymologique et linguistique devient une recherche rétrospective en faveur d’une connexion constructive entre le présent de notre prose et le passé des images poétiques qui sont à la source effective de toute naissance de l’énonciation constitutive des moyens de la communication humaine.

Dans la logique poétique vichienne, le nouvel art de la réminiscence est une reconstruction du processus imaginatif par lequel les poètes de l’antiquité donnent forme à leur perception du monde. Ces formes sont certainement détectables comme des sources imaginaires au sein de nos propres idées contemporaines. La topique originale est comme un manuscrit dont on a gratté les traces pour réécrire d’autres lettres à leur place de façon qu’il devienne un palimpseste dont les contenus sont superposés l’un sur l’autre indéfiniment et apparemment il tend à conserver son originalité dans toutes les superpositions qui l’alourdissent mais qui gardent trace de chaque couche pour la transmettre à ceux qui prendront la peine de tracer une topologie du microcosme comme du macrocosme de mente humain. 

Vico affirme cette volonté du ‘’faire topologique’’ de son savoir en l’appliquant à la sagesse poétique et en inversant les méthodes de recherche  reconnues jusqu’à lors et il débarrasse « les fables de leurs de leurs significations mystiques pour leur rendre leur signification historique originelle ; et la façon naturelle et aisée, libre d’efforts, de subterfuges et de distorsions, avec laquelle nous y sommes parvenu, prouve la propriété des allégories historiques contenues dans ces fables.[168] » Les significations historiques originelles des fables, comme les restructure Vico, s’avèrent des actes ontologiques de création des images pour donner formes et sens aux phénomènes extérieurs et aux flux des sensations intérieures. Mais avec les modifications des mente et l’avancement de la civilisation, la confusion s’installe entre réminiscence et mimesis ; mimer, c’est répéter l’acte créatif dans le but de découvrir son sens original ; mais l’action comme la décrit Vico en lui  consacrant une vingtaine des années de sa vie d’adulte est presque impossible vu les débordements du dépôt des interprétations sur l’origine de l’acte créateur de l’humanité de l’homme. De là son recours à l’interprétation qui nous habilite pour établir des connections entre les images qui nous sont familières et celles qui nous étaient étrangères parce qu’elles énoncèrent les préoccupations et les visions des premiers hommes.  D’ailleurs la découverte de Nouveau Monde lui est très profitable pour prouver ses présuppositions. Par exemple, dans l’élément II du « Chapitre sixième » de la « Recherche du véritable Homère », il établit une analogie entre les anciens germains et les américains récemment découverts en disant « On constate que les peuples barbares, fermés à toutes les autres nations du monde, comme le furent les anciens Germains et les Américains, conservaient en vers les commencements de leur histoire.[169]»

C’est afin de se forger une voie alternative entre  le dogmatisme des Anciens qui n’arrive pas à topographier les fables et la poésie sublime des fondateurs de la civilisation ; et le scepticisme des Modernes qui nie toute valeur de scientificité à l’intérêt qu’on peut attribuer à la recherche des origines des langues et des formes primitives ou originaires, dans lesquelles le mente humain s’est manifesté. Le long labeur vichien se révèle innovant dans le sens que sa philosophie présente des anticipations multiples à la pensée contemporaine telle que l’herméneutique comme science de l’interprétation non uniquement des textes sacrés mais aussi de tous les signes propres à une culture.

Vico découvre le processus herméneutique en tant qu’une compréhension métaphorique des anciens à qui Hermès a dévoilé les secrets de l’art de la communication. Cette découverte lui permet de voyager dans des endroits qui lui sont étrangers et de remédier à la myopie des Modernes en annonçant qu’il n’est pas  raisonnable de défier Homère ou de le glorifier parce que Homère a interprété son monde avec une créativité propre au mente humain qui tend naturellement à créer des nouvelles images pour expliquer les nouvelles expériences. Alors que les images créées par Homère ne sont plus adaptables à la réalité de l’homme actuel, c’est aux philosophes contemporains de revisiter le sens commun de l’homme dit moderne pour se faire une compréhension sûre de la nature humaine. Ils doivent partir de ce qui leur est quotidien, c'est-à-dire l’abstraction, la richesse de la langue et la diversité des langues, pour remonter aux idiomes de la poésie étrangère du passé de façon qu’ils restructurent avec leurs moyens sophistiqués les images de leurs prédécesseurs afin de se faire une idée humaine de soi-même tout en s’appliquant à l’exigence de « l’ordre des idées humaines [qui]  est d’observer les similitudes des choses, d’abord, pour s’exprimer, ensuite pour prouver et cela en se servant d’abord, à titre de preuve, de l’exemple, qui se contente d’une seule similitude et finalement de l’induction, pour laquelle il en faut plusieurs.[170] »

Autrement dit les philosophes contemporains sont appelés à ressusciter l’esprit socratique pour pouvoir corriger leurs préjugés qui leur ont inculqué l’handicap de juger avant de chercher les preuves dans la réalité des faits historiques et philologiques. Alors qu’en remontant vers leurs ancêtres, les gardiens de la topologie linguistique[171] les philosophes sauront boucler le cercle herméneutique en ravivant l’art de la réminiscence et l’ingegno de l’acte créatif de la mémoire. Cette vitalité exigée à des fins vitales de la philosophie qui recherche à échapper à son aliénation et qui jusque là est consumée par des « sentences abstraites [….] parce qu’elles contiennent des universaux et les réflexions sur les passions sont le fait de faux et froids poètes [172]» alors que les vraies sentences poétiques sont sublimes et expriment de vraies passions humaines. Et c’est la raison pour laquelle on ne parvient à sauvegarder la justice et l’équité naturelle qu’en ravivant l’humanité de l’homme et qu’en étant réellement ou véridiquement préoccupé par ce qui est de l’ordre du sens commun et des utilités de l’homme.

Or la philosophie au cours de la majorité des étapes de son histoire s’est préoccupée d’un monde plus subtil et plus raffiné que celui du monde vécu par le commun des mortels tout en prenant en charge de répondre à des préoccupations pratiques telles que la justice, l’équité, le bonheur et la différence. Mais l’insuffisance que critique Vico se situe à un certain niveau de la scission entre le pratique et le théorique, l’aboutissement et la genèse. Quelles solutions propose-t-il pour que le philosophe remédie à cette scission et pour que la saisie de la genèse devienne congruente avec la complexité et la diversité des réalités humaines ?

 

3.3- La contextualité de la science de l’homme

 

Vico conseillait ses élèves, en 1732, en disant « pendant le cours de vos études, ne vous consacrez à rien d’autre qu’à une comparaison continuelle entre toutes les choses que vous apprenez, afin de créer entre elles des rapports qui leur permettront à toutes de s’harmoniser avec les disciplines que vous étudiez […] une fois que vous aurez aussi acquis la capacité de comparer les sciences qui, comme des membres célestes, composent le corps divin du savoir dans toute sa plénitude.[173] » Ce conseil se centre autour de l’esprit critique et comparatif qui doit puiser dans ce qu’il reçoit pour établir un contexte, un lien dans lequel l’étudiant ou l’apprenant n’accumule pas des données mais construit un système relationnel parce que l’apprenant ne peut s’approprier, c'est-à-dire comprendre une donnée qui lui est étrangère comme étant des choses particulières et des champs d’investigation épars qu’en la construisant ou qu’en créant une harmonie au sein d’un tout. Par le même conseil, Vico se place à un niveau critique de la tendance des modernes à faire de toute chose particulière, système alors que la classification et l’hiérarchisation du savoir ne peut se faire qu’après le cumul comparatif de l’apprentissage et de la reconstruction des schèmes cognitifs appropriés. Comment peut-on donc comprendre son incitation à comparer et à harmoniser si ce n’est pas dans le sens d’édifier des caractéristiques appropriées pour les divers champs d’études ? Est-ce que, selon Vico, la contextualité du savoir se veut libre de toute construction statique ?

Ce qu’on veut étudier dans ce lieu, ce n’est pas la systématisation de l’œuvre vichienne et sa normativité mais la notion de contexte à l’intérieur du dire vichien en tant que finalité de la compréhension humaine des faits et des idées. Avant Vico, Platon asserte dans l’Apologie de Socrate qu’il appartient au lecteur de  penser par  soi-même et de faire preuve d'intelligence afin de faire vivre le discours écrit comme il revient à l'auditeur d'être raisonnablement réceptif et critique à l'égard du discours oral.[174] Or au XVIIIe siècle, le lettré ne prend plus en charge le sens commun et le récepteur profane du discours « épistémique ». Cette marginalisation de la tâche de la persuasion chez le lettré crée une propension aux systèmes fermés de façon, nous dit Vico, que de chaque chose particulière on est prêt à inventer une nouvelle méthode et un système des notions sans pour autant créer des nouvelles connaissances. C’est une aptitude à penser en monade et à créer des néologismes pour exprimer des idées anciennes. Or si nous « réfléchissons aux rapprochements qui ont été faits tout au long de cet ouvrage, sur de nombreux sujets, entre les premiers temps et les derniers temps des nations anciennes et modernes.[175] » On découvrira une nouvelle science qui édifie le tout du savoir sans marginaliser la culture et les mentalités au sein desquelles les choses particulières et les liens qui les rattachent les unes aux autres constituent un édifice qui tient compte de la complexité des vies humaines et de la multitude des approches qu’on doit adopter pour parvenir à la Science. Néanmoins, Vico ne présente pas une collecte linière des sciences classées selon un ordre comme dans la conception des encyclopédistes, « selon laquelle l’unité du savoir humain n’est pas l’unité d’une diversité, ni l’unité d’un tout par rapport à ses parties, mais une unité de continuité entre les parties, là où on peut la trouver.[176] »

La Scienza nuova, désigne deux axes nécessaires à la contextualité. Les hommes au cours de leurs évolutions véhiculent deux modifications, une au niveau de leur mente et l’autre au niveau de leur quotidien qui est modulé selon un savoir. C'est-à dire dans le fait de la convertibilité entre factum et verum qui implique l’intérêt humain de s’approprier ses propres œuvres. Tout ce qui est fait dans un contexte humain, aussi étranger que l'homme soit, ne doit pas être traité au sens de la chose physique. La différence de statut entre la chose naturelle de l’univers,  qui est l’œuvre de Dieu et ce qui est expliqué et traité par l’homme afin de répondre à ses besoins et ses utilités, devient critère de différenciation entre les domaines de la connaissance humaine. Vu qu’il touche simultanément à la structure de l’esprit humain et à sa condition de vie réelle.  Le simple usage de la langue pour exprimer la chose naturelle la transfère dans la sphère humaine donc dans un contexte là où l’alphabet est créé et utilisé. Le temps, l’espace et la culture interviennent pour donner forme et sens à la chose de telle sorte que le sens de tout texte s'affecte en conséquence par un renvoi à un contexte culturel, à un âge,  à une histoire faite par l’homme. Afin de comprendre une expression, il faut donc la situer dans son contexte historique. L'effort de Vico, à ce stade, revient alors à vouloir donner un statut de science possible à la connaissance de toute réalité conditionnée historiquement. Ce n'est qu'à partir du moment où nous nous élevons au-dessus de nos préjugés, liés à notre époque et notre propre culture, que nous pouvons saisir le sens humain octroyé à une institution, à une parole et même à une croyance. Interpréter revient alors à cheminer vers une compréhension de plus en plus profonde de la nature  humaine en tant que genre. Et c’est la forme selon laquelle Vico distingue entre expliquer et comprendre.

Vico ne cherche pas à développer une méthodologie propre à chaque  science, comme l’ont fait ses contemporains, mais il tend à élaborer une plate forme pour s'entendre sur ce que les sciences dites de la nature sont en vérité par-delà la conscience méthodique qu'elles ont d'elles-mêmes et sur ce qui les rattache à la vision du monde à tout moment du développement du savoir humain dans sa totalité. C’est une constitution ontologique de la compréhension humaine où le sujet apparaît propriétaire d’une tradition, des coutumes, des lois et des institutions en général. C'est à partir de notre contexte et de notre perspective historique que nous sommes amenés à comprendre le faire de l’homme et que nous entrons dans l’humanité de l’acte en dialogue. Une fois l’homme devient apte à établir ce dialogue, il devient possible de respecter la contextualité du savoir humain en édifiant une unité propre au savoir qu’il acquière de tout temps dans l’effort. C'est-à-dire édifier un arbre de connaissance capable de fleurir avec le temps et les modifications des mente sans pour autant omettre ou tracer une courbe dans laquelle les ruptures sont synonymes d’obstacles épistémologiques. On n’aura plus, donc, à sélectionner des sciences qu’on chasse de la scientificité vue notre incapacité de comprendre la chose humaine dans son dynamisme. La contextualité de la production scientifique est une conséquence d’une première contextualité. Celle-ci  est inhérente au fonctionnement de l’assimilation de l’homme durant son histoire et lors de sa production spécifique du sens. Ce dérivé de la conscience humaine, donc, n’est pas  une fin en soi mais il est le moyen qui exprime une ingéniosité et qui n’est pas forcement rationnel, l’ingéniosité est plutôt attribuée à une imagination inventive historiquement modelée.

La philosophie vichienne ne prescrit pas une méthode exemplaire pour tracer des  limites entre les choses produites (les sciences) et leur faiseur (l’homme). Il n’y a, donc, que l’homme qui ressent le besoin de faire et de certifier ses institutions. C’est à ce niveau que Benedetto Croce qualifie d’échec la distinction entre les disciplines[177], et que Giorgio Tagliagozzo asserte que  « si on me demandait quel est le penseur de tous les temps qui peut nous aider le plus dans notre tentative de résoudre le problème, si urgent à notre époque, de l’Unité du Savoir, je répondrais sans hésitation que ce penseur est Giambattista Vico[178]» Ces paroles sont émises lors de la systémique et du plus grand éparpillement des sciences, c’est dans l’éclatement épistémique du XXe siècle, que cet auteur propose l’arbre des connaissances et la contextualité vichienne pour identifier et harmoniser l’effritement du savoir qu’on vit au quotidien alors que toute parcelle nommée science dérive d’une autre source et nourrit une autre branche dérivée.

Toutes les classifications des sciences en arbres de la connaissance visent l’unité du savoir humain. C’est pour approfondir cette conception de l’harmonisation des savoirs que Vico ne se contente pas d’élargir le tronc de l’arbre de la connaissance qui symbolise la métaphysique de l’esprit humain, trois branches principales en sont issues, en raison de la découverte par Vico de « l’âge des dieux dans lequel les hommes païens crurent qu’ils vivaient sous des gouvernements divins et que toute chose leur était commandée par les auspices et les oracles, qui sont les plus vieilles choses de l’histoire profane ; l’âge des héros, dans lequel ceux-ci régnèrent partout dans  des républiques aristocratiques, au nom d’une certaine  supériorité de nature qu’ils estimaient avoir sur les plébéiens ; et finalement, l’âge des hommes, dans lequel tous se reconnurent égaux en nature d’homme.[179] » L’arbre de la connaissance renvoie historiquement à trois métaphysiques, l’une jaillissant de l’autre par le biais des langues ou, selon le lexique vichien, des institutions humaines. Ainsi par cette historisation de la métaphysique, on peut distinguer dans chaque branche des caractères divins, d’autres héroïques et enfin humains ou de la théologie naturelle, de la métaphysique grossière et la métaphysique. En statuant la sagesse poétique qui est toute à fait ordonnée selon le même ordre de l’arbre de la connaissance, il remarque qu’elle  «se ramifie comme d’un tronc, une branche qui est celle de la logique, de la morale, de l’économie et de la politique, toutes poétiques ; et une autre branche, la physique, mère de la cosmographie et par conséquent de l’astronomie, qui donne leur certitude à ses deux filles, la chronologie et la géographie – toutes également poétiques.[180] » Donc de tout temps l’homme s’est appliqué pour instaurer des objectifs communs à la connaissance. Ce qui est d’une importance fondamentale pour tout système de transmission des savoirs. En s’interrogeant sur les divinités, l’homme édifie une multitude de champs du savoir pour répondre à ses besoins et utilités ainsi que pour satisfaire son ingéniosité. Dès lors, on peut inférer  que l’homme n’a jamais été unidimensionnel et par conséquent que ses connaissances ne peuvent être que pluridimensionnelles, donc elles répondent à une réalité complexe et des besoins multiples selon le réel historique et linguistique qui les crée et qui modifie la conception de l’homme de ces mêmes besoins et utilités. D’où la nécessité que le sage rapproche les disciplines et se ressource auprès des idiomes et des langues vulgaires qui étalent l’ancrage original dans la condition humaine afin d’éviter au citoyen lettré de s’aliéner dans les spécificités des sciences sectorielles.

Le caractère interdisciplinaire du savoir à transmettre chez Vico, est la résultante de ses comparaisons entre les Anciens et les Modernes, qui ont largement contribué à distinguer l’histoire des idées humaines du processus réducteur de la pensée moderne. Pour justifier cette nécessité du retour à la contextualité de la naissance pluridisciplinaire des idées moyennant la certitude d’une chronologie et d’une géographie métaphysiques c'est-à-dire d’un contexte et d’un environnement humain identifiés, Vico précise que  le « second aspect principal, [de] cette Science est une histoire des idées humaines, d’après laquelle semble devoir procéder la métaphysique de l’esprit humain. Cette reine des sciences, selon la dignité qui veut que les sciences doivent commencer là où commence leur matière[181] », débuta au moment où les premiers hommes commencèrent à penser humainement, non pas au moment où les philosophes commencèrent à réfléchir sur les idées humaines (comme il est dit dans un petit livre érudit et savant intitulé Historia de ideis, sorti récemment et qui nous mène jusqu’aux derniers controverses qui ont eu lieu entre les deux grand esprits de notre temps, Leibniz et Newton). » Vico fait allusion au livre de Jakob Brucker (1696-1770) dont l’histoire des idées est réduite à celle des « doctrines » philosophiques. Suivant la mode d’une  modernité qui s’est prononcée en faveur de la radicalité rationnelle. L’homme moderne se dit essentiellement un être rationnel. Ces œuvres dorénavant ne peuvent être gérées que par l’unique raison qui excelle dans le traçage des limites des champs d’investigations sectorielles et l’échafaudage des spécifications disciplinaires.  Lors de la délibération sur les choses humaines, le moderne doit se tourner vers les sciences mécaniques et plus tard dynamiques pour se prononcer sur ce qui est vérifiable par la raison et ce qui est injustifiable ou irrationnel selon les schémas du langage savant et technique.

Déjà, avec Galilée et Descartes les chaines des raisons doivent être démantelées en des éléments simples pour être compréhensibles. L’arbre de la connaissance selon Descartes est constitué par un ensemble des systèmes « dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes des autres sciences » (les trois principales sont la médecine, la mécanique et la morale). Or dans l’Arbre de la sagesse vichienne figurent à leur place les principes fondamentaux de toutes les sciences qu’il est indispensable de maîtriser pour accéder à la connaissance globale. Vico a pour but d’amener l’homme à la connaissance de soi par le biais de ses découvertes des branches de la sagesse et des sciences selon leur contexte historique et culturel afin d’instaurer des méthodes ou selon le langage vichiens des ordres [ordini] nouveaux pour acquérir une connaissance optimale de l’âme humaine et de la science en tant qu’un engendrement caractéristique mais non déterminant de l’humanité de l’homme. La Science nouvelle, nous dit Max Harold Fisch, découvre l’ancien monde des sciences, leur grossièreté primitive, leur affinement  graduel, jusqu’au moment où elles ont atteint la forme où nous les avons reçues.[182] C'est-à-dire une forme là où la complexité des connaissances et du réel qu’elles désignent, ne permettent plus le démembrement exigé par la solution ou le classement cartésien et même baconien mais elles dépeignent un arbre du savoir global. C'est-à-dire aussi des civilisations et des cultures faites par l’homme pour être au service de son ingegno d’être au sein des siens et d’épouser leurs soucis et leur besoin d’être dans le temps tel que l’a fait Homère.

Néanmoins, quand Vico distingue dans son édifice entre trois sortes de natures : divine, héroïque et humaine, il n’hésite pas à donner aux sciences de chaque nature les mêmes noms que celle de la précédente. Donc les sciences qui ont concrétisé la vision du monde antique ne sont pas jugées comme invalides ou en tant qu’erreurs et obstacles mais comme des sciences de la naissance des savoirs d’aujourd’hui.  Les premières natures sont considérées comme les précurseurs « poétiques » des dernières ; ce qui lui permet de découvrir une correspondance générique entre les sciences anciennes et celles des modernes. Ce raisonnement  met en évidence la science vichienne qui découvre le caractère historique du monde des sciences, leur grossièreté primitive, leur perfectionnement adapté, jusqu’à ce qu’elles aient atteint la forme des sciences modernes tout cela vérifie l’ « idée d’un dictionnaire mental donnant leurs significations à toutes les langues articulées, qui les ramènerait toutes à certaines idées, uniques en substance, mais qui, considérées par les peuples avec des modifications diverses, ont été exprimées par eux avec des mots différents.[183] »  Ce dictionnaire, tel qu’il est conservé par l’usage des langues vulgaires, des sentences et des coutumes populaires servira de référence pour décrire l’arbre de la connaissance dont les racines se cristallisent dans le mente humain artisan du « monde de la société civile » et dont la subdivision est les modifications de mente humain. Ainsi, les trois branches principales du savoir humain sont la « Sagesse religieuse », la « Sagesse poétique » la « Sagesse humaine » qui sont, également, constituées de sciences aux noms similaires. En conséquence, il est tout à fait compréhensible que le nom de chaque science apparaîtrait dans l’Arbre trois fois, selon la nature de l’esprit qui l’a crée et selon les modifications propres à cet esprit. Ces trois apparitions indiquent l’histoire dans laquelle ces sciences s’actualisent en acquérant une signification autre que celle de la naissance et de la jeunesse. Suivant cet ordre, Vico comprend l’établissement et l’évolution des sciences de l’homme et simultanément les modifications du rapport que l’esprit humain établit avec sa propre production. Á ce propos il avance : « Nous trouvons donc que les mystères de cette sagesse populaire étaient cachés dans les fables, ce qui nous amène à réfléchir sur les causes pour lesquelles les philosophes eurent par la suite un tel désir d’atteindre la sagesse des Anciens, ainsi que sur les occasions que ces mêmes philosophes y trouvèrent de méditer les choses les plus hautes en philosophie et sur les commodités qu’ils eurent d’introduire dans les fables leur propre sagesse absconse .[184] » Ainsi le contexte, dans lequel les poètes théologiens ont vécu, a fait qu’ils se fassent une vision du monde poétique où ils ont exprimé leurs passions et leurs attentes et prévisions dans une sagesse que Vico qualifie de vulgaire. Le changement du contexte vital et l’adoucissement des mœurs ainsi que l’évolution des utilités et des besoins de l’homme ont fait que « les philosophes comprirent plus tard selon le mode de la sagesse ésotérique ». Mais un tel changement n’a pas effacé de l’esprit les autres modes selon lesquels les connaissances ont été acquises. Ce qui permettra à  l’homme de comprendre l’autre homme même s’il n’appartient pas au même environnement culturel ou encore au même stade de la géographie historique. Donc l’arbre du savoir chez Vico s’identifie à l’histoire des idées humaines qui s’approfondissent avec le temps et l’expérience de l’homme dans le monde, sans pour autant se détacher de la forme humainement octroyée par le biais du langage.

La tentative vichienne de systématiser la pensée autour de l’histoire des idées et par conséquent l’histoire des mentalités et des sciences que l’homme élabore se veut une décentration de la modernité qui s’est focalisée sur une seule possibilité d’être qui est la sienne. C'est-à-dire celle d’une société en pleine expansion prête à se mettre au service des sciences de la nature pour assouvir son illusion de progrès perpétuel. Alors que dans ce même contexte les explorateurs et bien avant le XVIIIème siècle, commencèrent à rapporter des récits des rencontres et des propos concernant des autres contrées et des indigènes tout à fait incompréhensibles dans l’état de la vanité de l’esprit de leurs concitoyens européens. Quand Vico rappelle que «tout comme la métaphysique poétique était précédemment divisée en toutes les sciences subalternes, chacune d’elles participant de la nature poétique de leur mère, ainsi cette histoire des idées (la Science nouvelle) présentera les origines grossières des sciences pratiques en usage parmi les nations et des sciences spéculatives qui sont à présent cultivées par les savants.[185] », c’est pour mettre en place une conscience de l’originalité de l’homme faiseur des sciences, et de l’autre face la naissance grossière des sciences qui font exclusivement et extérieurement la fierté de l’homme moderne.

 L’entreprise de la totalité est une manifestation de la chose commune qui rassemble les faits particuliers. C’est cette vision des choses particulières comme étant sans connexion entre elles qui justifie la considération cartésienne de la « bête humaine ».  Ce sont les décombres du cosmos grec qu’on doit chercher à rétablir sans pour autant boucler le cercle, c'est-à-dire sans délester les découvertes de l’univers  pour pouvoir recréer à l’homme son univers non celui de l’homme machine mais plutôt celui qui est digne de son système ouvert de création et de son aptitude de donner forme à un système « dans lequel toutes les choses singulières et particulières convergent et dont elles dépendent ». Cette aptitude systémique servira à établir l’interconnexion entre les faits de façon à vérifier la nouveauté des concepts et leurs correspondances aux utilités humaines. Le «  vrai  prend ainsi la place légitimement réservée à la question du Probable, mais en même temps on empêche de voir en quoi consiste une preuve scientifique – on ne voit plus que « les maigres restes – avanzi – de l’idée d’une preuve démonstrative.[186] » Vico cherche incessamment à comprendre la relation entre les faits concrets et leur contexte  pour pouvoir éviter la confusion entre le probable  et le vrai, vu que seul le procédé de la contextualité permet d’identifier les limites de la vérification.

C’est en explorant les racines de la langue humaine que Vico tente de découvrir cette contextualité entre les faits et la nature de l’homme qui l’a fait.  La langue couvre et découvre l’homme selon sa richesse ou sa pauvreté. En l’absence du langage Vico nous informe que « les muets s’expliquent par des actes ou des corps qui ont des relations naturelles avec les idées qu’ils veulent signifier.[187]» Cet état de difficulté de la communication n’est pas l’état commun de la culture parce que celle-ci commence par la transmission de leurs impressions par le chant et par les monosyllabes, ensuite l’humain se manifeste sous forme d’un parler articulé qui se limite uniquement aux utilités et aux besoins rudimentaires des premiers hommes. Ainsi le langage représente la première forme transmissible de la sociabilité de l’homme ce qui veut dire de son humanité. En ce sens Vico écrit « cette dignité est un grand principe d’étymologie, car c’est selon cette succession des choses humaines que doit être racontée l’histoire des mots des langues indigènes.[188]» Donc s’enfermer dans une langue technique ou de spécialité tout à fait étrangère à celle du sens commun ne servira qu’à placer des barrières infranchissables entre les différentes branches du savoir et les recherches effectuées à un certain temps pour répondre à un certain besoin de la communauté.  Alors que l’éducation interdisciplinaire permet à l’apprenant de rapprocher les spécialités et d’adoucir leurs tendances accentuées de s’enfermer dans une conceptualisation artificielle incommunicable entre les profanes pour les adapter au langage commun, donc leur rendre la qualité de la communicabilité qui est à même de les situer par rapport à l’arbre du savoir global. 

 

Conclusion

 

Vico plaide l’initiation des jeunes à la topique et à la critique afin d’affranchir la culture générale de l’emprise de la mode et d’élever les futurs citoyens à une prise de conscience de leurs rôles futurs et de l’ensemble des ambiguïtés possibles de la réalité sociale. Il attribut à la mémoire la positivité de son rôle celui de mémoriser l’utile et le certain, il réhabilite l’inventio de la phantasia et équilibre les prérogatives de l’éducation des savants de la République des Lettres comme des futurs administrateurs de la cité à « user de la prérogative de notre temps », selon les dires de Bacon. A l’encontre de l’esprit moderne, Vico prend conscience de la scission qui commence à s’installer  à un certain niveau entre le pratique et le théorique, l’aboutissement et la genèse. Cette scission est due à l’esprit du mécanisme qui vient gangrener la vie pratique des esprits modernes qui excellent dans l’abstraction et marginalisent le sens commun, la tradition et tout ce qui se rapporte aux utilités et aux besoins sociopolitiques de la vie quotidienne. Afin de remédier à cette déviation qu’il traite comme un état symptomatique de la barbarie réflexive, Vico élabore l’arbre du savoir global dans lequel il trace les différents contextes historiques en insistant tout au long de la Scienza nuova sur les caractères poétiques et par conséquent sur l’âge héroïque. Cette insistance se présente comme une réponse évidente à ce qu’il qualifie de vanité des nations et des savants. 

Enfin, il présente les langues comme étant la mémoire du monde fait par l’homme qui transporte sa contextualité et la transmet sous sa forme générique. C’est le principe étymologique selon lequel Vico a fait sa découverte de la pluralité des cultures et des civilisations humaines et de l’interdisciplinarité du savoir humain. 

 


Conclusion générale

 

Vico s’installe dans la Querelle des Anciens et des Modernes parce qu’elle porte en elle une scission qu’il identifie comme étant compromettante du devenir humain. Les Anciens et les Modernes se querellent tout autour de la pérennité ou de l’obsolescence de la présence d’Homère, dans un contexte où tout l’effort de la société savante se sacrifie en faveur du progrès scientifique et technique pour une nouvelle appartenance. Cet état polémique permet à Giambattista Vico d’élaborer une vision globale des problèmes de ses contemporains. En se ressourçant des classiques surtout de la philosophie platonicienne et néoplatonicienne ainsi que de Francis Bacon,  il  diagnostique le malaise de la civilisation qui est la sienne et prépare un traitement par son rappel du centre autour duquel les sociétés savantes doivent s’unifier. C’est la créativité sous sa forme culturelle qui doit être l’aboutissement de l’effort savant, vu que cette créativité est le chemin par lequel l’homme atteint son humanité. Les découvertes de Vico au cours de l’élaboration de son diagnostic dans la Scienza nuova se révèlent innovantes vu que sa découverte du vrai Homère dépasse la polémique de son temps pour tracer l’acte de l’humanisation de l’homme à travers des temps superposés et des géographies éloignées dans le temps et dans l’espace, et à travers l’histoire de l’ingéniosité humaine, l’Homère des grecs s’avère semblable à l’Homère des Américains récemment découverts par les voyageurs et les marchands européens. Même si les noms changent, les caractères sont uniformes. Ce principe, selon lequel des idées uniformes naissent dans des contextes similaires chez des peuples qui ne se connaissent pas auparavant, permet à Vico d’élaborer une constante historiographique qui lui permettra d’inventer un dictionnaire mental unifié. 

Au niveau de la théorie de la connaissance, le principe de la convertibilité du verum et du factum s’avère corrélatif à la faisabilité d’un tel dictionnaire mental en ce sens que l’œuvre humaine est un texte qui s’offre à la lecture. Il suffit de faire attention aux institutions humaines pour découvrir les idées et les passions qui ont véhiculé cette réalisation, comme il suffit de lire un poème ou une prose pour découvrir et imaginer les mœurs et les institutions d’un peuple. Tout ce savoir est possible à condition de faire un travail sur soi même et de dépasser les préjugés résultants des vanités des nations et celles des doctes. Ce mal saisit par Vico sous le  nom de vanité représente dans la Scienza nuova l’obstacle qui a retardé la naissance d’un savoir fondamental pour la connaissance de soi chez les Anciens et les Modernes et qui est l’histoire commune des nations. Cette connaissance est nécessaire à la science de  l’homme vu qu’elle représente la totalité contextuelle et complexe du sens de la condition humaine comme elle nous enseigne sur les cheminements dans lesquels les hommes ont crée le sens de la vie qu’ils mènent.

Ainsi, le propre de la pensée vichienne est la critique adressée à la modernité du XVIIIème siècle. Cette critique est jugée comme étant « à contre courant » ou « antimoderne » parce qu’elle n’a pas épargné le rationalisme cartésien comme le jus naturalisme ainsi que l’embryon des tendances technologiques que l’homme est en train de vivre de nos jours, tout en rétablissant des valeurs que les doctes modernes ont prétendu dépasser tels que le sens commun, la tradition et toute la genèse de la créativité humaine. Dans son édifice critique la Scienza nuova parcourt une multitude de champs cognitifs pour trouver les raisons de la scission entre les sciences des doctes et le sens commun, entre la raison et nos autres facultés. Cette recherche permet à Vico de transgresser les limites tracées par la science moderne pour forger un champ de savoir dont la profondeur englobe toute l’œuvre humaine. Cette archéologie du savoir-faire humain éclaire ce qui était occulté par les sciences modernes. C’est la naissance de la connaissance humaine dont l’historisation devient le principe qui permet à l’homme de transmettre un savoir ‘’certain’’. La certitude est vérifiable par le biais de la confrontation avec le réel vécu en tant qu’ tout. C'est-à-dire en tant que contexte dont les particularités et l’état de l’esprit humain sont les témoins de la cohérence et de la faisabilité. Celles-ci sont traduites dans des œuvres et des institutions perpétuées par le biais des langues et coutumes socioculturelles.

Si on considère la structure des énoncés constitués par les éléments, les dignités et les démonstrations, la Scienza nuova, dans son architecture est géométrique ; et même davantage, cette œuvre réconcilie l’architecture avec le fond sémiotique qui innove les recherches concernant la créativité poétique. Dans cette réconciliation, Vico désigne la primauté du rôle du langage dans la transmission du ‘’certain’’ et il adapte son œuvre au goût des ses lecteurs potentiels, c'est-à-dire ses contemporains. Ce qui veut dire que sa participation à la conjoncture de la Querelle n’était pas uniquement une résultante historique dans le sens où il a coexisté lors d’une crise de passage d’une mentalité classiciste à une autre moderne ou différente, mais elle relève, essentiellement, d’une initiative de dépassement des éléments d’une mentalité désorientée vers un champ de recherche qui n’était pas encore défriché et ne le sera qu’au XIXème siècle. Le projet de la Scienza nuova repose donc à la fois sur la recherche d’une synthèse entre la science moderne et la sagesse antique et ancienne et sur celle d’une nouvelle relation entre l’homme et son œuvre non en tant qu’outil de maîtrise de la nature -l’autre homme dans ce cas faisait partie de la chose naturelle qu’on veut maîtriser et exploiter- c'est-à-dire de la technologie mais dans le sens d’une auto-compréhension de la nature humaine non comme donnée universelle et constante mais en prenant en compte les «tortuosités de la vie», les spécificités de la nation et les visées de la Providence « immanente à l’action humaine ». C’est la raison pour laquelle Vico refuse la confusion entre l’art politique et la technique et avance une critique générale des postulats initiaux de la philosophie pratique moderne, et essentiellement au niveau de la politique éducative. Il met en évidence que la chose humaine est faite avec une réalité qui dépasse celle de la géométrie dans la même mesure où les ordres qui concernent « les affaires humaines ont une réalité qui dépasse celle des points, lignes, surfaces et figures »[189]

Vico précise son héritage méthodologique, en se référant à Bacon, dans le cadre d’une description des « preuves philologiques » qui aboutit à l’impératif d’une convertibilité entre le fait et l’idée. Il intègre les « preuves philologiques », comme étant des moyens de falsification des hypothèses philosophiques abstraites dans lesquelles la raison philosophique se ressource du réel particulier pour comprendre la chose humaine. A l’évidence, de l’étude de la nature à la recherche historique, les contenus sont différents. Pour sa part, le moderne ne chercherait certainement pas à corriger l’érudition pour modifier ou pour  voir sous un nouveau jour la perception de l’Antiquité et il la rejette dans sa totalité en imposant la « laborieuse chasse aux conjectures » qui définit la philologie des textes anciens. Mais Vico édifie les ponts connecteurs de la visée de cette nouvelle science pour mieux adapter les découvertes récentes des sciences de la nature à un savoir plus original qui est l’œuvre de l’homme dans ses dimensions historiques et culturelles. Les critères de l’esprit scientifique se montrent tellement parents qu’ils en deviennent très directement transposables. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit avant tout de retrouver les choses derrière le voile des préjugés. Les modernes ont chassé les préjugés de l’anthropomorphisme des anciens. Mais  si « l’anthropomorphisme consiste à attribuer faussement un esprit et un vouloir humains au monde des objets inanimés, on peut admettre, en revanche, qu’il existe un monde qui peut revendiquer à bon droit, ces mêmes attributs, à savoir le monde de l’homme.[190] » Vico annonce que, ce que ses contemporains ont ignoré, est beaucoup plus vital, voir que l’« œil corporel » de l’homme « voit tous les objets extérieurs à lui [et] a besoin d’un miroir pour se voir lui-même ». Par ces mots, Vico suggère qu’il n’existe aucune relation d’exclusion, qui serait insurmontable au moins sur le plan de la méthode, entre ces deux facettes du «monde », le monde de dedans et le monde de dehors, de l’intérieur et de l’extérieur. D’ailleurs, le savoir de la chose humaine est plus ‘’certain’’ que celui de la chose naturelle, voir  qu’il est impossible à l’être humain d’être ignorant en ce qui concerne ses propres affaires, parce qu’il voit ses choses «de l’intérieur». Mais c’est le réductionnisme par inclination à « l’idéal d’une science unique, embarrassant tout ce qui est, au moyen d’une seule méthode universelle de recherche » qui a longtemps aveuglé l’homme afin que la condamnation de Socrate soit perpétuelle.

Le dépassement des mots d’ordre de la modernité « un seul modèle », « une science harmonieuse » nous permet à travers les écrits de Vico de penser déjà la capacité de communiquer entre les ethnies et les différents parce que Vico nous trace les pistes de cette possibilité : nous savons saisir, directement en quelque sorte, le sens et l’intention des paroles des autres, de leurs gestes, des signes et des symboles qu’ils formulent.

 


Bibliographie

 

I-Sources

-Œuvres choisies de  Vico, trad.  et présentées par Jules Michelet, Paris, Hachette, 1835

- Vico, Giambattista,   De la très ancienne philosophie des peuples italiques = De antiquissima italorum sapientia, trad. du latin Georges Mailhos, Gérard Granel, Mauvezin (Gers), Trans-Europ-Repress, 1987

- Vico, Giambattista,   L'antique sagesse de l'Italie, trad. du latin Michelet (1835), rev. et présentation Bruno Pinchard, Paris, Flammarion, 1993

-Vico, Giambattista, La science nouvelle (1725), trad. Par Christina Trivulzio, Paris, Gallimard, 1993

- Vico, Giambattista, La Science nouvelle, principe d’une science nouvelle relative à la nature commune des nations, 1744, préf. et trad., A. Pons, Paris, Fayard, 2001

-Vico, Giambattista,  La Scienza nuova : giusta L'edizione 1744 1730 con le varianti delL'edizione del 1730 e di due redazioni intermedie inedite,  e corredata di note storiche a cura di Fausto Nicolini,  Bari, Laterza,  1913-1916

- Vico, Giambattista,  Vici vindiciae, présentation et trad. du latin par Davide, Paris, Allia, 2004

- Vico, Giambattista,  Vie de Giambattista Vico écrite par lui-même ; Lettres ; La Méthode des études de notre temps, éd. Alain Pons,  Paris, Grasset, 1981

 

 

 

 

II – Etudes

Ouvrages consacrés en tout ou en partie à Vico

-Berlin, Isaiah, A contre courant : essais sur l’histoire des idées, trad de l’anglais par André Berelowitch, Paris, Michel Albin, 1988

-Berlin, Isaiah, Le bois tordu de l'humanité : romantisme, nationalisme et totalitarisme, Thymbres, Marcel (trad.), Paris, Albin Michel, 1992. 264 p. (Bibliothèque A. Michel. Idées)

-Caponigri, Robert, Time and Idea : The theory of history in Giambattista Vico,  Chicago,  Henry Regnery Company, 1953

-Chaix-Ruy, J., J.-B. Vico et l’illuminisme athée, Paris, Ed. Mondiales, 1968.

-Chaix-Ruy, J., la formation de la pensée de Jean-Baptiste Vico (1668-1744), Gap, Louis Jean, 1943.

-Cristofolini, Paolo, Vico et l’histoire, Paris, Puf, 1995 (Philosophies, 58).

-Croce, Benedetto, La filosofia de Giambattista Vico, 3 ediz, riv, Bari : Laterza, 1933, p. 349 

-Damasio, Antonio, R. Descartes' Error: Emotion, Reason, and the Human Brain, New York: G.P. Putnam's Sons, 1994

-Floris, Ennio, La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les oeuvres juvéniles de J.-B. Vico, sous la dir. de Paul Ricœur, (Th. 3e cycle, Philosophie, Paris X - Nanterre, 1974) éd. [Sur la Toile in http://alain.auger.free.fr.htm]

-Garin, Eugenio, L’éducation de l’homme moderne : la pédagogie de la Renaissance 1400-1600, trad. de l’italien par Jacqueline Humbert, Paris, Fayard, 2003, p. 264

-Garin, Eugenio, L'educazione in Europe, (1400-1600), Bari, 1957 ; II ediz. 1966, p 249

-Girard, P., Le vocabulaire de Vico, Paris, Ellipse, 2001.

-Grassi, E., Humanisme et marxisme, trad. J. C. Berger, Lausanne, L’age d’Homme, 1978.

-Hazard P., La crise de la conscience européenne (1680-1715), Paris, Le livre de poche, 1994.

-Lilla, Mark, G. B. Vico : the Making of an Anti-Modern, Cambridge, Harvard University Press, 1994

-Remaud, Olivier, Les archives de l’humanité : essai sur la philosophie de Vico, Paris, Seuil, 2004

-Rigault, Hippolyte, Histoire de la querelle des Anciens et des Modernes, Paris, Hachette, 1856, p. 490

-Schaeffer, John D., Sensus Communis: Vico, Rhetoric, and the Limits of Relativism, Durham, London Duke University Press, 1990

III-Revues et ressources Internet

 1-Numéros spéciaux

-Bollettino del Centro di Studi Vichiani

 -Etudes sur Vico, numéro spécial, Archives de philosophie, XL, 1977

-Giambattista Vico (1668-1744), Une philosophie non-cartésienne, numéro   spécial, Les Etudes philosophiques, Juillet – décembre 1968

- La « Scienza nuova » de Giambattista Vico , Sous la direction de Jean François Mattéi, Noesis, N°8

2-Articles

-Caponigri, Robert A., «Humanité et civilité, l’idée de l’éducation civile chez J.-B. Vico» in Etudes sur Vico, numéro spécial, Archives de philosophie, XL, 1977, p. 67-86

-Caramella, Santino, « La logique poétique dans la pensée de G.-B. Vico et de ses contemporains» in Etudes sur Vico, numéro spécial, Archives de philosophie, XL, 1977, p.  251-266

-Caturelli, Alberto, « Le Nouveau Monde dans la philosophie de l’histoire de Vico» in Etudes sur Vico, numéro spécial, Archives de philosophie, XL, 1977, p.  203-214

-Chaix-Ruy, Jules, « J.-B. Vico : précurseur de la psychologie des peuples » in Revue de psychologie des peuples, 3, 1969, p. 291-322

-Chaix-Ruy, Jules, « Vico et l’historicisme » in Etudes sur Vico, numéro spécial, Archives de philosophie, XL, 1977, p. 41-66

-Corsano, Antonio, « Vico et Hume face au problème religieux » in Etudes sur Vico, numéro spécial, Archives de philosophie, XL, 1977, p.  241-250

-Festini, Heda, « G.-B. Vico et le problème du temps» in Etudes sur Vico, numéro spécial, Archives de philosophie, XL, 1977, p.  215-228

-Hazad, P., « La pensée de Vico » in Revue des Cours et des conférences, XXXII (1931) p. 707-718, XXXIII (1932), p. 42-55 et p.127-143

-Namer, Emile, «G.-B. Vico et Giordano Bruno» in Etudes sur Vico, numéro spécial, Archives de philosophie, XL, 1977, p. 115-126

- Natale, Maria Rosaria, « La sagesse de l’histoire : Jean-Baptiste Vico et la philosophie pratique » in Revue philosophique de Louvain, t.91, mai 1993 p.249-258

-Nicolini, F., « Jean-Baptiste Vico dans l’histoire de la pensée », in Cahiers d’histoire mondiale, VII2, 1963, p.299-319.

-Otto, Stephan, «Interprétation transcendantale de l’axiome « verum et factum convertuntur» in Etudes sur Vico, numéro spécial, Archives de philosophie, XL, 1977, p. 13-40

-Pinchard, B., « Nouvelles lectures de Vico » in Revue de synthèse, CX 1989, p. 483-498

-Pinchard, Bruno, « Les formes du temps selon Vico » in Les figures du temps (collectif), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1997 p. 183-194

-Pons, A. « L’idée de développement chez Vico» in La Formation de l’idée de développement à l’âge classique, dir. O. Bloch, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1988

-Pons, A., « De Vico à Labriola » in Labriola d’un siècle à l’autre : actes du colloque international, CNRS, 28-30 mai 1985, Paris, Meridiens Klincksieck, 1988, p.35-48

-Pons, A., « Vico , Hercule et le « Principe héroïque » de l’histoire » in Etudes philosophiques, N° 4, 1994

-Raynaud, Philippe, « Prudence et politique d’Aristote à Vico» in Esprit, CXL-CXLI e-8, 1988, p. 101-118

3 - Ressources Internet

-http://www.historyguide.org/intellect/lectures a.html

-http://www.univie.ac.at/Wissenschaftstheorie/srb.html

-http://revel.unice.fr/noesis//document.html

-http://www.cerphi.net/vico/vico.htm

-http://www.canalacademie.com/article82.html

-http://www.ibe.unesco.org/publications/ThinkersPdf/vicof.pdf

4 - Articles de la toile

-Baron, Hans, “The Querelle of the Ancients and the Moderns as a Problem for Renaissance Scholarship in Journal of the History of Ideas, Vol. 20, No. 1. (Jan., 1959), pp. 3-22

-Campailla, Sergio, « A proposito di Vico nella Querelle des Anciens et des Modernes » in Bollettino del Centro di studi vichiani, 1973, n° III, p. 81-95

-Caponigri, A. Robert, “Umanita and Civilta: Civil Education in Vico in The Review of Politics, Vol. 31, No. 4. (Oct., 1969), pp. 477-494.

-Donzelli, Maria « Sapientia », « sagesse » et « science » dans la philosophie de Vico », in Noesis ;  N°8

-Fiore, Silvia Ruffo, “Giambattista Vico and the Pedagogy of 'Heroic Mind'” in the Liberal Arts.htm

-Haas, William S., “The March of Philosophy of History and Its Crucial Problem” Today in The Philosophical Review, Vol. 58, No. 2. (Mar., 1949), pp. 101-129 

-Hutton, Patrick H., “The Art of Memory Reconceived: From Rhetoric to Psychoanalysis” in Journal of the History of Ideas, Vol. 48, No. 3. (Jul. - Sep., 1987), pp. 371-392

-Levine, Joseph  M., “Giambattista Vico and the Quarrel between the Ancients and the Moderns” in Journal of the History of Ideas, Vol. 52, No. 1. (Jan. - Mar., 1991), pp. 55-79

-Levine, Joseph. M., “Ancients and Moderns Reconsidered”, in Eighteenth- century Studies, Vol. 15, No. 1. (Autumn, 1981), pp. 72-89

-Nuzzo, Enrico, « Le naturel nécessaire », in Noesis ;  N°8

-Otto, Stephan, «Contextualité scientifique et convertibilité philosophique», in Noesis ;  N°8

-Pettazzoni, Raffaele, « Il metodo comparativo », in Numen, Vol. 6, Fasc. 1. (Jan., 1959), pp. 1-14

-Pinchard, Bruno, «Science ou allégorie ? Le débat entre Bacon et Vico», in Noesis ;  N°8

-Pinchard, Bruno, « Un visage et deux oracles pour un temps d’épreuve », intervention relue lors de l’Atelier MCX « La formation au défi de la complexité », Lille, 18-19 septembre 2003

-Pompa, Leon , “Vico's Science” in History and Theory, Vol. 10, No. 1. (1971), pp. 49-83

-Tilo,  Schabert, “A Note on Modernity” in Political Theory, Vol. 7, No. 1. (Feb., 1979), pp. 123-137

-Tosel, André, « La “Science nouvelle” de Vico face à la “mathesis universalis” », in Noesis N°8.

-Trabant, Jürgen « La science de la langue que parle l’histoire idéale éternelle », in Noesis ;  N°8

IV - Ouvrages de référence

-Dictionnaire de philosophie politique, sous la dir. de Philippe Raynaud et Stéphane Rials, Paris, Puf, 2003

-Encyclopaedia universalis, Nouv. Ed. , Paris, Encyclopaedia universalis, [1998]

-Encyclopédie philosophique universelle.  T.3, Les oeuvres philosophiques, sous la dir. de Jean-François Mattéi, Paris, Puf, 1998

-Encyclopédie philosophique universelle. T.2, Les notions philosophiques, sous la dir. de Sylvain Auroux, [2e éd.], Paris, Puf, 1998

-The Encycolpaedia Britannica. A dictionary of arts, science and general literature, London,  New York,  The  Encyclopaedia, 1929. Vol. 2, 18, 15, 8, 14, 10, 12

 

 


 



[1] Voir : Tilo Schabert, “A Note on Modernity” in Political Theory, Vol. 7, No. 1. (Feb., 1979), pp. 123-137. Lors de son évaluation de l’ensemble des problématiques que les études comparatistes attribuent à  la modernité comme une phase de rupture avec l’ancien vécu.

 

[2] Eugenio Garin, L'educazione in Europe, (1400-1600), Bari, 1957 ; II ediz. 1966, p 249.

 « La querelle, in verità, non scoppio nella celebre seduta della fine di gennaio del 1687, in cui l'Accademia si riuni' per festeggiare la convalescenza di Luigi il Grande ed ascolto la celebrazione che Perrault fece del " siècle de Louis XIV "... La querelle era vecchia quanto il Rinascimento, molto più vecchia dei pensieri del Tassoni o dell'Hoggidi dell'ineffabile Accademico Insensato, l'abate Secondo Lancellotti: era nata nel momento stesso in cui s'era presentato il problema degli 'antichi', e la questione dell'imitazione si era aperta ». sité par Segio Campailla,”A proposito di Vico nella Querelle des Anciens et des Modernes” in Bollettino del Centro di Studi Vichiani, II,1972 p. 181-192

[3] Joseph. M. Levine, “Ancients and Moderns Reconsidered”, in Eighteenth- century Studies, Vol. 15, No. 1. (Autumn, 1981), pp. 72-89. “No doubt he did real service thus in suggesting that the English episode was not merely an appendix to the French-as French scholars had always insisted-and in calling attention to the importance of Francis Bacon, the Royal Society, and seventeenth-century natural philosophy.”

[4]Joseph. M. Levine, “Ancients and Moderns Reconsidered”, op. cit.« That the moderns could be represented vis-à-vis the ancients as dwarfs standing on the shoulders of giants, was a thought that seems to go back at least as far as the twelfth century »

[5] Jürgen Trabant, « La science de la langue que parle l’histoire idéale éternelle », Noesis, N°8, La « Scienza nuova » de Giambattista Vico, 2005, [En ligne], mis en ligne le 30 mars 2006. URL : http://noesis.revues.org/document137.html. Consulté le 05 novembre 2006. ; A. Pons considère à la suite d’ I. Berlin que Vico est "investi du rôle de précurseur universel"  dans l’Avant-propos à son édition française de la Vie de G.B. Vico écrite par lui-même, éd. Grasset, 1981, p. 8

 

 

[7] Sergio Campailla, « A proposito di Vico nella Querelle des Anciens et de Modernes » in Bollettino del Centro di studi vichiani, 1973, n° III, p. 81-95. Cet article se veut une interprétation du discours inaugural (1710) de Vico comme étant un rétablissement des principes expérimentales de la science  baconienne, il commence par dire « Il Vico concludeva la sua ultima orazione inaugurale, De mente beroica, riproponendo la lettura dell' " aureo " De augmentis baconiano, col quale sembrava avvalorarsi la sua fiducia nella " giovinezza riconquistata del mondo: è un brano assai noto, ma che, più di altri forse, ha dato luogo ad equivoci interpretativi non indifferenti». En effet tout l’article est une argumentation qui centre l’intérêt vichien à la Querelle dans ses premiers textes et discours sans chercher à inclure la Scienza nuova comme une œuvre qui supporte une implication quelconque aux événements et aux discutions ayant eu lieu au XVIIe siècle

[8] Hans Baron, “The Querelle of the Ancients and the Moderns as a Problem for Renaissance Scholarship” in Journal of the History of Ideas, Vol. 20, No. 1. (Jan., 1959), pp. 3-22

[9] Joseph M. Levine, “Giambattista Vico and the Quarrel between the Ancients and the Moderns” in Journal of the History of Ideas, Vol. 52, No. 1. (Jan. - Mar., 1991), pp. 55-79. Dans cet article J. M. Levine s’intéresse uniquement à l’anti cartésianisme vichien et le contexte dans lequel Vico a écrit son magnum opus, l’analyse se rapporte plutôt au climat culturel italien au XVIIIe siècle qu’autre alternative telle que la contextualité du discours philosophie et scientifique traité par la Scienza nuova. C’est qui veut dire que l’aspect analysé dans cet article clarifie plutôt le contexte historique de l’œuvre sans s’impliquer dans une analyse textuelle de cette œuvre, d’où l’utilité de l’actuelle étude.

 

[10] Mark Lilla, « Les Anti-lumières » in Dictionnaire de philosophie politique, sous la dir. De Philippe Raynaud et Stéphane Rials, Paris, PuF, 2003, p. 16-19

[11] Hippolyte Rigault, Histoire de la querelle des Anciens et des Modernes. Paris, Hachette, 1856, p. 490, p, 452

[12] Hippolyte Rigault, Histoire de la querelle des Anciens et des Modernes. Op. cit, p. 210-215

[13] Hippolyte Rigault, Histoire de la querelle des Anciens et des Modernes. Op. cit. p. 453

[14] Giambattista Vico, La Science nouvelle (1744), traduit et présenté par Alain Pons, Paris, Fayard, 2001, 560 p., § 34, p.32

[15] G.B. Vico, De ratione studiorum (1708), trad. d’A. Pons, dans son édition de la Vie de G.B. Vico écrite par lui-même, éd. Grasset, 1981, p. 222 décrit ladite philosophie comme étant un édifice d’une nature fictive et dit en critiquant ce qui justifie cette naturalité de la pensée cosmologique : «Ils ont introduit la méthode géométrique dans la physique et, attachés à elle comme à un fil d’Ariane, ils accomplissent le parcours qu’ils se sont proposé, en décrivant les causes selon lesquelles l’admirable machine du monde a été construite par Dieu. Ainsi ils ne procèdent pas, comme les physiciens, à tâtons, mais comme des architectes qui auraient eux-mêmes construit un édifice immense. »

[16] Alain Pons, introduction à La méthode des études de notre temps, Giambattista Vico, Paris, Bernard Grasset, 1981 p.11

[17] Cf. B. A. Haddock, Vico's "Discovery of the True Homer : A Case-Study in Historical Reconstruction” in Journal of the History of Ideas, Vol. 40, No. 4. (Oct. - Dec., 1979), pp. 583-602.

 

[18]La Science nouvelle (1744), op. cit.  § 404 p.174

[19]Ibid.  § 213 p. 108

[20] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 846 p. 417

[21] Ibid. § 429 p. 187

[22] Ibid. § 787 p. 399

[23] Ibid. §783 p.388

 

[24] Marcello Montanari, Vico e la politica dei moderni, Bari, 1995, p. 63, conclut que l’axiome verum-factum n’est pas reductible à un critère épistémologique tel que chez Bacon ou autres mais il est "un principio etico-politico, non solamente gnoseologico."

 

[25] Thierry Gontier, « Science de l’histoire ou métaphysique de l’esprit ? », Noesis, N°8, La « Scienza nuova » de Giambattista Vico, 2005, [En ligne], mis en ligne le 30 mars 2006. URL : http://noesis.revues.org/document146.html. Consulté le 19 juin 2007.

 

[26] Fosco Mariani–Zini, « Vico entre les anciens et les modernes » in Histoire de la philosophie politique .2 : Naissance de la modernité. Paris Calmann-Lévy, 1999. p 351-383

 

[27] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 240

 

[28] G. B. Vico, De Antiquissima italorum sapientia= De la très ancienne philosophie des peuples italiques (1710), trad. Du latin par Georges Mailhos et Gérard Granel,  Paris, TER bilingue, 1987, [pagination double, 59 p] p.42 (fr.)

[29] Ibid. p 46 (fr.)

 

[30] Ibid. p 47 (fr.)

[31] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 349

[32] G. B. Vico, De Antiquissima, op. cit. p. 7 (fr.)

 

[33] Robert C. Miner, "Verum-factum" and Practical Wisdom in the Early Writings of Giambattista Vico” in Journal of the History of Ideas, Vol. 59, No. 1. (Jan., 1998), pp. 53-73. en ligne http://links.jstor.org/sici?sici=0022-...pdf (consulté 10 mai 2006)

« Vico understands human judgment by analogy to the process of reading. The reader gathers the alphabetic elements out of which words are constructed. In the absence of readily collection, the elementa will be an incoherent jumble, lacking significance” (traduction personnelle ; d’ailleurs l’analogie utilisée par Miner est presque une paraphrase du texte vichien)

 

[34] Ibid. p. 67 “The term is meant to recall the ability of the human mind to create the mathematical ficta independently of external constraints. The other scientiae involve varying degrees of interaction with the external world. Their knowledge is not pure scientia but conscientia, knowledge that depends in some measure on elements grasped from the outside” (traduction personnelle)

[35] Voir Du vrai et du fait p. 11 de De Antiquissima , op. cit.

[36] G. B. Vico, De Antiquissima, op. cit. p. 10 (fr.)

* [la raison]

[37] G. B. Vico, De Antiquissima, op. cit

[38] Ibid.

[39] Isaah Berlin , On Vico, en ligne http://www.jstor.org/cgi-bin/jstor/ pdf (consulté le 07/5/2006) « It may also be that, given Vico's deep involvement in legal thought - his absorbed interest in the history of Roman law and its social implications - there is an element of the legal sense of caussae, the unraveling of a chain of motives, impulses, actions, and their impact on human relationships which constitute the heart of arguments in courts of law, which seek to give a plausible account of individual or social circumstances, purposes, the development of a given situation to the point at which the relevant legal issues arises”

[40] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 283

 

[41] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 239

[42] William S. Haas , “The March of Philosophy of History and Its Crucial Problem Today in The Philosophical Review, Vol. 58, No. 2. (Mar., 1949), pp. 101-129. http://links.jstor.org/sici?sici=0031- pdf

"Vico is the first to recognize that after the abdication of sacred history a secular philosophy of history could only be built upon the idea of civilization; and in his work he made use of all the new conceptions, categories, and knowledge which are at the base of the modern world.”

 

[43] Fosco Mariani–Zini, « Vico entre les anciens et les modernes »  in Histoire de la philosophie politique .2 : Naissance de la modernité. Paris Calmann-Lévy, 1999. p 351-383, p. 354

[44] Paolo Critofolini, Vico et l’histoire, Paris, Presses universitaires de France,  1995, 126 p., p.21

[45] La Science nouvelle (1744), op. cit § 25 p.24

[46]Ibid.

[47] Ibid.

[48] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 597 p. 293

 

[49] La Science nouvelle (1744), op. cit.  § 915 p.439

[50] Ibid. § 369 p. 152

 

[51] La Science nouvelle (1744), op. cit.  § 381 p. 161

[52] Ibid. § 371 p. 155

[53] Bruno Pinchard, « Science ou allégorie ? Le débat entre Bacon et Vico » in Noesis, N°8, La « Scienza nuova » de Giambattista Vico, 2005, [En ligne], mis en ligne le 30 mars 2006. URL : http://noesis.revues.org/document138.html. Consulté le 05 novembre 2006

 

[54]La Science nouvelle (1744), op. cit.  § 348, p. 139-140

* Ajout

[55] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 915

 

[56]La Science nouvelle (1744), op. cit. § 46 p. 48

[57] Vico a présenté une critique systématique de la philosophie cartésienne dans

- De Nostri temporis studiorum ratione en 1709 (le discours correspondant a été prononcé

en 1708); - De Antiquissima italorum sapientia en 1710 : trad par Jules Michelet (1855) : L’Antique Sagesse de l’Italie, présentation et notes par Bruno Pinchard, GF-Flammarion, 1993 ;

 - Institutiones Oratoriæ en 1711. - Vie de Giambattista Vico écrite par lui-même, présentation, traduction et notes par Alain Pons, Grasset, 1981

 

[58] Giambattista Vico, La Science nouvelle (1744), traduit et présenté par Alain Pons, Paris, Fayard, 2001§ 140 (mon italique)

[59] Leon Pompa, “Vico's Science” in History and Theory, Vol. 10, No. 1. (1971), pp. 49-83 spécialement p.54-55

[60] Raffaele Pettazzoni, « Il metodo comparativo », in Numen, Vol. 6, Fasc. 1. (Jan., 1959), p.4

[61] E. Durkheim, « Sociologie et sciences sociales », in La méthode dans les sciences sociales. T.1, 282 (2e éd., 329) ; cité en  Vocabulaire technique et critique de la philosophie, André Lalande, Paris, PUF, 1996, p 155a (article comparaison)

 

[62] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 163

[63] Georges Navet, « Rhétorique, imagination et mondo civile chez G.B. Vico », actes d’un séminaire, mai et juin 1996 sous la dir. du Collège International de Philosophie. p. 45

[64] Leon Pompa, “Vico's Science” in History and Theory, Vol. 10, No. 1. (1971), pp. 49-83   

[65] Stephan Otto, « Contextualité scientifique et convertibilité philosophique » in Noesis, La « Scienza nuova » de Giambattista Vico, 2005, [En ligne], mis en ligne le 30 mars 2006. URL : http://noesis.revues.org/document125.html.

[66] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 359

[67] Stephan Otto, « Contextualité scientifique et convertibilité philosophique » in Noesis, La « Scienza nuova » de Giambattista Vico, 2005, [En ligne], mis en ligne le 30 mars 2006. URL : http://noesis.revues.org/document125.html.

[68] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 185

[69] Hayden V. White, “Reviewed Work(s) : VICO. A Study of the "New Science" by Leon Pompa. Cambridge and New York: Cambridge University Press, 1975. Pp. xii, 194 in History and Theory, Vol.15, (May 1976), pp. 186-202 ;  P 198

[70] La Science nouvelle (1744), op. cit.§ 331, p. 130

[71] D’ailleurs là Vico propose le nouveau projet de l’homme moderne qui devient une nécessité avec la sécularisation de la vie sociopolitique. Dans l’article de William S. Haas, “The March of Philosophy of History and Its Crucial Problem Today” in The Philosophical Review, Vol. 58, No. 2. (Mar., 1949), pp. 101-129. Le philosophe décrit les manifestations de la modernité en Occident et dit :  The new idea of man as the microcosmos, reflecting the perfection of the macrocosmos, implies that nothing is alien to man nor should it be, provided that perfect harmony is accomplished among the parts”

[72] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 131 p. 87

[73] Ibid § 132 p. 87

* Ajout pour faire le lien entre le texte et la citation

[74] Ibid. § 129 p.86

[75] Ibid. § 142 ce qui signifie que n’importe quel violence dans  la volonté de changer l’ordre de la part du philosophe sera rejetée par le « sens commun » de nature émotive et qui est géré plutôt par la vivacité de la mémoire et non par l’absolu de la raison

[76] Fosco Mariani–Zini, « Vico entre les anciens et les modernes » in Histoire de la philosophie politique .2 : Naissance de la modernité. Paris, Calmann-Lévy, 1999. p 351-383

[77] Robert Caponigri, Time and Idea: The theory of history in Giambattista Vico, Chicago, Henry Regnery Company, 1953, p. 71.

 

[78] La formule est empreintée à Leon Pompa, “Vico's Science in History and Theory, Vol. 10, No. 1. (1971), pp. 49-83 : “The proper course to take is to recognize that similar effects or phenomena imply similar causes or  explanations” p 56

 

[79] La Science nouvelle (1744), op. cit. §1108

** ‘’Individuellement’’ est pris dans le sens de personne physique et d’une entité nationale à qui l’individu peut s’identifier. D’ailleurs Vico nous donne une multitude d’exemples là ou l’individuel représente le national et il dit dans le § 1108 « les ordres régnants des nobles veulent abuser de la liberté seigneuriale aux dépens des plébéiens, et ils tombent dans la servitude des lois, qui créent la liberté populaire ; les peuples libres veulent se débarrasser du frein de leurs lois, et ils tombent sous la sujétion des monarques [… ]»

 

 

 

[80] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 132, p.87

[81] Robert Caponigri, Time and Idea, op. cit § IV The modification of the human mind p. 71-91

[82]La Science nouvelle (1744), op. cit. § 144, p.89

[83] J. Michelet, Introduction et présentation à ses ouvrages, in Œuvres choisies de Vico, Paris, Flammarion, [s. d.] première page

[84] William S. Haas,” The March of Philosophy of History and Its Crucial Problem Today in The Philosophical Review, Vol. 58, No. 2. (Mar., 1949), pp. 101-129. p.101

[85] La Science nouvelle (1744),  op. cit. § 314 p. 126

[86] Ibid. § 128 p.86

 *ajout

[87] Benedetto Croce, La filosofia de Giambattista Vico, 3 ediz, riv, Bari : Laterza, 1933, 349 p.

[88] Mark Lilla, G. B  Vico : the making of Anti-Modern, Cambridge, Massachuesetts, London, Harvard University  press, 1994, 255 p.

[89] La Science nouvelle (1744),  op. cit. § 666 p. 337

[90] Ibid. §147 p.90

[91] Ibid. § 148 p.90

[92] William S. Haas, “The March of Philosophy of History and Its Crucial Problem Todayin The Philosophical Review, Vol. 58, No. 2. (Mar., 1949), pp. 101-129 p.108

[93] Stephan Otto, « Contextualité scientifique et convertibilité philosophique » in Noesis, La « Scienza nuova » de Giambattista Vico, 2005, [En ligne], mis en ligne le 30 mars 2006. URL : http://noesis.revues.org/document125.html. ;  voir aussi « Science positive ou théorie de la science ? Du même auteur in Recherches sur la pensée de Vico, textes réunies par Pierre Girard et Olivier Remaud, Paris, Ellipses, 2003 p. 35-53

[94] La Science nouvelle (1744), op. cit.§ 345

[95] Ibid. §133

[96] Benedetto Croce, La filosofia de Giambattista Vico, 3 ediz, riv, Bari : Laterza, 1933 : “ La vera e unica realità del mondo delle nazioni è dunque il loro corso ; e il principio che governa il corso delle nazioni è la Provvidenza. Sotto questo  aspetto la Scienza nuova si può definire una Teologia civile ragionata può definire una Teologia civile ragionata della provvidenza divina. Tra le discipline storiche era segnata dal Bacone una « historia Nemescos  » p.115 (italique de l’auteur)

[97] William S. Haas, “The March of Philosophy of History and Its Crucial Problem Today in The Philosophical Review, Vol. 58, No. 2. (Mar., 1949), pp. 101-129 

[98] La Science nouvelle (1744), op cit, § 342

[99] Ibid. §201

[100] Ibid.§ 163

[101] La Science nouvelle (1744) §329 p.130

[102] Ibid. § 415 p. 179

[103] Ibid. § 424

[104] Le recours à la notion de présupposition se justifie par le besoin de pouvoir expliquer une relation intrinsèque et nécessaire à la compréhension de la science vichienne dans sa dimension dynamique. Dans le sens que la proposition est en même temps  présupposition, elle dit l’idée et le réel simultanément de façon qu’avec Vico la dualité devienne convertibilité dans un certain temps et d’une certaine manière

[105] La Science nouvelle (1744), § 330 p.129

[106] Benedetto Croce, La filosofia de Giambattista Vico, 3 ediz, riv, Bari : Laterza, 1933, p. 349 ; Croce exprime l’ambigüité de la prétention à la scientificité « Il Vico, in realtà, non unificó mai (e non poteva) i due diversi significati, e non era distinta chiaremente, prendeva apparenza d’identità » p.34

[107] Ibid.

[108] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 119 p. 84

[109] Ibid. § 137 p. 88

[110]Ibid § 163 p.94

*« La science doit porter sur ce qui est universel et éternel » paraphrase plutôt que traduction exacte d’Aristote, Métaphysique, P1, 6, 1003 a 12 (note de: Alain Pons, traducteur de La Science nouvelle, 1744. Paris, Fayard, 2001, p. 94)

 

[111] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 138 p. 88

[112] Ibid. § 139 p.88

[113] Leon Pompa, “Vico's Science” in History and Theory, Vol. 10, No. 1. (1971), pp. 49-83.” Here "philologian" is given the meaning which the term "historian" now possesses.” p. 51

*Dans sa traduction  de la Scienza nuova Alain Pons a insisté sur la différence qui existe entre l’emploi français du mot esprit et la notion « mente»  employée par Vico et qui signifie en italien la faculté  intellectuelle qui peut désigner l’intelligence et l’ensemble des aptitudes mentales plutôt que l’idée ou la « chose pensante » de Descartes qui suppose une différenciation radicale avec la réalité matérielle et concrète. Cette différenciation entre les deux notions sera  étudiée dans le 3e chapitre

[114] La Science nouvelle (1744), op. cit. §  120 p.85

[115] Ibid. § 122 p.85

[116] Ibid  §123 p. 85

[117] Ibid.§128 p.86

[118] Ibid. § 125

[119] Leon Pompa, “Vico's Science” in History and Theory, Vol. 10, No. 1. (1971), pp. 49-83 p.53

[120] La Science nouvelle (1744), § 130 p.86

[121] Ibid. § 130 p.87

[122]Ibid. §493 p. 224

[123] Benedetto Croce, La filosofia de Giambattista Vico, 3 ediz, riv, Bari : Laterza, 1933 : « Il diritto naturale gli offerse non soluzioni ma problemi. E di questi anche se alcuni gli offerse ben determinati, altri e più gravi, suscitò solamente nel suo spirito : problemi, dunque, o non risoluti o neppure veduti, che il Vico sipropose e in parte risolse » p. 77

[124] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 493 p.224

 

[125] Ibid §493 p.224

[126] Olivier Remaud, Les archives de l’humanité : essai  sur la philosophie de Vico, Paris, Seuil, 2004, 406 p. 175-181

[127] Isaiah Berlin, « Le concept de connaissance chez Vico » in A contre-courant : essais sur l’histoire des idées, trad. Par André Berelowitch, Paris Albin Michel, 1988, p. 178-187

[128] Les germes de la vérité est ce que Mark Lilla a utilisé pour désigner le péché originel ou plutôt la prise de conscience que prend l’homme de sa nature déchue qui est une conscience constructive mais à un ordre  hiérarchisant qui limite à mon avis la lecture du texte vichien au profit une certaine herméneutique réductrice des potentialités d’une œuvre telle que la « Scienza nuova » qui finie en suggérant aux philosophes de remplir leur tache et « enseignent aux jeunes comment on descend du monde de Dieu et des esprits jusqu’au monde de la nature,  pour vivre ensuite une honnête et juste humanité dans le monde des nations » Appendice § 1407 Dans cette suggestion il est claire que les germes de la vérité sont des potentialités du mente humain toujours en modification et non celle d’une nature originaire déchue en comparaison avec une force supposée extérieure.

[129] Pons, Alain, «Observations prononcées à la suite de la communication de M. Alain Pons » (séance du lundi 31 mars 2003) en ligne : http://www.asmp.fr - Académie des Sciences morales et politiques

[130] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 379 p.159

[131] Olivier Remaud, Les archives de l’humanité : essai  sur la philosophie de Vico, Paris, Seuil, 2004, p. 100

[132] La Science nouvelle (1744),  op. cit. § 151

[133] Olivier Remaud, Les archives de l’humanité, op. cit. p 175-181

 

[134] Mark Lilla, G. B. Vico : the making of anti-modern, Cambridge, Massachussetts, London, Harvard University Press, 1994, 255 p. , p 46-47

[135]Vincenzo Matera, Per un'antropologia dell'interiorità « ai "parlari volgari" di Vico, per affermare che il linguaggio è "il grande principio associativo degli uomini", è la matrice della ragione e della civiltà, è l'incubatrice della "formazione dell'uomo" »

[136] Olivier Remaud, Les archives de l’humanité, op. cit., p.175

[137] La Science nouvelle (1744), op. cit., §152 p. 90

[138] Ibid.§ 149 p. 89

[139] Isaiah Berlin, « Giambattista Vico et l’histoire culturelle » in Le bois tordu de l'humanité : romantisme, nationalisme et totalitarisme, Thymbres, Marcel (trad.),  Paris, Albin Michel, 1992, 264 p., (Bibliothèque A. Michel. Idées) p. 60-79

 

[140] La Science nouvelle (1744), op. cit §201 p.102

[141]Ibid. § 249 p.110

[142] Ibid. § 158 p.91

[143] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 331 p.130

[144] Ibid. § 378 p.159

[145] Ibid. § 356 p.142

[146] Dans la philosophie grecque, on accorde au sens commun un statut double : (1) chez Platon le sensus communis équivaut à la doxa c'est-à-dire l’opinion de l’ignorant. C’est l’illusion de connaître mais jamais la connaissance vraie. Dans tout les cas le sens commun est l’opposé de l’épistémè. (2) Dans « De l’âme » d’Aristote,  la notion acquière une dimension plus technique, elle signifie parfois les considérations particulières de l’individu (par exemple tel objet blanc) mais cette connaissance est au dessous de l’universel (telle la catégorie blanc) voir (426b8-427a15). Aristote attribut au sens commun la capacité de juger le particulier et le sensible ce qui a permis à Etienne Gilson de considérer que le sensus communis chez Aristote et Thomas d’Aquin est un principe épistémologique, il nous permet une connaissance extérieure comme principe de expérience qui permet l’appréciation et la comparaison. (3) Les romains ont développé un autre sens plutôt stoïcien du sensus communis. Ce sens est plus juridique dans l’acception de la propriété publique qui indique le sens de la participation et les manières par lesquelles la communauté agit c'est-à-dire que cette notion énonce chez le romain la sagesse conventionnelle mais avec une dimension éthique. Voir : John D. Schaeffer, Sensus Communis : Vico, rhetoric, and the limits of relativism, Durham and London, Duke University Press 1990, p.80-100

 

[147] La Science nouvelle (1744), op. cit.  §144 p.89

[148] Ibid. § 364 p. 149

[149] Ibid. § 367 p. 151

[150] A. Robert Caponigri, “Umanita and Civilta: Civil Education in Vico” in The Review of Politics, Vol. 31, No. 4. (Oct., 1969), pp. 477-494.

 

 

 

[151] Paolo Rossi, Clavis universalis: Arti mnemoniche e logica combinatoria da Lullo a Leibniz, Milan, 1960. Cité par Patrick H. Hutton, “The Art of Memory Reconceived: From Rhetoric to Psychoanalysis” in Journal of the History of Ideas, Vol. 48, No. 3. (Jul. - Sep., 1987), pp. 371-392

[152] Frances A. Yates, Giordano Bruno and the Hermetic Tradition, Chicago, 1964 cité par Patrick H. Hutton, “The Art of Memory Reconceived: From Rhetoric to Psychoanalysis” in Journal of the History of Ideas, Vol. 48, No. 3. (Jul. - Sep., 1987), pp. 371-392

[153] La Science nouvelle (1744), op.cit. § 699 p.352

[154]Ibid. § 342 p.137

[155] Ibid.

[156]Ibid. § 221 p.106

[157]Ibid. §342 p.137

[158] Simonides (-0556--0468), selon la légende Simonides a découvert le pouvoir mnémonique des images quand il a été invité au palais du banquet et fortuitement excité juste avant l’effondrement du palais. Frappé de terreur de sa propre bonne fortune, il a trouvé que cette réaction émotionnelle l’habilite à expliquer les conjonctures vécues et comprendre dans les détails les histoires des participants du banquet et leur ordre juste avant l’écroulement de la place. Le but de la fable est que ce personnage a pu s’approprier des idées difficiles à acquérir par la mémoire mais l’association de l’effort avec l’inoubliable image a su percer l’obscurité de la vérité divine

[159] Ibid. §446 p.201

[160]Ibid. §700 p.353

[161]Ibid. § 378 p.159

[162] La Science nouvelle (1744), Op.cit. « Idée de l’œuvre », p 8-38.

[163]Ibid. §379

[164] Ibid.§331

[165] Patrick H. Hutton, “The Art of Memory Reconceived: From Rhetoric to Psychoanalysis” in Journal of the History of Ideas, Vol. 48, No. 3. (Jul. - Sep., 1987), pp. 371-392

 

[166] La Science nouvelle (1744), op. cit. §240 ; p. 295-297 Dans ces dignités il décrit comment les langues transportent les lieux et les caractéristiques comme elles sont enracinées dans les coutumes et les ordres de ceux qui l’ont faites.

[167]Ibid. § 304 p.123

[168]Ibid. § 846 p. 417

[169] Ibid. §841 p. 416

[170] Ibid.§424

[171] Empreint à Patrick H. Hutton

[172] La Science nouvelle (1744), op. cit. §704

[173]Giambattista Vico, Della Mente Eroica, 1732, trad. F. Nicolini in Giambattista Vico, Opere, Milano-Napoli, Riccardo Ricciardi, 1953 cité par Giorgio Tagliagozzo, trad. par Eliane Cuvelier, « Une unité de savoir de type vichien » in Les études philosophiques, n° spécial : Giambattista Vico (1668-1744) : une philosophie non cartésienne, Juillet-Décembre, 1968, p. 385-405 (dernière note de la p.405)

[174] Apologie de Socrate. (Œuvres complètes, Traduction nouvelle et notes établies par Léon Robin avec la collaboration de M. J. Moreau, Paris. Gallimard, 1950

[175] Science nouvelle (1744), Op. cit. §1096

[176] Giorgio Tagliagozzo, « Une unité de savoir de type vichien » trad. par Eliane Cuvelier, in Les études philosophiques, n° spécial : Giambattista Vico (1668-1744) : une philosophie non cartésienne, Juillet-Décembre, 1968, p. 385-405

[177] Benedetto Croce, La filosofia de Giambattista Vico, op. cit. p. 37

[178] Giorgio Tagliagozzo, « Une unité de savoir de type vichien » in Les études philosophiques, n° spécial : Giambattista Vico (1668-1744) : une philosophie non cartésienne, Juillet-Décembre, 1968, p. 385

[179] La science nouvelle (1744), op. cit. § 31 p. 38

 

[180] La Science nouvelle (1744), § 367, p. 131

 

[181] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 347 p. 139

 

[182]Max Harold Fisch, Introduction à The New Science, New York, Doubleday, 1961 p.62

[183]La Science nouvelle (1744), op. cit.  §445 p.200

[184] La Science nouvelle (1744), op. cit. § 37, p.34-35

[185] Ibid. §.391, p. 161-162

[186] Stephan Otto, « Contextualité scientifique et convertibilité philosophique », Noesis, La « Scienza nuova » de Giambattista Vico, 2005, [En ligne], mis en ligne le 30 mars 2006. URL : http://noesis.revues.org/document125.html. Consulté le 16 janvier 2007.

[187] La Science nouvelle (1744), § 225 p.106

[188]Ibid. § 240

[189] La  Science nouvelle (1744), op. cit. § 349.

[190] Isaiah Berlin, A contre courant, Paris, A. Michel, 1988.  p.163

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