Du ressentiment à l’effondrement de la pensée : le symptôme Onfray
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la réponse de Michel Onfray font référence à une polémique dont le point de départ est un article de Michel Onfray paru dans le Point du 7 juin dernier sur Qui est Dieu?, un livre de de Jean Soler (éd. de Fallois). Le 28 juin, le Point a publié sur le même sujet un dossier dans lequel on trouve, notamment, des articles du rabbin Yeshaya Dalsace, de Marek Halter, et, à nouveau, de Michel Onfray.
L’article publié par Michel Onfray dans un récent numéro du Point (le 7 juin) pose un problème très grave. Prétendant rendre compte d’une étude de Jean Soler sur la Bible, il donne à l’esprit de vengeance sa plus redoutable expression en l’appliquant à ce qui focalise le ressentiment contemporain, le judaïsme, autant qu’à l'ensemble monothéiste qui en est issu.
Laissons à d’autres le soin de discuter (s’il peut être discutable) le livre de Jean Soler et ne retenons ici que ce qu’en présente Onfray, qui est atterrant : le judaïsme, loin de supprimer le polythéisme, est «monolâtrique». Loin d’avoir inventé une morale universelle, il ne sert que des intérêts tribaux et égoïstes d’un peuple qui autrefois comme aujourd’hui se donne pour seule ambition de dominer les autres. Il faut citer cette phrase stupéfiante : «Le monothéisme devient une arme de guerre forgée tardivement pour permettre au peuple juif d’être et de durer, fût-ce au détriment des autres peuples. Il suppose une violence intrinsèque exterminatrice, intolérante, qui dure jusqu’aujourd’hui.» Et pour faire bon poids, Onfray ajoute que les Juifs sont le premier peuple à avoir perpétré des génocides (le génocide hitlérien étant lui-même d’ailleurs d’inspiration et de facture juives) et que la Shoah n’a pas l’importance exceptionnelle qu’on lui attribue habituellement.
Michel Onfray se réclame, depuis qu’il publie, de Nietzsche. Or il pratique en permanence l’esprit de vengeance, il est le prototype de ce que l’auteur du Zarathoustra identifiait comme «l’homme de ressentiment». Il fait profession de dénoncer l’establishment, et en particulier les gloires philosophiques, les religions ou Freud, mais cette dénonciation n’est que la constante et obstinée dénégation de la pensée. Baptisant hédonisme ce qui n’est qu’une complaisance démagogique pour la bassesse, quêtant auprès de l’opinion une reconnaissance que ses pairs en philosophie lui ont globalement refusée, il s’est acquis, ces dernières années, une notoriété exceptionnelle fondée tout ensemble sur l’intimidation et sur cette vague fascination que les sociétés entretiennent pour les démarches vulgaires.
On aurait pu en rester là, au malentendu, en haussant les épaules et rangeant par profits et pertes les bénéfices liés à l’imposture, mais Onfray, selon une trajectoire qui, après-coup, ne surprend pas franchit aujourd’hui un certain Rubicon.
Inutile de s’étendre sur les propos écoeurants contenus dans son texte du Point. Il n’y a guère de sens, jusqu’à nouvel ordre, à argumenter contre une idéologie qui désigne les Juifs comme les éternels porteurs d’une pulsion de mort dont notre époque continuerait à être victime. La vraie question est celle de la nature de l’audience d’une idéologie qui plaît à notre temps. En atteste, hélas, au-delà de l’article que nous évoquons, le dossier qui est paru dans la dernière livraison du Point (le numéro paru le 28 juin). Sous le titre «La polémique Michel Onfray-Jean Soler», cet hebdomadaire a construit un «débat» dans lequel Onfray, occupant en surplomb la place du philosophe non conformiste et politiquement incorrect, ferraille dédaigneusement en répondant à quelques objecteurs qui ont pourtant en commun de lui avoir concédé ce qui est pour cet homme si avide de revanche l’essentiel, sa légitimité de philosophe. Or ce n’est que par une imposture dont il faudrait prendre le temps de décrypter la portée qu’Onfray a pu s’acquérir la réputation d’être philosophe. Faire l’hypothèse de sa non-légitimité (ce qui nous paraît le minimum) serait rendre vain tout débat et transformer le Point, de journal courageux qu’il se voudrait, ayant accepté le risque de l’anticonformisme, en un support médiatique réductible à n’importe quel tabloïd soucieux d’audience, hors d’état de séparer le bon grain de la pensée de l’ivraie de la niaiserie idéologique ; qui plus est, dans le cas présent, se faisant le complice de propos dangereusement irresponsables.
En d’autres termes, il ne s’agit pas, par-delà cet article du Point, de débattre avec Onfray, ou contre lui, mais de s’interroger sur les raisons de la notoriété dont il jouit. Pourquoi cette audience, de quoi est-elle le symptôme ? Faut-il évoquer l’antisémitisme ?
On ne pourra éviter en tout état de cause de faire ici l’hypothèse d’une étrange maladie, qui n’a peut-être pas encore de nom, mélange de fascination obsessionnelle pour le judaïsme, d’incompréhension et de ressentiment pour l’histoire et le destin que ce dernier signifie pour l’humanité. Certains des plus grands penseurs du XXe siècle ont donné à entendre cela, Levinas, Derrida, Blanchot, d’autres encore, lesquels ont vu dans le judaïsme non la religion particulière d’une communauté (ce qu’il est évidemment aussi) mais une catégorie universelle de la pensée.
La position d’Onfray correspond à un certain effondrement de la pensée, à cette équivoque contemporaine qui voudrait que le judaïsme soit à la fois porteur d’une signification historiale et objet d’une récurrente dénégation et rivalité mimétique. Cette équivoque est plus lourde de conséquences que le personnage inconsistant qui s’en est fait aujourd’hui le héraut. Néanmoins la position de philosophe médiatique que par son talent très particulier il s’est acquise, aussi bien que l’incroyable violence des propos qu’il tient, propos de nature à légitimer une autre violence, celle qui règne sur des scènes qui ne sont pas qu’intellectuelles, nous incitent, comme philosophes, à réagir, à inviter la communauté des philosophes à réagir également, à demander enfin quelle sorte de place occupe aujourd’hui Michel Onfray parmi les voix de la philosophie.
Car si lui-même n’est pas le philosophe qu’il dit, qu’est-il et de quoi est-il le symptôme ? N’est-ce pas à dresser des barrières contre la force proprement philosophique du «judaïsme» que s’emploie Michel Onfray dans son article, et n’est-ce pas cette dernière version du ressentiment, confronté à la signification historiale de l’extermination et de la «question juive», qui explique l’étonnante faveur qui entoure ses écrits ?
Le texte ci-dessous et L’article publié par Michel Onfray dans un récent numéro du Point (le 7 juin) pose un problème très grave. Prétendant rendre compte d’une étude de Jean Soler sur la Bible, il donne à l’esprit de vengeance sa plus redoutable expression en l’appliquant à ce qui focalise le ressentiment contemporain, le judaïsme, autant qu’à l'ensemble monothéiste qui en est issu.
Laissons à d’autres le soin de discuter (s’il peut être discutable) le livre de Jean Soler et ne retenons ici que ce qu’en présente Onfray, qui est atterrant : le judaïsme, loin de supprimer le polythéisme, est «monolâtrique». Loin d’avoir inventé une morale universelle, il ne sert que des intérêts tribaux et égoïstes d’un peuple qui autrefois comme aujourd’hui se donne pour seule ambition de dominer les autres. Il faut citer cette phrase stupéfiante : «Le monothéisme devient une arme de guerre forgée tardivement pour permettre au peuple juif d’être et de durer, fût-ce au détriment des autres peuples. Il suppose une violence intrinsèque exterminatrice, intolérante, qui dure jusqu’aujourd’hui.» Et pour faire bon poids, Onfray ajoute que les Juifs sont le premier peuple à avoir perpétré des génocides (le génocide hitlérien étant lui-même d’ailleurs d’inspiration et de facture juives) et que la Shoah n’a pas l’importance exceptionnelle qu’on lui attribue habituellement.
Michel Onfray se réclame, depuis qu’il publie, de Nietzsche. Or il pratique en permanence l’esprit de vengeance, il est le prototype de ce que l’auteur du Zarathoustra identifiait comme «l’homme de ressentiment». Il fait profession de dénoncer l’establishment, et en particulier les gloires philosophiques, les religions ou Freud, mais cette dénonciation n’est que la constante et obstinée dénégation de la pensée. Baptisant hédonisme ce qui n’est qu’une complaisance démagogique pour la bassesse, quêtant auprès de l’opinion une reconnaissance que ses pairs en philosophie lui ont globalement refusée, il s’est acquis, ces dernières années, une notoriété exceptionnelle fondée tout ensemble sur l’intimidation et sur cette vague fascination que les sociétés entretiennent pour les démarches vulgaires.
On aurait pu en rester là, au malentendu, en haussant les épaules et rangeant par profits et pertes les bénéfices liés à l’imposture, mais Onfray, selon une trajectoire qui, après-coup, ne surprend pas franchit aujourd’hui un certain Rubicon.
Inutile de s’étendre sur les propos écoeurants contenus dans son texte du Point. Il n’y a guère de sens, jusqu’à nouvel ordre, à argumenter contre une idéologie qui désigne les Juifs comme les éternels porteurs d’une pulsion de mort dont notre époque continuerait à être victime. La vraie question est celle de la nature de l’audience d’une idéologie qui plaît à notre temps. En atteste, hélas, au-delà de l’article que nous évoquons, le dossier qui est paru dans la dernière livraison du Point (le numéro paru le 28 juin). Sous le titre «La polémique Michel Onfray-Jean Soler», cet hebdomadaire a construit un «débat» dans lequel Onfray, occupant en surplomb la place du philosophe non conformiste et politiquement incorrect, ferraille dédaigneusement en répondant à quelques objecteurs qui ont pourtant en commun de lui avoir concédé ce qui est pour cet homme si avide de revanche l’essentiel, sa légitimité de philosophe. Or ce n’est que par une imposture dont il faudrait prendre le temps de décrypter la portée qu’Onfray a pu s’acquérir la réputation d’être philosophe. Faire l’hypothèse de sa non-légitimité (ce qui nous paraît le minimum) serait rendre vain tout débat et transformer le Point, de journal courageux qu’il se voudrait, ayant accepté le risque de l’anticonformisme, en un support médiatique réductible à n’importe quel tabloïd soucieux d’audience, hors d’état de séparer le bon grain de la pensée de l’ivraie de la niaiserie idéologique ; qui plus est, dans le cas présent, se faisant le complice de propos dangereusement irresponsables.
En d’autres termes, il ne s’agit pas, par-delà cet article du Point, de débattre avec Onfray, ou contre lui, mais de s’interroger sur les raisons de la notoriété dont il jouit. Pourquoi cette audience, de quoi est-elle le symptôme ? Faut-il évoquer l’antisémitisme ?
On ne pourra éviter en tout état de cause de faire ici l’hypothèse d’une étrange maladie, qui n’a peut-être pas encore de nom, mélange de fascination obsessionnelle pour le judaïsme, d’incompréhension et de ressentiment pour l’histoire et le destin que ce dernier signifie pour l’humanité. Certains des plus grands penseurs du XXe siècle ont donné à entendre cela, Levinas, Derrida, Blanchot, d’autres encore, lesquels ont vu dans le judaïsme non la religion particulière d’une communauté (ce qu’il est évidemment aussi) mais une catégorie universelle de la pensée.
La position d’Onfray correspond à un certain effondrement de la pensée, à cette équivoque contemporaine qui voudrait que le judaïsme soit à la fois porteur d’une signification historiale et objet d’une récurrente dénégation et rivalité mimétique. Cette équivoque est plus lourde de conséquences que le personnage inconsistant qui s’en est fait aujourd’hui le héraut. Néanmoins la position de philosophe médiatique que par son talent très particulier il s’est acquise, aussi bien que l’incroyable violence des propos qu’il tient, propos de nature à légitimer une autre violence, celle qui règne sur des scènes qui ne sont pas qu’intellectuelles, nous incitent, comme philosophes, à réagir, à inviter la communauté des philosophes à réagir également, à demander enfin quelle sorte de place occupe aujourd’hui Michel Onfray parmi les voix de la philosophie.
Car si lui-même n’est pas le philosophe qu’il dit, qu’est-il et de quoi est-il le symptôme ? N’est-ce pas à dresser des barrières contre la force proprement philosophique du «judaïsme» que s’emploie Michel Onfray dans son article, et n’est-ce pas cette dernière version du ressentiment, confronté à la signification historiale de l’extermination et de la «question juive», qui explique l’étonnante faveur qui entoure ses écrits ?
A lire, la réponse de Michel Onfray : «Sale temps pour la pensée debout»
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