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par , le 9 avril 2009
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Le passage de la multiplicité des intérêts à l’unité de la volonté générale est l’un des grands enjeux de la théorie démocratique. Comment un peuple peut-il naître de la multitude ? Un ouvrage collectif se penche sur le rôle de l’espace public comme lieu de dépassement des volontés particulières.
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- L’espace public et la formation du peuple (PDF - 29.4 ko)par Sandrine Baume
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Recensé : Isabelle Koch, Norbert Lenoir (dir.), Démocratie et espace public : quel pouvoir pour le peuple ?, suivi d’une traduction inédite d’un texte de Carl Schmitt, La Tyrannie des valeurs, Hildesheim, Zürich, New York, Georg Olms Verlag, 2008, 268 p., 44,80 €.
Au confluent de l’histoire des idées et de la théorie politique, le volume édité par Isabelle Koch et Norbert Lenoir, Démocratie et espace public : quel pouvoir pour le peuple ?, issu d’un colloque tenu à Aix-en-Provence en octobre 2007, s’interroge dans plusieurs de ses contributions sur les usages de l’espace public dans les doctrines classiques de l’État et chez les théoriciens de la démocratie contemporaine. Volontairement peu porté vers des réflexions constitutionnelles et institutionnelles, cet ouvrage cherche davantage à explorer l’État au travers des pratiques et des expériences rendues possibles par l’émergence d’un espace public, dont l’examen doit beaucoup aux travaux de Jürgen Habermas.
S’il n’est pas toujours aisé d’identifier un dénominateur commun ou un fil conducteur à l’ensemble de ces contributions, une thématique court au long du livre, sur laquelle il vaut la peine de s’attarder. Cette problématique est celle du passage, en politique, entre la multitude et la totalité, entre la diversité des opinions et la formation de la volonté de l’État ou, exprimée de manière interrogative : qu’est-ce qui permet d’assurer la formation d’un peuple à partir d’individus atomisés ? À cet égard, l’ouvrage pose très utilement la question du rôle joué par l’espace public dans ce passage entre la multitude et la totalité politique. Rôle qui est par ailleurs fort différent selon les auteurs examinés. Il est tantôt placé au cœur du processus politique, tantôt relégué à une place très minime. À mon sens, c’est l’intérêt principal de cet ouvrage que d’avoir exploré cette thématique.
À juste titre, Martine Pécharman convoque Thomas Hobbes pour penser la question de l’unité politique ou du passage entre la multitude et la totalité. Elle souligne d’emblée l’incompatibilité qui prévaut, chez le philosophe anglais, entre les notions d’espace public et de peuple. Le peuple est « la multitude dépassée », il résulte du pacte social, d’un processus d’inclusion des volontés multiples dans une volonté unique. C’est le pacte qui donne une unicité à la « voix de la décision souveraine ». Dans cette logique de résorption de la multiplicité, l’espace public – pour peu que cette expression ait un sens ici – n’intervient pas comme un dispositif désirable.
Tout autre est la perspective de Jürgen Habermas, pour lequel l’espace public est un intermédiaire essentiel dans la formation de la volonté de l’État. Comme le relève Joëlle Zask, l’espace public constitue une zone d’« étanchéité », un intermédiaire entre la société civile et le gouvernement. Il se constitue comme un espace autonome des intérêts, à la fois privés et gouvernementaux. L’espace public parvient ainsi à transcender les volitions particulières et à former une volonté qui ne soit ni le porte-parole du gouvernement ni celui de la société civile. Selon Joëlle Zask, la délibération devient un espace « pédagogique » où les individus font la démonstration « de leurs capacités à politiser leurs propres conditions politiques ». En conséquence, le public forme une unité non pas en raison d’une communauté d’opinions ou d’une « contiguïté physique », mais en raison du substrat commun (un événement par exemple) à partir duquel les individus forment une opinion. Dans cette perspective, la question n’est plus : de quelle manière former la volonté générale, mais davantage « comment, à partir de situations concrètement vécues par des citoyens, transformer ces conditions subies en problèmes publics et politiques ? ».
Dans une continuité avec les développements de Joëlle Zask, Pascal Taranto considère l’exercice de la délibération comme une possibilité que les acteurs, parties prenantes de « l’espace public », se donnent pour dépasser des volontés particulières. Toutefois, la multiplicité n’est pas politiquement menaçante, elle participe au processus politique. Elle n’est pas reléguée, contrairement à Hobbes, dans l’infra-politique, elle est la condition de la vitalité du processus politique. Pascal Taranto s’appuie opportunément sur la pensée libérale et notamment sur celle de John Stuart Mill, pour qui le progrès de l’individu inséré dans une communauté nécessite un espace public le plus largement ouvert.
Bruno Gnassounou et Norbert Lenoir alimentent à leur manière la réflexion sur les rapports entre multiplicité et unité, en s’interrogeant sur les possibles apories qui peuvent exister entre démocratie et individualisme. À l’instar de Tocqueville, Bruno Gnassounou rappelle que la démocratie requiert des conditions d’égalité, mais aussi d’indépendance, cette dernière pouvant compromettre le passage de la multiplicité des opinions à une forme d’unité. Relativement à cette interrogation sur les sources de l’unité politique en démocratie, Norbert Lenoir ajoute une réflexion pertinente qui aurait méritée d’être développée, portant sur les deux faces constitutives du peuple en démocratie, celles de la majorité et de la minorité. Si la première tend vers l’identité (ou l’homogénéité), la seconde met davantage l’accent sur la pluralité, au motif qu’elle ne se reconnaît pas entièrement dans la volonté de la majorité. Cette tension traverse l’identité même du peuple, auquel il faut associer conjointement les composantes de l’unité et de la multiplicité.
C’est donc l’intérêt de l’ouvrage – Démocratie et espace public : quel pouvoir pour le peuple ? – que d’être revenu sur ce très délicat passage allant de la multiplicité à l’unité politique en république, en s’interrogeant sur la place qu’y occupe l’espace public. Ce volume aurait peut-être gagné à s’organiser plus visiblement autour d’une problématique nettement dessinée, de sorte à offrir au lecteur une progression dans les interrogations et les analyses en découlant. La difficulté du passage entre la multiplicité et l’unité est, en quelque sorte, celle du volume lui-même qui peine parfois à trouver sa cohérence. Plusieurs contributions, dont l’intérêt n’est pas en cause, entretiennent des liens uniquement implicites, même si Norbert Lenoir, au prix d’un grand effort introductif, a tenté de nouer la gerbe. En outre, le lecteur patiente, parfois vainement, pour obtenir un examen de la notion d’espace public, dont on ressent la centralité dans cet ouvrage, mais sans qu’on lui attribue une véritable attention théorique. Outre ces quelques remarques, le volume édité par Isabelle Koch et Norbert Lenoir, offre une réflexion stimulante et mérite une attention, déjà dans sa tentative de croiser histoire des idées et théorie politique contemporaine.
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