segunda-feira, 8 de julho de 2013

Edward Snowden, l'homme invisible


LE MONDE |  • Mis à jour le  |Par 



L'ancien informaticien de l'Agence américaine de sécurité (NSA), Edward Snowden, sur l'écran géant d'un centre commercial, à Hongkong, le 23 juin 2013.

Son visage de premier de la classe à binocles s'affiche sur tous les écrans de laplanète et, pourtant, il reste physiquement invisible. Parlant un jour depuis Hongkong, le lendemain de Moscou, l'ancien informaticien de l'Agence américaine de sécurité (NSA) distille, au nez et à la barbe de Barack Obama, ses secrets recopiés sur une simple clé USB. Il fait trembler l'Amérique tout en prétendant défendre ses valeurs. Il met l'Europe, les Etats-Unis et l'Amérique latine au bord de la crise diplomatique.

Qui est l'insaisissable Edward Snowden ? Un héros de la liberté, prêt au martyre pour "informer le public sur ce qui est fait en son nom et contre lui", comme il l'affirme ? Ou un "traître" à sa patrie, mégalomane et nuisible contre lequel "la chasse est lancée", selon Dianne Feinstein, la présidente (démocrate) de la commission du renseignement du Sénat américain ?
L'homme est injoignable. Ses ombres et ses lumières ne peuvent être perçus qu'au travers des entretiens qu'il a donnés au Guardian et au Washington Post, les journaux soigneusement choisis pour son coming out mondial. S'y ajoutent quelques témoignages de proches et, ironie de l'histoire, les traces qu'il a laissées sur les réseaux sociaux, probablement à une époque où il ne s'en méfiait pas.
Pour l'heure, il n'affiche guère d'illusion sur son destin ultime : ce sera la prison. Au mieux. "Vous ne pouvez pas vous dresser contre l'agence de renseignement la plus puissante du monde sans en accepter les risques. S'ils veulent vousattraper, ils y arriveront avec le temps." Il admet que la peur continuera à l'habiter,"jusqu'à la fin de a vie" et empile les oreillers devant la porte de sa chambre d'hôtel à Hongkong, pour éviter les écoutes.
Difficile, pourtant, de trouver trace d'émotion dans l'entretien vidéo enregistré par lequel, le 6 juin, il est apparu aux yeux du monde. A peine un rictus nerveux lorsqu'il évoque les possibles "conséquences nuisibles" de ses actes pour safamille. Il parle d'une voix calme, s'explique de façon rationnelle. Sur l'image en gros plan, le fugitif arbore la détermination d'un chevalier blanc de l'Internet : "Je ne me considère pas comme un héros car ce que je fais est intéressé : je refuse devivre dans un monde où tout ce que je fais et dis est enregistré (...), un monde où la vie privée n'existe pas et où, par conséquent, il n'y a pas de place pour l'exploration intellectuelle
Edward Snowden, qui a "fêté" ses 30 ans en pleine cavale, n'a pas toujours été le rebelle planétaire qu'il incarne aujourd'hui. A 20 ans, il tente de se faire recruter par les forces spéciales pour "aider" le peuple d'Irak "à se libérer de l'oppression", puis il met son talent d'informaticien au service de l'Agence centrale du renseignement (CIA), puis de la NSA. La rupture n'a été consommée que le 20 mai, à Hawaï, lorsque le discret "analyste infrastructure" informe son superviseur qu'il a besoin d'un peu de temps pour soigner son épilepsie. Il saute alors dans un vol pour Hongkong avec son ordinateur bourré de documents secrets, rompant son serment de confidentialité. Une décision mûrie pendant des mois. "Je ne me suis pas levé un matin , a-t-il confié. Cela a été un processus naturel."
Son parcours d'autodidacte de l'informatique, sans diplôme mais doué, passé desjeux vidéo en ligne à l'espionnage, évoque une culture très américaine, où la pratique assidue de l'Internet nourrit la dévotion à l'égard des libertés dont la Constitution est garante.
Né en 1983, Edward Snowden a grandi en même temps que le Web, avec toute la distance au monde, ce mélange de fragilité et d'agilité que confèrent les séjours prolongés devant un écran. Son tempérament renfermé s'accorde fort bien avec l'univers virtuel, où pseudonymes et avatars tiennent lieu d'identité. Au point que ni ses camarades de scoutisme ni ses professeurs ne conservent un souvenirprécis de lui. Décrit comme timide et maigrelet, le garçon, né en Caroline du Nord, a curieusement passé son enfance dans le Maryland, non loin de Fort Meade, où est implanté le très secret quartier général de la NSA, avec ses 20 000 employés.
Son père, Lon, est officier de la gendarmerie maritime, sa mère, Elizabeth, adjointe au chef du bureau chargé... des technologies de l'information au tribunal fédéral de Baltimore. "Eddie" ne brille pas en classe et qualifiera plus tard son expérience scolaire de "misérable". Il quitte le lycée après la seconde, ses parents divorcent l'année de ses 18 ans. Sur le site d'un petit éditeur de mangas, il choisit un identifiant prémonitoire – "The True HOOHA" ("le vrai brouhaha") –, se vante de ses dons en jeux vidéo et de ses succès féminins. Il étale aussi ses aigreurs : "Je suis vraiment un chic type. Tu vois, j'agis avec arrogance et cruauté parce qu'on ne m'a pas fait assez de câlins quand j'étais enfant et parce que le système d'enseignement public m'a crucifié.
Bien gagner sa vie sans diplôme, telle sera désormais son ambition. Il se bricole donc un parcours de formation dominé par la passion informatique. Son environnement familial n'est pourtant pas constitué que de gigabits, si l'on en croit la lettre truffée de références aux valeurs américaines que son père a rendue publique, mercredi 3 juillet. Lon Snowden qualifie son fils de "Paul Revere des temps modernes", en référence à un héros de la guerre d'indépendance. "Un patriote sauve son pays de son Etat", écrit encore son père. Mon fils "a été élevé pour être un homme de principe. Il sait la différence entre ce qui est juste et injuste", ajoute-t-il dans un entretien accordé à la chaîne conservatrice Fox News,où il dit " prier" pour qu'"Ed" ne publie aucune information classée secrète.
En 2003, au moment de signer sa feuille d'engagement pour le programme d'entraînement des forces spéciales en Irak, le jeune geek doit indiquer sa religion. Il écrit "bouddhiste". Peut-être un trait d'ironie, si l'on considère le post de blog qu'il publie au même moment. Il y déplore que "le mot "agnostique" ne figure pas" sur le formulaire et rejette la religion comme "t'imposant aveuglément les croyances d'un autre".
Sa fracture des deux jambes lors d'un exercice traduit-elle une fêlure plus personnelle ? Elle signe en tout cas la fin de son passage sous les drapeaux après seulement quatre mois. Ses "obligations d'être humain" l'avaient engagé àpartir "aider" les Irakiens. Il emploie la même expression pour justifier aujourd'hui sa divulgation des secrets de la NSA. Mais à l'époque, son enthousiasme guerrier fut vite douché : "La plupart des gens qui nous entraînaient étaient motivés pourtuer des Arabes, pas pour aider quiconque", explique-t-il au Guardian.
Pacifisme, humanisme, méfiance à l'égard de l'Etat comme de Dieu... esquissent le profil d'un Snowden "libertarien", inclassable sur l'échelle française droite-gauche, avec son mélange d'individualisme forcené, de libéralisme économique, d'anarchisme et de défense des libertés publiques. A la présidentielle de 2008, alors qu'il travaille déjà pour la CIA, l'informaticien confirme son attirance pour la dissidence. Il ne vote ni Obama ni McCain, mais "pour un parti tiers", a-t-il déclaré sans préciser lequel. Peut-être le libertarien Bob Barr (0,40 % des voix). Quatre ans plus tard, selon ses messages postés sur le Net, c'est le vieux républicain libertarien Ron Paul qui le "fait rêver", au point de faire, à deux reprises, un don de 250 dollars à sa campagne. Au passage, il défend le droit de porter des armes et réclame la suppression du système public de retraite. Passe de longues nuits à chatter ou à jouer en ligne. Suit un programme intensif de musculation.
Sa virtuosité en informatique, cultivée jusque-là en solo, lui permet d'accéder au monde secret du renseignement. Obscur agent de sécurité sur un site de la NSA, il est recruté en 2006 par la CIA, double son salaire et, surtout, décroche son habilitation au secret. Le voilà à Genève, sous couverture diplomatique, où sa connaissance des réseaux informatiques semble appréciée. Dans ce secteur, les diplômes – "des conneries" – importent peu : "Si quelqu'un t'aime bien, peu importe que tu aies enfilé ton pantalon avant ton caleçon le matin, le job sera pour toi." Enfin, il est aimé, et le salaire suit : "Ma dette d'étudiant est de 0 dollar, j'en gagne 70 000 . Je n'ai qu'à refuser les offres à 83 000 et les patrons se battent pour moi."
Il situe en Suisse ses premiers doutes et la tentation de faire fuiter des secrets. Là, il assiste au recrutement forcé d'un banquier dont la CIA veut soutirer des secrets. On fait boire ce dernier, on l'incite à conduire jusqu'à ce que, interpellé en état d'ivresse, il n'ait plus rien à refuser"J'ai réalisé que j'appartenais à quelque chose qui faisait plus de mal que de bien."
Mais son ascension continue et, avec elle, l'importance et le volume des documents auxquels il a accès : en 2009, il quitte la CIA pour Dell, un prestataire privé de la NSA qui l'envoie au Japon sur une base militaire. Entre-temps, Lindsay Mills, professeur de pole dance (barre verticale utilisée dans les boîtes de strip-tease), est tombée amoureuse d'"Ed", son "homme de mystère". Elle le suivra en 2012 à Hawaï, où il poursuit ses activités secrètes, cette fois pour Booz AllenHamilton, un autre sous-traitant informatique de la NSA qui le gratifie de 122 000 dollars par an. Sa vie d'apparence ascétique n'exclut pas quelques vantardises sexuelles : "Vous n'avez pas vécu tant que vous ne vous êtes pas soumis à unKrispy Kreme post-coïtal", pérore-t-il sur le Web.
C'est pourtant là, dans ce paradis tropical, qu'un jour de mai 2013, Edward disparaîtra sans adieux. La mission que s'était donnée le chevalier solitaire allait se déployer ailleurs, dans le cyberespace planétaire. Convaincu que la NSA"menace la démocratie de façon existentielle", il a résolu de sauver le monde de la tyrannie en dénonçant cette forfaiture.

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